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Les Gaudet: un centenaire 1894-1994par l'abbé Roland GaudetC'est difficile d'écrire la vie des petites gens: rien n'est connu en dehors de la famille, et puis aucun écrit ne subsiste. Ainsi pour tous les pionniers! Et les Gaudet! Deux frères, Camille et Edmond Gaudet, mariés aux deux soeurs, Marie-Louise et Delvina Lepage, leur soeur Julie mariée à Ulric Grenier, deux neveux, Henri Gaudet et Isaïe Simard, viennent de Saint-Jacques pour s'établir à Bellevue. Pourquoi partir d'une paroisse bien organisée? Là où on est si bien? Dame Pauvreté avait établi demeure chez Camille. Son frère, Edmond, était un peu mieux et son beau-frère, Ulric, encore un peu mieux. Les deux neveux n'avaient rien. Et puis, quel avenir pour les enfants? On partira pour l'Ouest. Vers l'Ouest
À l'automne 1892, Edmond est délégué pour aller choisir du terrain dans les environs d'Edmonton. On avait entendu dire qu'il y avait du bon terrain et en quantité. Rendu sur les lieux, il ne trouve rien à son goût: le terrain près d'Edmonton était tout pris; plus éloigné d'Edmonton, ce n'est guère rose. D'autant plus que le pauvre Edmond attrape la fièvre typhoïde. Malade et découragé, il rebrousse chemin. Mais en arrivant à Warman's Crossing, au nord de Saskatoon, il fourche vers Duck Lake pour visiter un cousin de sa femme, Azarie Gareau, le premier pionnier de Garonne, aujourd'hui Saint-Isidore de Bellevue. Azarie saisit l'occasion pour amadouer son cousin afin qu'il prenne son homestead dans les parages. Tout le terrain est libre. Alors, Edmond retient toute une section pour lui, son frère Camille, son beau-frère Ulric et son neveu Henri. On sera proche l'un de l'autre, on se soutiendra, car on en aura besoin. La décision est prise, mais quand partir? Edmond vend son terrain à l'été 1893 et Camille réussit à vendre le sien en janvier 1894. Ulric a deux terres à vendre; c'est plus difficile. Il les vend durant l'été 1894 et il vient rejoindre les autres avec toute sa famille au printemps 1895. En 1903, un cousin, Ernest Gaudet, arrive avec toute sa famille. Cela explique comment la paroisse de Bellevue est toute apparentée dès le début. On part, adieu Saint-Jacques! La plupart ne le reverront jamais. Le 21 mars 1894, les familles de Camille et Edmond se rendent à Joliette, à huit milles de Saint-Jacques, pour y passer la nuit. Le train doit quitter Joliette de bonne heure le lendemain matin. On sera prêt. L'agent de la gare regarde tout ce monde et conclut que tous les enfants sont en bas de douze ans, excepté Hermas, l'aîné de Camille; il a douze ans, alors, plein prix. Camille de remarquer: «Oui, c'est toujours le plus pauvre qui paie le plus cher!» Quatre jours de train pour se rendre au Lac des Canards (Duck Lake). Comme c'est long! Les enfants sont assez bons, mais plutôt ahuris. Courir dans l'allée du train est leur seule récréation, encore faut-il respecter les autres passagers. On aurait pu se délasser un peu à Winnipeg car le train fait un arrêt prolongé, mais, par peur de le manquer, on ne descend pas pour laisser courir les enfants sur le quai. Quel bien pour les enfants que de se délasser pour un moment. Mais quand on ne sait pas...
Enfin, on arrive à Duck Lake à huit heures du soir, le 26 mars 1894. Azarie Gareau et Philippe Chamberland les attendent. On met tout le monde et un peu de bagage dans la sleigh, seulement le montant que les chevaux peuvent traîner. Il faut traverser la rivière Saskatchewan Sud qui sépare Bellevue de Duck Lake. On avait calculé l'arrivée après la fonte des glaces. On arrive donc à Bellevue tard dans la nuit. Pour ce premier soir, on couche la famille d'Edmond Gaudet chez Chamberland et la famille de Camille chez Azarie. Le lendemain, on laisse reposer les chevaux qui, nourris au foin de marais, ne sont pas des plus fringants. Le surlendemain, le deuxième voyage permet de rapporter le reste du ménage, un peu maigre, s'il vous plaît... Immédiatement, on se met à l'oeuvre pour construire les maisons. Camille est le premier servi, car sa femme, Marie-Louise, attend du nouveau pour le mois de juillet. Avant la fonte des neiges, on abat les billots, on les équarrit. Ils sont prêts à monter la charpente dès la neige partie. Ce printemps-là on ensemence un petit champ de patates et de blé. Un squatteur avait cassé du terrain, une petite prairie à l'ouest de l'emplacement de la future maison de Camille. La première récolte est un bienfait, le salut de la famille. Le 20 mai, la maison de Camille est habitable. Le toit est en tourbe et le plancher de bois est très peu varlopé, mais on est enfin chez nous. On se prépare pour la venue du bébé. Hélas, les souffrances vont commencer. Le 4 juillet, Marie-Louise met au monde une petite fille. Le bébé semble normal, mais les suites ne viennent pas. Marie-Louise meurt quatre jours plus tard, le dimanche 8 juillet, empoisonnée par ses suites. Aucun médecin dans les parages. Aucune sage-femme ne sait quoi faire dans une situation semblable. Plus tard, ils apprennent que les vieilles métisses auraient pu lui sauver la vie, si seulement elles avaient su. Elles avaient des remèdes naturels qu'elles savaient administrer dans de tels cas. Trop tard, hélas! Camille voit mourir sa femme. Sa belle-soeur, Delvina, et sa cousine, Julie Gareau, sont impuissantes devant cette mort prématurée. Encore faut-il ajouter que Marie-Louise est absolument nécessaire pour la survie de sa famille. Pour la naissance du bébé, on avait placé les autres enfants chez Philippe Chamberland. C'était mieux que les enfants ne fassent pas l'expérience de la naissance d'un bébé. Ce dimanche 8 juillet, Camille part de bon matin pour aller à la messe de Batoche et ramener le père Julien Moulin pour que Marie-Louise ait les derniers sacrements. En passant chez Philippe Chamberland, il avertit ses enfants de se rendre immédiatement à la maison pour être au chevet de leur mère mourante; ils la verraient peut-être en vie et Marie-Louise verrait ses enfants une dernière fois. Les enfants partent à pied, mais, allez donc! Deux milles les séparent de la maison et il y a un enfant de deux ans et un autre de quatre ans qui doivent être portés dans les bras. Les enfants arrivent un peu tard pour le dîner. Ces pauvres petits ont faim; on leur donne du pain et du beurre. Toute la famille ne peut aller aux funérailles à Batoche. Trop de petits enfants. Seulement les plus grands peuvent s'y rendre. C'est triste! Au retour à la maison, le vide se fait sentir très longtemps. Il reste quarante piastres dans la poche à Camille, et cela pour vivre un an avec sept petits enfants. S'ils avaient eu l'argent nécessaire, ils seraient retournés dans l'est. On est pris. On doit se débrouiller pour survivre. Hermas, l'aîné de Camille, aide son père. Le travail de la maison ne lui dit rien qui vaille. Louisa, 10 ans, et Lumena, 8 ans, doivent suppléer la maman. C'est très dur! Le matin, on n'a pas le droit de jouer avant d'avoir balayé la maison et rangé les chaises. Après quoi, on peut tout défaire, ça devient légal. Mais où apprendre à tenir maison sinon des adultes? Deux tantes leur montrent un peu comment. Tante Delvina à Edmond ne demeure pas très loin, seulement à un quart de mille. Elle donne des conseils, mais elle n'est pas là pour surveiller. L'année suivante, tante Julie Grenier est obligée de vivre chez Camille en attendant qu'Ulric, son mari, construise sa maison. Cette tante est comme un ange auprès des orphelines de Camille. Pendant l'été 1894, on construit la maison d'Edmond, mais les deux frères, Camille et Edmond, sont mal pris. Camille doit surveiller ses enfants puisqu'ils n'ont plus de mère et Edmond a une bien pauvre santé depuis sa fièvre typhoïde. Le travail est lent. Quelques heures le matin et quelques heures l'après-midi, c'est assez pour Edmond. Petit à petit, on s'installe définitivement à Bellevue. On veut y vivre (et de fait on va y mourir). Le terrain s'ouvre, le troupeau augmente. Tout s'améliore. On s'accommode à ce genre de vie. Malgré l'absence des biens matériels, jamais une plainte échappe, même soixante ans plus tard. A-t-on jamais laissé entendre une plainte? La jeune génération peut témoigner que les vieux parents étaient extrêmement pauvres et que jamais ont-ils dit qu'ils en souffraient. Non, ça ira mieux demain. L'espérance d'un jour meilleur, pour eux et leurs descendants, les soutenait. Une chose vitale manque à ces chrétiens: une église et un curé. Batoche est loin: de neuf à dix milles. Ceux qui veulent que ça semble moins loins disent trois lieues... La distance reste la même. Assister à la messe du dimanche est parfois difficile, sinon impossible dû à une tempête, de la pluie, l'état impraticable des routes. Tout de même, on essaie de faire représenter la famille. Hermas est le délégué. Seul, à cheval, il se rend plus facilement à Batoche. Ceux qui restent à la maison, disent le chapelet à peu près au moment de la consécration. En 1902, l'abbé Pierre-Elzéar Myre devient le curé fondateur de la paroisse. Immédiatement, tout le terrain est pris. Plusieurs colons attendaient la venue d'un prêtre avant de s'établir. Plusieurs nouvelles familles s'y établissent et y font souche.
L'abbé Myre prend un homestead pour avoir un revenu quelconque. Les premiers missionnaires ont fait de même. Mais hélas! ce homestead est mal placé. Il est à un mille des Ukrainiens au sud et à un mille et demi de la réserve indienne à l'ouest. La population catholique est au nord-est. Depuis longtemps déjà, les Gaudet-Gareau avaient décidé de construire leur église à deux milles et demi au nord-est, ce qu'on croyait être le centre des catholiques. Pour le moment (1902), on se sert de l'école, construite sur le terrain de l'abbé Myre. On agrandit l'école en attendant de construire l'église. On ne tarde pas à construire l'église à côté de l'école. On se laisse faire. La décision du curé l'emporte. Il n'en est pas de même en 1926 lorsqu'il faut construire une nouvelle église centralisée. En 1926, on dépasse le centre géographique et on la met un peu trop à l'est (au dire de certains). On dit bien des paroles peu charitables. La petite politique locale tire les bonnes ficelles pour avoir l'église à sa porte. Quoi qu'il en soit, la foi des gens est profonde. La paroisse a donné plusieurs prêtres et religieuses à l'Église qui, de nos jours, font encore la fierté de la paroisse! Revenons en 1895 lors de l'arrivée du beau-frère, Ulric Grenier. Lui aussi arrive au printemps avant la fonte des glaces. Il s'installe chez Camille Gaudet. Les petits orphelins vont avoir du bon temps durant tout l'été, car tante Julie fait la cuisine et montre des trucs pour tenir maison aux petites filles. Louisa et Lumena lui en seront redevables toute leur vie. Comme la maison de Camille est plutôt exiguë, Camille et les grands gars couchent à l'étable. On dit que c'est de santé; eux disaient que c'était nécessité! À l'automne de 1895, la maison d'Ulric étant habitable, il se transporte chez lui au grand désarroi des petits orphelins. C'est comme si on devient orphelin une deuxième fois. Mais la vie continue quand même. Petit à petit, on bâtit son nid. Les enfants grandissent; bientôt, très bientôt, ils remplaceront les aînés. Camille, Edmond et Ulric prennent leurs homesteads en 1894-95. Cependant, ils ne sortent leurs titres qu'en 1909. Pourquoi sortir leurs titres? On est chez soi, il n'y a rien à craindre. Ernest Gaudet arrive en 1903, et en 1906, il a déjà son titre. Le temps réglementaire de trois ans révolu, Ernest s'empresse de prendre son titre. Probablement qu'un dimanche après-midi, on parle de vieillesse et d'héritage. Mais aucun n'a son titre. Les trois sortent leur titre le même jour. Les trois carreaux de terre appartiennent encore à leurs descendants directs. Personne ne retourne dans l'est avant 1910. Camille profite du Congrès eucharistique de Montréal, puisqu'on vend des billets d'excursion à prix très réduits. Comme Camille n'est pas le plus riche de la paroisse, certaines langues de dire: «Ce crève-faim de Camille retourne dans l'est avant nous autres. On aurait les moyens d'y aller avant lui. J'espère qu'il n'aille pas dire là-bas qu'on crève de faim.» Camille, veuf depuis 16 ans, croit légitime de se payer un petit luxe. Rendu dans l'est, il fait la navette entre Saint-Jacques et Montréal. Il fait un excellent voyage, le dernier de sa vie. Une grande consolation avant sa mort en 1915. Ce bout d'histoire maintenant raconté, parlons d'autres traits particuliers à la famille. La musique dans la familleDans la famille Gaudet, on chante beaucoup, malgré les revers et les mortalités. Marie-Louise et Delvina chantent très bien, Marie-Louise peut-être un peu mieux que Delvina. Peu importe! Marie-Louise ne chante pas en public; elle est trop gênée. Ses enfants héritent du talent de leur mère, et même les arrières descendants s'y adonnent. Lorsque Lumena a seize ans, Camille se paye le grand luxe d'un harmonium de chez Eaton pour 50,00 $. Lumena apprend à jouer. Grâce à une connivence entre l'abbé Myre et le futur évêque de Le Pas, Mgr Ovide Charlebois, o.m.i., Lumena passe trois semaines à l'école industrielle de Duck Lake afin qu'une religieuse puisse lui montrer quelques rudiments de musique. Ce que la pauvre Lumena s'ennuie! C'est la première fois qu'elle quitte la maison pour vivre dans un milieu étranger. Elle joue de l'harmonium à coeur de jour! Elle aide aux travaux ménagers pour défrayer une partie des frais de pension. Après trois semaines, elle retourne au bercail, toute fière de ses connaissances musicales. Ce bagage lui sert bien, car elle touche l'orgue de l'église pendant six ans. Au début, elle se plaint à l'abbé Myre qu'elle ne sait pas grand-chose, qu'elle fait des fautes. L'abbé lui répond: «Frappe dans le tas. Personne ne va s'en apercevoir.» Certainement pas lui, car il n'entend absolument rien à la musique. Après son mariage, l'harmonium d'Eaton demeure chez Camille pour que la petite Marie apprenne à jouer elle aussi. À la mort de Camille, Marie hérite de l'harmonium qui est ensuite vendu. Par la suite, un incendie le détruit complètement. Et puis, ayant le soin des enfants et du ménage, Lumena cesse complètement de jouer. Mais, cinquante ans plus tard, Lumena vient demeurer chez son fils Roland qui possède un instrument. Un jour, Lumena s'assit au piano et joue tous les airs appris dans sa jeunesse. Elle se souvenait encore des accords. Chez Edmond, on a un violon. Plusieurs de ses enfants apprennent à bien jouer cet instrument. On dit même que tante Delvina avait fabriqué un violon pour encourager ses enfants à apprendre la musique. Chez Edmond, on chante et on chante même très bien. Plusieurs descendants participent à la chorale de l'église, même de nos jours. Pendant de longues années, on se réunit le dimanche soir. On jase, on joue aux cartes, puis on chante beaucoup. C'est ainsi que tout le monde apprend plusieurs chansons. Chez Ulric Grenier, on chante très bien aussi. Rien de surprenant que les descendants aient une facilité et un goût pour la musique. Combien ont appris à jouer différents instruments de musique? Ça fait partie de leur vie! Il faut survivreÀ l'époque, on est débrouillard par dure nécessité. On fait soi-même les articles nécessaires à la survie ou bien on s'en passe, à moins d'être riche et en mesure de se procurer différents articles pour l'usage courant. L'artisanat, si populaire dans certains milieux de nos jours, est une tâche quotidienne pour nos ancêtres. La laine est vitale. La toison lavée devient, par le tricot, des mitaines et des chandails, même des sous-vêtements. Des sous-vêtements rudes, s'il vous plaît! Chaque lavage semble durcir la laine. Tu mets ces sous-vêtements ou tu t'en passes! La laine tissée sert à confectionner les couvertures, les pantalons et les chemises des hommes. La famille Gaudet possède encore le métier à tisser que l'on a apporté de l'est en 1894. Ce métier, fait à la main, avait déjà un certain âge avant de s'exiler dans l'Ouest. Il est complet et peut servir encore aujourd'hui. Et le rouet? Il y en a plusieurs, mais on les a achetés. Et quoi faire pour l'huile du rouet? Bien simple! Lorsque l'on fait boucherie d'un boeuf, on garde les pattes. Après avoir dépecé l'animal, plus tard, quand on a le temps, on fait bouillir ces bouts de pattes. Un peu d'huile vient à la surface du chaudron. On écume à la cuillère ce précieux liquide et on le met dans une bouteille. Au besoin, on prend une plume de coq, la trempe dans l'huile et lubrifie l'essieu et l'ailette du rouet. Fait remarquable, cette huile ne fige pas, même à quarante sous zéro. Et puis, les petites filles jouent aux osselets avec de vrais osselets. On garde les pattes du cochon. Chaque patte produit deux osselets de la même grosseur. Mais le cochon suivant n'est pas de la même grosseur et les osselets sont aussi de différentes grosseurs. Rien de compliqué pour obtenir un jeu d'osselets de la même grosseur; entre filles, on échange les osselets jusqu'à ce qu'on ait un jeu parfait. Et que dire de la babiche? Le ligneul est bon pour les riches. Pour soi-même, on prend une peau de chat, préférablement durant l'hiver alors que la peau est de meilleure qualité. On fait tremper la peau dans de la cendre mêlée avec de l'eau. Au bout de trois jours, le poil se détache facilement. Ensuite on tanne la peau en la frottant sur le carré d'un madrier. La peau est bien travaillée et devient molle. On la laisse sécher. On ménage cette commodité. Ainsi, on ne la coupe pas par lisière, mais en faisant le tour d'un morceau. On prend ensuite la longueur voulue qu'il faut retremper pour l'assouplir et on coud les souliers faits de peau de boeuf, les attelages, etc. En séchant, la babiche se retire et fait une couture plus solide. Il s'agit de savoir!
Edmond est menuisier. Il gagne un peu d'argent avec son métier. Ainsi, il construit la maison de son cousin, Ernest, lorsque celui-ci arrive en 1903. Mais Camille n'a pas cette chance-là. Pour gagner des sous, il fait de la chaux. On utilise beaucoup de chaux pour les maisons. La demande est là. Chaque été, Camille va au pied de la montagne (la butte Minitinas) où il ramasse les pierres de chaux (il y en a beaucoup dans la région). Il a creusé un four dans le flanc de la colline. Il sait comment placer les pierres pour accroître la chaleur au milieu. Il recouvre ces pierres avec de la boue. La boue cuit avec les pierres. Vient ensuite la cuisson des pierres. Pendant trois jours et trois nuits, on chauffe sans arrêt. On commence un petit feu pour ne pas faire de fumée qui salirait les pierres, car elles doivent être blanches. Après que le feu est bien pris, on chauffe tant qu'on peut. Quand il ne reste plus que de la braise, on bouche le trou qui servait de cheminée. On laisse refroidir. On déterre les pierres que l'on met immédiatement dans le wagon. On ne peut pas trop les manoeuvrer car elles sont friables. Chaque cuite donne environ trente à quarante minots de chaux. On se rend à Duck Lake pour la vendre à 25 sous du minot. Quelle fortune! Camille peut acheter beaucoup de choses nécessaires à la famille. On fait aussi du vin. Pas en grande quantité, car on n'a pas les moyens d'acheter le sucre et les raisins. Mais on en fait pour le temps des Fêtes. Plusieurs livres historiques que j'ai lus taisent complètement le fait de la boisson, alors que l'on sait très bien que bien du monde était alcoolique. Les Gaudet en font, eux aussi, car ils aiment le vin. Aux temps des élections, les candidats attirent les voteurs en se promenant avec la cruche. Alors, on suit la cruche. Le vin goutte la même chose pour les différents partis politiques. On en profite, quoi! On fait du vin de pissenlit. La recette dit de laisser fermenter durant neuf jours. Neuf jours à une température égale. Les maisons du temps ne sont pas chauffées à une température égale qui favorise le vin. On sait tout de même qu'on doit laisser fermenter jusqu'à ce que les raisins ne flottent plus. Et voilà! Un doux nectar, si seulement on donne au vin la chance de vieillir un peu. Ce vin est doux à prendre: il est comme une boisson gazeuse. Mais après? Watch out!!! Problèmes de mariageLes nouveaux habitants de Bellevue vont faire l'expérience de la survie. Mais les enfants grandissent. Ils vont se marier. Mais avec qui? Regardons la situation. Bellevue est entouré d'étrangers. La réserve indienne One Arrow n'a que des Indiens. Ils ne fraient pas avec les Canadiens. Batoche, à l'ouest, et tout le nord est Métis. On se connaît, on communique ensemble, mais on ne se marie pas entre ces groupes ethniques. L'est est plutôt français de France. Ils se marient entre eux mais pas avec les Canadiens de Bellevue. Le sud est ukrainien. On ne parle pas la même langue, on n'a pas la même culture. Un fait assez curieux: les Canadiens et les Ukrainiens fréquentent la même école, s'entendent très bien entre eux, mais il n'y eu aucun mariage entre les deux groupes. Soulignons le fait qu'aucun des groupes susmentionnés ne voulait s'entre marier.
Alors, ce qui arrive, c'est des mariages entre parents. Dès le début, tout le monde est cousin ou petit cousin. D'abord tous les Gaudet sont parents. Deux familles Gaudet, Edmond et Camille, sont parents par leurs femmes aux Gareau. Il reste les cousins. La première génération se marie entre petits cousins. Il n'y a presque pas de mariage entre premiers cousins. La génération suivante connaît les mariages entre cousins germains. En 1952, l'Évêque de Prince Albert refuse toute dispense de mariage entre cousins des familles Gaudet-Gareau. Ce n'est pas la fin complète des mariages entre parents. Les jeunes sortent du diocèse pour aller se marier ailleurs. Les autres trouvent à se marier, à se bien marier. Aujourd'hui, le problème semble s'effacer complètement. Tant mieux! Ce phénomène de mariage entre parents semble plus marqué à Bellevue qu'ailleurs. Les premiers arrivés sont déjà parents et portent le même nom. Ça parait pire! Le problème est semblable ailleurs, mais il y a plusieurs noms de famille, alors on s'en aperçoit moins. Les mortalitésLa mort n'épargne pas la famille. Plusieurs meurent très jeunes. On a vu Marie-Louise mourir en donnant naissance à une petite fille. Ce fut la première épreuve. Quand on est peu nombreux, un vide se fait sentir davantage. Ensuite, un neveu, Isaïe Simard, meurt de tuberculose. Il est dans la vingtaine. Comment expliquer que les autres n'aient pas attrapé cette maladie? Et puis, c'est Louisa, la fille aînée de Camille, mariée à Zénon Gaudet. Elle meurt enceinte; le bébé ne vient pas. La femme d'Henri Gaudet, Evélina, meurt quelques mois après d'un saignement de nez. Ça laisse un veuf avec un bébé de quelques mois. Et Camille perd une autre fille, Élodie, âgée de seize ans. Elle attrape du froid et meurt trois mois plus tard de la phtisie. Mary Gaudet, la fille d'Ernest, perd son mari qui lui laisse un petit garçon de deux ans. Et maintenantLes descendants de ces Gaudet sont nombreux, très nombreux. On les retrouve dans tout le pays. Il en reste encore quelques-uns à Bellevue. Peut-être sont-ils la majorité. Quelle contribution ces Gaudet ont-ils apportée en se transplantant à Bellevue? Ils ont donné à l'Église trois prêtres, beaucoup de religieuses et de religieux, quantité d'instituteurs et institutrices. Et que dire des artistes dans la peinture, la sculpture, la musique et les professionnels dans différentes sphères de l'activité humaine? Nos ancêtres seraient fiers de nous voir aujourd'hui. Ils reprendraient volontiers toutes les misères, les souffrances pour partager ce qu'ils verraient dans leur descendance. L'abbé Roland Gaudet, le fils de Lumena et de Hildège Gaudet, est ordonné prêtre le 29 juin 1948 après avoir fait des études à Bellevue, au Collège des Jésuites à Edmonton, au Collège Mathieu de Gravelbourg et au Grand Séminaire de Saint-Boniface. Il a été curé dans plusieurs paroisses du diocèse de Prince Albert et il est maintenant à la retraite. |