Sonder la surface

 

Betty Goodwin
Crushed Vest

1971


 

 

1971

 

 

 

Crushed Vest (1971) fait partie de la première série d'estampes qui a fait connaître l'artiste montréalaise Betty Goodwin sur la scène de l'art contemporain.

Si l'image de la veste se donne à voir ici d'emblée comme un vestige du corps, c'est l'empreinte du vêtement dans le papier qui en fait la mémoire d'un individu.

 

À l'aide d'un procédé de gravure inédit – une veste passée directement sous la presse – Goodwin obtient une surface, presque une radiographie, riche de toutes les singularités du vêtement –  fils décousus, usure, papier oublié dans la poche –, autant d'indices de la présence et de l'histoire de celui qui l'a portée. C'est par le travail de la surface que l'artiste arrive à déployer toutes les dimensions de l'objet.

L'intérêt de Goodwin pour les surfaces ne cessera cependant pas avec son travail de gravure. Elle cherchera ensuite à relever, à la peinture, les traces inscrites sur des bâches de camions ou, au graphite, celles très discrètes des murs d'une chambre abandonnée.

Toujours aussi elle demeurera sensible aux effets de surface, c'est-à-dire aux connotations de la matière – cire, pigment, acier, plâtre – qu'elle utilisera abondamment comme éléments signifiants de ses œuvres, y inscrivant elle-même à l'occasion les traces d'une histoire à la fois hautement intime et clairement collective.

 

C'est également en plaçant un objet sous la presse, cette fois une feuille de papier Arches, que Serge Tousignant réalise, la même année, Rides n20. Cette simple opération, le froissement de la feuille, anime instantanément la surface d'une profondeur, d'une troisième dimension réelle mais ténue, qui active notre perception d'une forte tension entre la surface et l'objet.

Et c'est précisément ce lien, ou plutôt ce jeu entre les deux dimensions du support et les trois dimensions de l'objet dessiné, photographié ou installé, qui intéresse Tousignant et parcourt l'ensemble de sa production.


Serge Tousignant

Rides no 20

1970

 

Au début des années 1970, toutefois, cette sensibilité pour les surfaces a déjà une histoire. Protagoniste de l'abstraction informelle européenne, l'artiste espagnol Antoni Tapiés conduit, depuis les années 50, sa recherche plastique précisément autour des questions de surface, de texture et d'intégrité du matériau.

À travers une série d'œuvres où les surfaces brutes faites de sable, de colle, de peinture craquelée et de carton sont effritées, griffonnées et égratignées, il cherche à laisser la matière parler d'elle-même, adoptant même, par rapport au matériau, une attitude quasi morale.

Antoni Tapiés
Sans titre

1971
(c) Antoni Tapiès/SODRAC (Montréal) 2000

A.M.N.