1973

 

 

Jujubes, réglisses, cornets à l'érable et chocolats débordant d'un sac en papier brun du dépanneur, les Bonbons à cenne de Denis Forcier ouvre, grâce à ces friandises connues par à peu près tous les Québécois, l'espace de l'art à la vie quotidienne.

En choisissant ces références partagées comme sujets de leurs œuvres, au cours des années 1970, les artistes cherchent à renverser le regard de la « grande » culture sur la culture populaire, à les inscrire l'une dans l'autre, faisant ainsi écho au brassage des classes amené par la Révolution tranquille de la décennie précédente.

Il ne s'agit pas, pour eux, d'élever les aliments commercialisés, les clubs de hockey ou les icônes de la musique pop au rang d'œuvre d'art mais, au contraire, de démystifier la culture dite savante.

Denis Forcier
Bonbons à cenne
1973

Ainsi, par exemple, le tableau Sans titre (1975) de Serge Lemoyne rejoint, par ses plages de couleurs uniformes et ses dégoulinades, les préoccupations des artistes formalistes pour les spécificités de la peinture.

Pourtant, il s'agit, en même temps, d'un fragment en très gros plan de l'uniforme du club de hockey Le Canadien, ce qui produit une rencontre très forte, et ici indissociable, entre deux cultures, celle très élitiste de l'expressionnisme abstrait et celle très populaire du milieu sportif.

Pierre Ayot, lui, s'empare du quotidien au sens strict du terme en sérigraphiant, pour Winnipeg Free Press (1980), des piles de journaux sur des coussins déposés au sol en rappel de la livraison du matin à la porte d'un commerce.

Si l'humour, le jeu et l'illusion sont ici à l'honneur, l'œuvre appelle également toute la question de la noblesse du sujet et du matériau. En choisissant l'estampe comme procédé, Ayot répète la fabrication du journal lui-même et renforce l'accessibilité de l'objet; par la possibilité d'une production en série de l'œuvre au même titre que les bonbons ou les boîtes de conserve, son choix témoigne d'une volonté réelle de démocratisation de l'art.

A.M.N.