Interview avec Laura AuCoin

par: Lucille Cormier et Jessica LeBlanc

 

Quels souvenirs vous viennent à l’idée quand on parle de la Mi-Carême ?

 

Laura: Je m’en souviens que je n'avais pas plus que six ans. Dans ce temps là, mon demi-frère qui est mort pendant la guerre de 1914, courait la Mi-Carême. Il n’y avait pas de voisins trop proche de chez nous, seulement ceux qui restaient sur la montagne, c’est tout. Mon frère avait dix ans de plus que moi et pendant la Mi-Carême, les garçons des alentours venaient avec lui s’habiller dans leur costume, chez mon père. Ils étaient à peu près cinq ou six et dans la bande il y en avait un qui était bossu. Lui, ce n’était pas utile qu’il s’habille en mi-carême parce que tout le monde l’aurait connu. Alors les autres s’habillaient, puis il allait avec eux quand même parce que les autres ne voulaient pas le laisser de côté et ils avaient beaucoup de plaisir. Cela nous faisait rire parce qu’il était le seul qui n’était pas habillé. C’est lui qui frappait aux portes et qui les guidait.

 

 

Vous rappelez-vous des premières années que vous l’avez courue ? Quel âge aviez-vous ?

 

Laura: La première année que j’ai couru la Mi-Carême, j’avais à peu près 13 ans. Nous autres, les enfants, on pouvait juste la courir le vendredi soir parce que le jeudi on devait aller se coucher pour l’école le lendemain. Il n’y en avait pas trop le vendredi car c’était plutôt pour les enfants d’école. Cependant, la dernière fois que je l’ai courue, j’avais passé quatre-vingts ans et j’étais habillée en joueur de hockey. J’avais même un bâton, prête à jouer. C’était beaucoup de fun et même ma fille Beatrice, ne m’a pas reconnue!

 

 

Quel costume portiez-vous ?

 

Laura: On n’avait pas de costumes, on prenait quelque chose qu’on avait à la maison puis souvent on s’échangeait de vêtements avec nos amis. Ils auraient dit, <<elle a le gilet de son père>> ou bien <<elle a le manteau de sa mère>>. Moi, j’étais plus grande que les autres puis ils disaient <<C’est Marie à un tel, elle a le gilet à son père>> et l’autre répondait << Mais non, elle est trop grande!>>. L’échange de vêtements les trompait. Et parfois, il y en avait qui avait reçu du linge de leur parenté des États-Unis ou n’importe où ailleurs et que personne n'avait vu. Alors, c’était très difficile de les reconnaître. On essayait de porter quelque chose que personne n'avait vu ou bien parfois on tournait nos vêtements à l’envers. Une fois, il y avait une femme qui était servante près de chez elle. Elle alla courir la Mi-Carême chez son père et ils ne l’ont pas connue. Elle enleva son masque et sortit dehors. Ensuite, elle tourna son manteau à l’envers et rentra, sans même se faire reconnaître. Je me souviens aussi de la fois que quelqu’un s’était fait un habit avec les "tins" qu’on utilisait auparavant pour mettre sur les toits de maisons. Cet habit était très brillant et si différent que presque personne ne l’avait reconnu.

 

Avec quoi faisiez-vous vos masques ?

 

Laura: Les masques, c’étaient de vieux morceaux de coton. On coupait les yeux et la bouche et parfois on aurait dessiné des details. Il y en avait qui en faisait avec du gros papier (carton) et une fois en particulier, il y avait quelqu’un qui s’était fait un masque, utilisant une cap de lampe ainsi qu’un élastique et qui l’attacha de telle manière à son masque qu’on aurait dit que la face faisait un clin d’oeil.

 

 

Savez-vous d’où vient la Mi-Carême ; comment le tout s’est déroulé ?

 

Laura: Maman, qui aurait 129 ans si elle vivait, me disait que quand elle était jeune, le carême était beaucoup plus sévère. Le jeudi de la Mi-Carême, une femme se cachait sous une couverte puis elle passait les maisons au proche pour donner des biscuits à la melasse aux enfants. Ils l’appelaient Madame la Mi-Carême parce que personne ne l’a jamais reconnue.

 

 

Avez-vous remarqué des changements dans la manière qu’on "court la Mi-Carême" ?

 

Laura: Maintenant, c’est une vraie fête. On ne devrait pas dire <<Nous allons courir la Mi-Carême>> parce qu’aujourd’hui on se promène en auto de maison à maison. Et il n’y avait pas de la nourriture et de la musique comme on a maintenant. Peut-être qu’on aurait eu des bonbons pour les enfants, mais c’était tout.

 

 

En grandissant, Laura, est-ce qu’il y avait beaucoup de gens qui "couraient la
Mi-Carême" ?

 

Laura: Il y en avait peut-être autant et plus qu’aujourd’hui, mais les maisons en général n'en voyaient pas autant que maintenant. La raison pour cela , c’est qu’on n’avait pas d’automobiles, alors on la courait juste dans notre canton et pas plus loin. Depuis l’invention des automobiles, les gens peuvent passer toutes les maisons où ils laissent entrer les mi-carêmes, qui veut dire qu’une seule maison peut en voir jusqu’à 300 dans une soirée.

 

 

Auparavant, est-ce qu’il y avait plus de maisons qui laissaient entrer les mi-carêmes ?

 

Laura: La majorité des maisons les laissaient entrer, surtout où il y avait des enfants qui étaient vieux assez pour ne pas avoir peur. Aujourd’hui, les mi-carêmes salissent les planchers, alors plusieurs n’aiment pas les voir dans leur maison. Dans mon temps, quand on entrait dans une maison, on prenait bien garde de ne rien toucher, mais certains jeunes d’aujourd’hui n’ont pas de respect du tout pour la propriété des autres.

 

 

Comment peut-on deviner une mi-carême ?

 

Laura: Ah, par leur manière de marcher, de parler, leur grandeur, grosseur, etc.. Quand j’étais mariée et qu'on les laissait entrer chez nous, c’était plus intéressant pour moi car je connaissais beaucoup plus de personnes par leurs manières, mais maintenant je ne les connais même pas sans leur masque. Ils sont tous trop jeunes! Je me rappelle une année, un homme qui demeurait à Toronto, mais qui était natif de St-Joseph-du-Moine, était venu pour la Mi-Carême. Il était allé chez ma fille et quand il fut parti, elle me téléphona pour me dire qu’il s’en était revenu de Toronto pour courir la Mi-Carême. Ce même jour, cet homme-là vient en mi-carême chez moi et je lui dis <<Ça pourrait-y être Joseph Henri ?>> et lui me répondit <<Comment savais-tu que c’était moi ? >> Il n’avait pas aimé cela du tout que je l’avais reconnu.

Un grand merci à Laura pour sa participation dans ce projet!