Le roi dupé par Ti-Jean (suite)

Le roi s'était imaginé qu'à la vue de l'or, répandu en grande quantité, la reine se mettrait à chanter ou à crier ; c'est pourquoi il voulait être libéré des visiteurs indiscrets.

La reine accompagne le monarque au salon. Le roi dit à sa reine : « Prends ces baguettes et frappes-en doucement le Chie-l'or ; tu as la main plus délicate que moi. Ti-Jean m'a bien averti de ne pas frapper fort. Cet être-là peut se venger ! »

La reine s'empare des baguettes et touche à peine le nid de guêpes, en disant doucement : « Chie l'or !

- Ah ! dit le roi, tu y es aller trop doucement, frappe un peu plus fort ! »

De nouveau, la reine frappe doucement et dit « Chie-l'or ! »

Au même moment, une guêpe s'échappe du nid et pique la reine qui ne peut retenir un cri : « Quel aiguillon du diable a ce Chie-l'or ! » Le roi s'écrie : « Passe moi les baguettes.

- Ah ! hurle la reine, je ne frappe plus, je ne frappe plus sur ce Chie-l'or !

Le roi attrape une baguette et frappe nerveusement à plusieurs reprises le nid de guêpes en criant : « Chie-l'or... Chie-l'or ! »

Toutes les guêpes, comme vous pouvez le croire, s'échappent du nid et se jettent sur les imprudents personnages. La reine roule par terre sous l'effet de la douleur. Ce n'était pas par comédie ; la reine mourut presque sur-le-champ, et, de son côté, le roi s'en tira avec un visage entièrement boursouflé.

Le roi fait demander Ti-Jean au château : « Tu m'en as fait un joli coup, toi, avec ton Chie-l'or !

- Que s'est-il passé ?

- La reine en es morte à la peine !

- Eh ! elle a peut-être frappé trop fort. Je vous avais averti d'y aller prudemment !

- Oui, frapper doucement ! Ces considérations-là ne me rendent pas ma femme !

- Ah ! voyons ; vous n'avez pas besoin de pleurer pour une reine ! Je vais vous procurer une Princesse, moi ; j'en ai une chez moi. Ce n'est pas à dédaigner. Si vous la voulez, je vais vous la vendre : moi, je ne tiens pas tellement à cette Princesse !

- Combien demandes-tu en retour de cette princesse ?

- Cent piastres ?

- Ça me va ! Je vais commander à mes valets d'atteler les chevaux et d'aller la chercher immédiatement. »

Ti-Jean avait dans son écurie, une grande jument blanche sur le pavé ; il la nourrissait seulement de l'herbe de la Saint-Jean, et elle était à la veille de mourir. Soudain, deux valets descendent d'un beau carrosse, se présentent à la porte de Ti-Jean et affirment avoir été envoyés par le roi pour venir chercher une princesse. « Mais, objecte Ti-Jean, vous n'avez pas une voiture destinée à transporter ma Princesse !

- Nous avons pris le plus beau carrosse du roi !

- Ah ! assez, assez de...Si vous êtes capables de la faire monter dans cette voiture et de l'emmener, essayez ! »

Les trois hommes s'en vont à l'écurie. Ti-Jean ouvre la porte et dit aux valets : « La voici !

- Ah bien ! maudit, s'écrie l'un des deux envoyés du roi ! C'est un cheval ou une jument, ça ?

-Oui, oui ; ma jument s'appelle Princesse. C'est une Princesse, du moins de nom ! »

Les valets commencent à se consulter : « Si nous ne ramenons rien dans le carrosse... le roi ne sera pas content. Si nous embarquons la jument... Qu'est-ce que... ? Allons, finissons-en, embarquons-la ! »

Ils s'attellent à la besogne, poussent la jument par ici, poussent la jument par là. Heureusement que l'animal était passablement amaigri ! A force de tirailler et de forcer, ils finissent par installer la vieille jument dans le carrosse. Aussitôt la voiture se dirige vers le château. Le roi était dans son bureau, en train de rédiger un beau compliment à la nouvelle princesse qu'il avait espoir d'épouser. Les valets ne savaient trop comment procéder. L'un d'eux vint à bout de dire un mot au roi : « Nous sommes revenus de notre voyage en carrosse ; où va-t-on la loger... ?

- Dans ma chambre, en haut, crie le roi agacé ! »

Après bien des craintes et des incidents, les valets réussissent à introduire Princesse dans la chambre du roi et ils la couchent dans le lit royal sans toucher à rien.

Le roi attendait la brunante avant de monter à sa chambre, tout gêné qu'il était à la pensée de rencontrer une princesse inconnue. Quand il crut que la nuit était venue, il se présente à la porte de sa chambre et frappe délicatement. La vielle Princesse, qui n'avait pas mangé depuis longtemps, commençait à sentir la faim. En entendant frapper à la porte, la jument commence à hennir : Hin, hin, hin, hin hin... ! « Est-ce qu'elle aussi rirait de moi, pensa le roi ? Elle n'a pas un rire très raffiné ! »

Le roi pousse la porte, n'ouvre aucune lumière et se jette sur le lit dans l'intention de saisir le cou de la princesse pour l'embrasser. Il soupçonne bientôt qu'on l'a trompé. Il allume les lampes... et se rend compte de sa situation ridicule. Il commande immédiatement à ses valets daller chercher Ti-Jean, sans tarder.

Les valets vont trouver Ti-Jean et lui transmettent le message : « Le roi te fait demander immédiatement !

- Qu'est-ce qu'il me veut, le roi ?

- Nous n'en savons rien. Nous savons seulement qu'il te fait demander. »

Ti-Jean se rend au château et rencontre le roi qui l'aborbe sans grand préambule : « Écoute donc, Ti-Jean, ta Princesse, celle que tu m'as envoyée, ce n'est pas une princesse, ça.

- Eh bien, Sire le roi, vous savez bien que je ne suis pas riche comme vous ; je suis plutôt pauvre. Une vraie princesse c'est une femme de qualité. Moi...vous auriez dû vous en douter ; je ne pouvais avoir autre chose que ma Princesse. Où est-elle maintenant ?

- Dans ma chambre !

- Je vous la laisse ; épousez-la, faites-en ce que vous voudrez, elle est à vous. Moi je garde l'argent. »

Je vous fait grâce des autres détails ; mon conte finit-là !