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Les chevaliers du capuchon: la triste histoire du Ku Klux Klan en Saskatchewanpar Laurier GareauTout au long de leur histoire, les Franco-Canadiens de la Saskatchewan ont dû se battre pour leurs droits. Mais à aucun moment leurs droits ont-ils été aussi menacés que durant les années 1920 avec l'arrivée dans la province d'organisateurs du mouvement américain, le Ku Klux Klan. De nombreux sentiments anticatholiques, antifrançais et anti-immigrants avaient été soulevés pendant la Première Guerre mondiale. Il y avait un nombre élevé d'Allemands dans la province; le Canada étant en guerre contre l'Allemagne, ces gens ne devraient pas avoir le droit d'enseigner l'allemand dans leurs écoles. Au Québec, bon nombre de Canadiens français refusaient de s'enrôler dans l'armée pour se porter à la défense de la mère patrie, l'Angleterre; pourquoi donc leur permettre d'enseigner le français dans leurs écoles. En 1918, les Orangistes avaient lancé le cri de ralliement: une langue, une école, un drapeau, c'est-à-dire la langue anglaise, l'école protestante et l'Union Jack. Les agitations des Anglo-Canadiens avaient mené à des limitations dans le droit d'enseignement du français; dorénavant, on ne pourrait enseigner le français qu'une heure par jour dans les écoles, sauf pour la première année. La victoire des Alliés contre l'Allemagne avait calmé les émotions en Saskatchewan, du moins publiquement. Toutefois, les sentiments anticatholiques, antifrançais et anti-immigrants continuaient à bouillir dans les cerveaux de quelques-uns et n'attendaient que la venue d'agitateurs professionnels pour faire éclater l'affaire. Ces agitateurs faisaient partie du Ku Klux Klan et ils sont arrivés en Saskatchewan de Toronto durant l'hiver de 1926. Il s'agissait de Hugh Finlay "Pat" Emmons, de Lewis A. Scott et du fils de Scott, Harold. Les débuts du mouvementLe Ku Klux Klan avait vu le jour en 1865 dans le petit village de Pulaski dans l'état du Tennessee. Il ne semble pas y avoir eu d'intentions sinistres dans les plans des six jeunes hommes qui ont fondé le mouvement; ils étaient des vétérans de la guerre civile, mais ils s'ennuyaient tout simplement à se casser les pieds dans ce petit village de Pulaski après leurs aventures dans l'armée du Sud. Mais très vite, dans le Sud des États-Unis, le mouvement du KKK en est devenu un de haine envers les Noirs qui venaient de gagner leur liberté. Entre 1866 et 1869, le mouvement du Ku Klux Klan avait semé la terreur dans les états du Sud, mais en 1870 il avait tombé à plat et cessé d'exister. C'est durant la Première Guerre mondiale que le mouvement a réapparu. Cette fois, le Klan connaîtrait autant de succès dans le Mid-West américain que dans le Sud des États-Unis. Et cette fois, le mouvement ne s'attaquait pas seulement aux Noirs, mais aussi aux catholiques et à tous les nouveaux immigrants. «D'abord, il y avait cette forte immigration qui transportait quelque 23 millions de personnes de la Grande Bretagne, l'Allemagne, l'Italie, la Hongrie et la Russie et une forte opposition de certains Américains... le Klan serait farouchement proAmerica, qui pour eux voulait dire farouchement anti-noir, anti-juif et surtout anti-catholique.»1 Même durant les années de prospérité qui ont suivi la guerre, le Ku Klux Klan continuait à connaître une grande popularité aux États-Unis.
Le Klan des années 1920 était devenu le grand défenseur d'une moralité protestante. Les Noirs existaient pour être battus et même pendus, mais le KKK pouvait aussi s'en prendre aux «bootleggers», aux «gamblers» et aux prostituées. Un mari qui abandonnait sa famille pouvait s'attendre de recevoir une visite nocturne des hommes aux capuchons blancs. Les commerçants juifs et catholiques étaient souvent les victimes des «boycotts» du Klan. Pourquoi le Klan connaissait-il tant de succès dans le Mid-West américain? Martin Robin dans Shades of Right: Nativist and Fascist Politics in Canada écrit: «Mais, dans bien d'autres régions cette 'Amérique protestante fragmentée et désorganisée', remplie d'Américains de la première heure qui se sentaient menacés par le changement, l'afflux d'arrivants et une récession, la réception était souvent très enthousiaste.»2 Il était alors logique pour le Klan de prêter son attention à l'ancienne colonie britannique au nord des États-Unis. Le Canada avait ouvert ses portes toutes grandes au début du siècle à des milliers d'immigrants de l'Europe de l'Est et, comptait dans ses rangs, des millions de papistes catholiques et français. Le Klan n'a jamais connu beaucoup de succès au Québec où 80% de la population était catholique. Toutefois, c'est à Montréal, en octobre 1921, qu'on a essayé d'établir le premier regroupement ou «Klavern» au Canada. Vers la fin de 1922, une série d'incendies, avec causes mystérieuses, au Québec et même au Manitoba sont attribués au KKK. En novembre 1922, un incendie détruit l'édifice du Collège de Saint-Boniface; un frère religieux et neuf élèves ont perdu la vie dans le sinistre. Un élève était de Whitewood en Saskatchewan. La presse francophone n'a pas tardé à attribuer le blâme pour ces incendies au Klan, mais aucune preuve ne sera jamais trouvée pour les impliquer directement dans ces feux. Les Canadiens français étaient alors très mal à l'aise quand le Ku Klux Klan a fait son apparition en Saskatchewan à l'automne de 1926. Vers la SaskatchewanÀ son arrivée au Canada, le Ku Klux Klan se décrivait comme étant la «grande association de bienveillance et de fraternité chrétienne qui allait sauver le Canada pour les Canadiens». En novembre 1926, dans la ville de South Bend, Indiana, Lewis A. Scott obtient du Klan la permission de se rendre dans la lointaine et riche province de la Saskatchewan pour aider à établir une association de bienveillance chrétienne. Ni Scott, ni son fils Harold, n'ont le bagou, ou la langue assez bien pendue pour ensorceler les habitants de cette distante province. Ils recrutent alors Hugh Finlay Emmons, aussi connu comme "Pat", "Pop" et "Dad" Emmons. Les trois hommes arrivent en Saskatchewan quelques semaines plus tard et s'établissent dans un hôtel de Regina. À cette époque, la Saskatchewan était une province relativement riche. Elle comptait la plus forte population après l'Ontario et le Québec. Pourquoi une campagne de haine? «Les deux choses recherchées par le KKK pour assurer son succès étaient présentes en abondance en Saskatchewan à cette époque: une forte minorité vulnérable vers laquelle le Klan pouvait diriger ses attaques et une tranche importante de l'establishment prêt à utiliser l'extrémisme du Klan pour faire avancer son agenda. Le vieux Sud américain avait eu ses anciens esclaves et une aristocratie de propriétaires de terre amère; la Saskatchewan avait ses catholiques et ses Canadiens français et un Parti conservateur assoiffé pour le pouvoir.»3
Pourquoi les trois s'en ont-ils pris aux catholiques et aux Canadiens français? C'est que leurs cibles traditionnelles, les Noirs, les Orientaux et les Juifs n'étaient pas nombreux dans la province. Quant aux Indiens, on les croyait déjà en voie d'extinction. Les Canadiens français représentaient alors environ 5% de la population de la Saskatchewan, tandis qu'on pouvait compter plus de 233 000 catholiques, soit 27% de la population. D'abord, Emmons et les Scott s'en sont pris à la corruption dans la ville de Moose Jaw: la prostitution, le «bootlegging», le «rum-running», le gambling, la drogue, et même le chantage et l'extorsion attribuée à la police de la ville. Sauf à Moose Jaw, le «Petit Chicago» de l'époque, où le Klan avait attiré quelque 7 000 personnes à un rallye, et où on disait avoir recruté 2 100 membres à 13 dollars chacun, une attaque contre des activités criminelles comme la prostitution et la fabrication de bagosse n'allaient pas aider au recrutement de nouveaux membres dans la province. Il fallait trouver une meilleure cible: les immigrants catholiques et surtout les Français. «L'incroyable succès du Klan en Saskatchewan était surtout le résultat de son habileté d'attiser et de se nourrir de l'atmosphère xénophobique qui existait alors envers les minorités francophones et immigrantes. Comme le disait l'organisateur Emmons, le Klan offrait aux gens des 'antis'. Nous transformions en 'antis' tout ce que les gens pouvaient venir à haïr et à craindre.»4 Le Klan pouvait s'attaquer à l'élément criminel de Moose Jaw, à la soi-disant corruption du gouvernement libéral de James Gardiner, mais il était tellement plus simple de blâmer les Canadiens français et les immigrants pour tous les problèmes de la province.
Le mouvement a pris de l'ampleur rapidement. En Saskatchewan, le KKK avait trouvé un allié puissant: la loge orangiste. Le mouvement orangiste était probritannique et proprotestant. Il menait déjà depuis longtemps une campagne contre les écoles françaises, l'usage de la langue française et le catholicisme. Le Parti libéral était aussi l'ennemi de la loge orangiste; on voyait autant les libéraux d'Ottawa que ceux de James Gardiner en Saskatchewan comme étant les esclaves du pape. Durant la première année, le Ku Klux Klan a organisé des rallyes et des chapitres locaux dans de nombreuses petites communautés de la Saskatchewan comme Wapella, Langbank et Moosomin. Ils devenaient très actifs dans des villages avec une forte concentration francophone, comme Rocanville, Whitewood et Radville. Le cas du petit village de Woodrow est particulièrement intéressant. Woodrow est entouré de communautés francophones: Laflèche à l'est, Gravelbourg au nord et Meyronne à l'ouest. On dit que le Klavern de Woodrow comptait 153 des 218 résidents de la région.
La marque distinctive du Klan était le brûlage d'énormes croix au coeur de la nuit. Janet Legault a décrit un tel événement dans un article du Wood River Free Press. «C'était jour de foire dans la petite communauté rurale de Gravelbourg, soixante-quinze milles au sud-ouest de Moose Jaw. Les familles portaient leurs habits du dimanche et s'amusaient à la grande roue et aux autres amusements de la foire, inconscients de dangers. Soudain, une lumière brillante éclaire la noirceur. La foule horrifiée se rend vite compte qu'ils ne s'agit pas d'un feu de camp. Quelqu'un a érigé une croix et c'est ce qui brûlait.»5 L'histoire lui avait été racontée par Ed Deaust, un pionnier de Gravelbourg. Selon le récit de Ed Deaust, Louis Braconnier, un autre pionnier, aurait arraché la croix de la terre alors qu'elle brûlait toujours. Deaust avait aussi raconté à madame Legault que quelques jours après l'épisode de la croix, un petit avion avait survolé au-dessus de Gravelbourg et avait laissé tomber des pamphlets dans lequel on décrivait les religieuses comme étant des «black-shirted she cats». Janet Legault ne donne malheureusement pas de date à ces événements de Gravelbourg. Ce rallye Klan à Gravelbourg était-il l'oeuvre du Klavern de Woodrow? On ne le sait pas puisque rares ont été les cas où les polices, provinciale et montée, ont pu (ou ont voulu) intenter des poursuites contre les disciples du Klan. Un scandalePendant le printemps, l'été et l'automne de 1927, Emmons et les Scott ont parcouru la province en vue de recruter de nouveaux membres pour le Klan à 13 dollars chacun. Mais il y avait certains des pauvres petits chétifs ou «rubes» qui commençaient à se questionner à propos de la légitimité des actions des trois. Ils posaient des questions au sujet des chartes et des cartes de membres qui n'arrivaient pas de Toronto. Ils se demandaient où allait l'argent souscrit par les milliers de nouveaux membres. Ces personnes osaient même demander comment seraient organisés les chapitres locaux qu'on venait de créer. Emmons et les Scott donnaient des réponses évasives jusqu'en octobre quand ils se sont enfuis pendant la nuit avec 169 000 $. Emmons sera éventuellement traduit en justice, et acquitté pour ce crime, tandis que les Scott disparaîtront pour toujours. Un tel scandale aurait dû mettre un terme aux activités du Ku Klux Klan en Saskatchewan. «Les membres du Klan se réunissent en congrès provincial en octobre 1927 afin de réorganiser le conseil provincial et d'élire un nouveau chef, J.W. Rosborough. Ce dernier s'adjoint un recruteur américain du nom de Hawkins et les listes de membres continuent de s'allonger. Il y a bientôt une centaine de cercles dans tous les coins de la province, autant au nord qu'au sud. En mai 1928, le Klan tient une grande réunion publique à Regina au cours de laquelle les orateurs dénoncent les uns après les autres l'attitude du gouvernement provincial à l'égard des immigrants européens, des catholiques et de la population de langue française. La soirée se termine par un spectacle saisissant, une croix de feu de 25 mètres de hauteur.»6 Le mouvement était en mesure de se rajeunir après le scandale en grande partie à cause de l'appui des églises protestantes de la province. Le révérend T.J. Hind de la première église Baptiste de Moose Jaw avait été un des grands partisans de «Pat» Emmons et, après le scandale, il devient un grand partisan de J.H. Hawkins. «'Nous avons eu monsieur Emory (Emmons) avec nous et il nous a quitté,' entonnait le révérend T.J. Hind avec une cadence biblique, 'mais un autre est venu – un gentilhomme noble – et autant que nous sachions, il est un homme vrai.'»7 Hawkins, comme Emmons et les Scott, était Américain. Il est arrivé en Saskatchewan avec un Canadien à ses côtés, J.J. Moloney (ou Maloney). Non seulement Moloney était-il Canadien, il était un ancien catholique; même un ancien jésuite défroqué. Originaire de Hamilton, Moloney avait été un enfant de coeur durant son enfance. Il avait ensuite entrepris des études dans un séminaire de Montréal en vue de l'ordination à la prêtrise. «Terrassé par la grippe, Moloney est envoyé à l'Hôtel-Dieu et est remis entre les mains des Petites Soeurs de St-Joseph. 'Une en particulier, une jolie demoiselle, a pris un goût pour moi,' allait-il écrire plus tard. 'Pauvre petit, comme elle m'appelait et bientôt j'avais réalisé que les barreaux de fer des murs gris et austères du Couvent ne garantissaient pas les idées papistes.'»8
Semblerait-il que Moloney avait réussi à séduire la Petite Soeur de St-Joseph. Dans un article du Patriote de l'Ouest du 29 mai 1929, à la suite des élections provinciales, Raymond Denis avait écrit: «Les conservateurs auraient pu livrer une belle et intéressante bataille. Ils ont préféré soulever les passions populaires contre nous et lancer le cri de race. Ils auraient pu faire appel à l'intelligence des électeurs et leur présenter un programme constructif. Ils ont préféré remuer de la boue et se servir des calomnies d'un Maloney, d'un Blanchette et d'une soeur défroquée.»9 Il m'a toutefois été impossible de trouver une autre référence au Blanchette mentionné dans cet article. Anderson et le Parti conservateurEn 1928, le Ku Klux Klan était en pleine réorganisation en Saskatchewan. Cette réorganisation coïncidait avec une poussée de la part de J.T.M. Anderson pour être élu Premier ministre, la crise de l'école de Moose Pond et les élections partielles dans la circonscription de Arm River.
J.T.M. Anderson, chef du Parti conservateur et ancien inspecteur d'école, était farouchement contre l'enseignement du français et de la religion dans les écoles de la province. Était-il membre du KKK? Ses partisans ont juré qu'il ne l'était pas, mais ils n'ont jamais produit de preuve pour appuyer leurs affirmations, même s'ils avaient promis d'en produire. Plusieurs membres de son parti étaient ouvertement associés au Klan, si bien que le chef du parti national, R.B. Bennett, avait conseillé aux conservateurs de ne pas être si public avec leur appui du mouvement. S'est ensuivi la crise de l'école de Moose Pond. Moose Pond était un district scolaire à Verwood près de Willow Bunch. Même si la majorité des élèves étaient Canadiens français, deux des trois commissaires étaient Anglais. En 1927 ou 1928, l'institutrice, une mademoiselle Dumélie, a poussé les francophones à élire plus d'un commissaire; chose qui s'est réalisée. La colère du Klan n'a pas tardé à se faire entendre. «Il est probable qu'en temps ordinaire la paix aurait continué à régner comme auparavant, mais c'était au moment où les chevaliers du capuchon, les KKK, rêvaient de révolutionner la province et d'en faire disparaître jusqu'au dernier vestige l'enseignement du français.»10 Au printemps de 1928, les commissaires canadiens-français ont été traduits en justice pour avoir permis l'enseignement du français pour une période de temps dépassant l'heure permise par la loi et «pour avoir également permis la conversation française durant les heures de classe et de récréation.»11 La cause doit être entendue par le juge de paix Gunsen. Quelques jours avant que des poursuites soient intentées contre les commissaires, il y avait eu un grand rallye du Klan à Constance, tout près de Verwood, auquel avait assisté le juge de paix Gunsen. Les avocats des commissaires ont demandé un autre juge. La chose a traîné en cour pour plusieurs mois. Au bout du compte, les commissaires ont été acquittés, mais le coût des avocats était élevé. Il a fallu solliciter un appui financier de toute la population francophone pour payer la note. Le 25 octobre 1928, devaient avoir lieu des élections partielles dans la circonscription de Arm River. Tous les gros canons du Parti conservateur s'étaient donnés rendez-vous pour appuyer la candidature de Stewart Adrain. Selon Raymond Denis, même le futur chef du Parti conservateur fédéral, John Diefenbaker, s'était rendu dans Arm River pour faire la cabale pour Adrain. Diefenbaker allait être le candidat conservateur dans la circonscription de Prince Albert lors des prochaines élections provinciales. Il a perdu en 1929. «C'était en effet le premier vote qui était pris depuis la fameuse campagne du Ku Klux Klan, et l'élection avait justement lieu dans un district électoral particulièrement travaillé par le Klan. Comment le premier ministre Gardiner allait-il s'en tirer? Pour nous, Franco-Canadiens, cette élection revêtait un intérêt angoissant. C'est notre procès qu'on donnait à juger à des électeurs en grande partie protestants.»12 La campagne antifrançaise et anticatholique du Ku Klux Klan était donc maintenant bien entremêlée avec celle du Parti conservateur. Les deux groupes continueraient à travailler étroitement les uns avec les autres jusqu'à l'élection du gouvernement Anderson en 1929. La rhétorique s'envenimait de plus en plus contre Canadiens français et catholiques. «Le pouvoir et l'influence du Klan continuent de croître. Ainsi, au début de 1928, quelques parents protestants de l'arrondissement scolaire de Gouverneur décident de garder leurs enfants à la maison plutôt que de les envoyer à une école où l'on enseigne, à leurs dires, trop de français. Cinq d'entre eux sont alors accusés d'avoir enfreint les lois sur la fréquentation scolaire; l'avocat qui se porte à leur défense, J.F. Bryant, est un sympathisant du Klan, et il deviendra plus tard ministre dans le gouvernement conservateur de J.T.M. Anderson. Les deux juges de paix devant lesquels se déroule le procès sont également membres du Klan et ils rejettent sans formalité l'acte d'accusation.»13 Si le Klan décrivait les religieuses de Gravelbourg comme étant des «black-shirted she cats», ils affirmaient aussi que le gouvernement fédéral refusait de céder les droits minéraux à la Saskatchewan tant et aussi longtemps que la province ne garantirait pas les écoles séparées. Les partisans du KKK ne voulaient rien savoir de religieuses qui enseignaient dans les écoles publiques, comme avait été le cas à quelques reprises à Ponteix et qui était le cas à l'école publique de Gravelbourg. Dans leurs discours, les Klansmen clamaient souvent que dans ces écoles, les crucifix remplaçaient le Union Jack sur les murs et que des élèves protestants avaient été découverts à genoux devant des statues et des crucifix dans des sous-sols d'églises rurales qu'on utilisait comme écoles publiques. Les rencontres du Klan se sont multipliées près des communautés francophones. Le Patriote de l'Ouest rapportait un incident à Laflèche en juillet 1928. «Les chevaliers du capuchon ont voulu cette fois narguer les catholiques jusque tout près de nos meilleures paroisses de l'Ouest et à grands coups de tam tam ont annoncé une grande assemblée... N'ayant pu trouver un local dans le village, ces Bolchevistes se sont imaginés de tenir leur fameuse assemblée à mi-chemin de Woodrow et Laflèche, dans une salle de danse devant une quantité importante de curieux et de badeaux, ils ont vomi leur venin sur nous. Ensuite, ils ont brûlé devant tout le monde une grande croix faite d'un poteau de téléphone auquel ils avaient attaché deux grands bras et recouvert le tout de vieux caoutchouc, de linge imbibé de gasoline et d'huile.»14 Les Canadiens français tentent par tous les moyens de se défendre contre ces attaques du Klan. Odette Carignan raconte l'épisode suivant: «Les Ku Klux Klan étaient très sournois. Ils n'attaquaient jamais ouvertement, leurs activités se faisaient en pleine nuit, tel de retirer les crucifix dans les écoles. À Ponteix, un des commissaires d'école était Napoléon Carignan qui ne voulait absolument pas que le crucifix soit retiré de l'école. Alors, il coucha dans l'école pendant deux semaines; rien ne se passa. Quand il arrêta de coucher à l'école, le crucifix disparu.»15 Il n'est toutefois pas facile pour les Canadiens français de se défendre contre un ennemi qui se cache sous un capuchon blanc et derrière une rhétorique sans fondement. «Contrairement à un parti politique qui doit justifier ses paroles et ses actes, le Klan ne s'embarrasse pas de scrupules: il affirme n'importe quoi, laissant à ses adversaires la tâche difficile et souvent même impossible de se dépêtrer d'un tissu de mensonges. Ainsi, le Klan soutient que les franco-catholiques complotent pour franciser et convertir au catholicisme les petits anglo-protestants en établissant des écoles confessionnelles un peu partout dans la province. À la vérité, sur les 4 776 districts scolaires de la province, à peine 31 sont des districts séparés et de ce nombre, 8 sont des écoles protestantes établies dans des régions à majorité catholique. C'est donc dire que 23 arrondissements, soit moins d'un demi-p. 100, sont franco-catholiques.»16 J'avais toujours cru que le KKK avait surtout fait des ravages dans le Sud de la province. Dans le Patriote de l'Ouest, deux articles prouvent que le mouvement avait des adeptes dans le Nord. Dans le journal du 13 février 1929, on apprend que le Klan était actif dans la région de Shell River près de Debden. «En garde! Dans nos localités du nord, nous n'avions jamais été inquiété par le Ku Klux Klan, mais il faut bien croire que cette sale organisation a partout quelques adeptes, car autour d'ici, où règnait la plus parfaite harmonie dans nos écoles, vient d'éclore ouvertement un coup monté par quelques disciples de cette horde ténébreuse pour essayer de bannir dans une de nos principales écoles du district l'enseignement religieux et l'éducation morale.»17 À Méota, dans le nord-ouest de la province, J.J. Moloney est bombardé par des douzaines d'oeufs pourris. Quelques mois plus tard, la bagarre a éclaté à Hudson Bay Junction près de Zenon Park. «Plusieurs personnes ont été blessées dans une bagarre avec des membres du Ku Klux Klan, lorsque ceux-ci essayèrent de brûler une croix en cet endroit... Agresseurs et défenseurs se confondirent dans les ténèbres, avec le résultat que plusieurs furent blessés par leurs propres partisans.»18 Dans ces incidents, ce sont les opposants au Klan qui sont les agresseurs. En effet, suite à l'élection de J.T.M. Anderson et des conservateurs en septembre 1929, les opposants du Klan sont devenus eux-mêmes plus virulents. C'était surtout le cas après l'adoption de nouvelles lois limitant davantage le droit à l'enseignement du français et de la religion, le port de l'habit religieux dans les écoles publiques et l'affichage des symboles religieux dans les écoles. Même chez les francophones, on parlait de prendre les armes. «Un bon nombre d'entre nous aurions voulu résister ouvertement à la loi. Nos religieuses resteraient dans nos écoles, avec l'habit religieux, et nous monterions la garde autour de ces écoles. Nous étions convaincus que le gouvernement n'oserait pas jeter cinq cents commissaires d'écoles en prison. Mais nous aurions voulu recevoir des directives de nos Évêques ou tout au moins leur approbation tacite.»19 Toutefois, cette approbation du clergé ne vient pas et les Canadiens français ne font rien. C'est peut-être à ce moment que Canadiens français et Métis francophones partent chacun dans leur direction; certains suggèrent que les Métis étaient encore plus militants que les Canadiens français et qu'ils auraient été prêts à défier encore une fois leurs curés et leurs évêques et avoir recours aux armes. ConclusionAvec l'élection du Parti conservateur et l'adoption de nombreux amendements à la Loi scolaire, le Ku Klux Klan a perdu de son influence. Il a disparu de la province aussi vite qu'il était apparu. Toutefois, quand il était à son apogée, le KKK comptait 129 Klaverns dans la province et, possiblement, jusqu'à 40 000 membres. La haine propagée par le Ku Klux Klan envers les Canadiens français a fait naître une loi scolaire antifrançaise qui ne serait pas modifiée avant plus de 30 ans. Sources1 A Hundred Years of Terror, rapport préparé par le Southern Poverty Law Center, Montgomery, Alabama. (Traduction) 2 Robin, Martin, Shades of Right, Nativist and Fascist Politics in Canada, 1920-1940, Toronto: University of Toronto Press, 1992, p. 10. (Traduction) 3 Sher, Julian, White Hoods: Canada's Ku Klux Klan, Vancouver: New Star Books, 1983, p. 48. (Traduction) 4 Ibid., p. 50. (Traduction) 5 Legault, Janet, «A black period in Saskatchewan's history: I am a Klansman», The Wood River Free Press, le 24 mars 1997, p. 1. (Traduction) 6 Lapointe, Richard, La Saskatchewan de A à Z, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1987, p. 338. 7 Sher, op. cit., p. 35. (Traduction) 8 Ibid., p. 37. (Traduction) 9 Denis, Raymond, Mes mémoires Volume 2, manuscrit aux Archives de la Saskatchewan, p. 260. 10 Ibid., p. 242. 11 Ibid., p. 242. 12 Ibid., p. 249. 13 Lapointe, Richard, op. cit., p. 338. 14 «Laflèche, Sask., Le Ku Klux Klan à l'oeuvre», Le Patriote de l'Ouest, le 25 juillet 1928, p. 7. 15 Carignan, Odette, Ku Klux Klan, texte inédit. 16 Lapointe, Richard, op. cit., p. 338. 17 «Shell River», Le Patriote de l'Ouest, le 13 février 1929, p. 7. 18 «Plusieurs sont blessés dans une bagarre de K.K.K.», Le Patriote de l'Ouest, le 13 novembre 1929, p. 1. 19 Denis, Raymond, op. cit., p. 293. |