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Le pot de terre contre le pot de fer: la lutte entre Notre-Dame d'Auvergne et Gravelbourgpar Bernard WilhelmLe fonds d'archives Liboiron R-1167 des Archives provinciales de la Saskatchewan est relativement récent et ne semble pas encore avoir été fouillé en profondeur par les chercheurs. Il s'agit des papiers de l'abbé Albert Royer, curé fondateur de Notre-Dame d'Auvergne, devenue depuis la paroisse de Notre-Dame d'Auvergne à Ponteix, en Saskatchewan. Cette article touche la période de 1907 à 1922. L'étude de fonds d'archives ecclésiastiques dans l'Ouest est généralement une recherche sans surprises dégageant partout le même genre d'oeuvres développées dans le même esprit d'entreprise. On y trouve un curé bâtisseur et missionnaire visionnaire avec le crucifix en bandoulière et la barbe chenue menant un groupe généralement peu fortuné de colons apeurés vers la terre promise. Un acte de homestead atteste ensuite qu'un terrain a été réservé dans la nouvelle colonie comme futur terrain paroissial. Une facture de quelques centaines de dollars de bois de construction et une facture de charrois attestent de la volonté des colons d'y construire la première chapelle. Chose faite, la question d'un prieuré, d'un couvent, d'un hôpital surgit dans la correspondance au moment où la ligne du Canadien Pacifique arrive à deux milles de la colonie, ce qui force le village à plier bagages et reconstruire "plus beau qu'avant" de part et d'autre de la ligne du chemin de fer. Plus tard, le déclenchement de la première guerre mondiale casse net les reins de la nouvelle paroisse, si celle-ci a été fondée par des colons français ou belges rappelés à servir dans la mère patrie. Si le village est canadien-français ou à peuplement mixte, il poursuit son développement ponctué par des campagnes électorales amplement relatées, des visites épiscopales mémorables et des incendies spectaculaires forçant à reconstruire église ou école jusqu'au moment où les prémisses de la crise des années 1930 commencent à se faire sentir. Tous ces éléments figurent dans l'histoire de la paroisse de Notre-Dame d'Auvergne-Ponteix. Ce qui fait cependant le caractère spécial du fonds, c'est la découverte tout d'abord entre les lignes, puis carrément dans le texte même d'éléments d'un drame que l'on eût qualifié de cornélien à l'époque des collèges classiques, et que l'on appellerait aujourd'hui, considérant l'emplacement géographique, un western, consumant de passion plusieurs individus, réduisant chaque action banale en sombre machination, riches en coups bas, et opposant finalement deux communautés qui ne demandaient certainement rien d'autre au début que de vivre en pleine harmonie, ou au minimum dans un splendide isolement. Ces deux soeurs ennemies furent, on ne saurait le cacher plus longtemps, Ponteix, anciennement Notre-Dame d'Auvergne, et Gravelbourg, toutes deux situées dans le sud de la Saskatchewan. Ce western sans cowboys ni saloons comporte, comme l'exige le genre, des bons et des méchants. Le but de notre lecture est de vous présenter le bon héros, les vilains, un archevêque crucifié et un confident en coulisse. Place au western ecclésiastique! Un curé français et sa statueDans le Premier Livre des Comptes de la Paroisse de N.D. d'Auvergne, on lit en première page: «L'an de grâce 1907, et le 20 août, après différentes péripéties racontées au Registre historique, M. l'abbé A. Royer, à la tête d'un groupe de Canadiens et de Français, par une messe solennelle avec musique et chants de circonstance, consacrait à la T.S. Vierge les plateaux alors déserts, qui devaient devenir l'année suivante la paroisse de Notre-Dame d'Auvergne.» L'abbé Royer, âgé alors de 50 ans, était né à Combronde, dans le département du Puy-de-Dôme, situé dans le Massif Central. Il avait suivi les cours du Petit Séminaire de Saint-Sauveur tenu par les R.P. du St-Esprit, puis ceux du séminaire de Clermont tenu par les Sulpiciens. Il avait été ensuite nommé curé de Ponteix en France jusqu'à son départ pour le Canada. Après avoir pensé partir en mission en Afrique, ce fut la prose de l'abbé recruteur Gaire qui le fit changer d'avis et choisir l'Ouest canadien. Le 20 mars 1906, il quitte son pays sur le bateau "Philadelphie" pour New-York, puis arrive à l'évêché de Saint-Boniface, où il est reçu par l'évêque Langevin. Après un voyage d'exploration, il fixe son choix sur des terres traversées par la rivière La Vieille, le fait approuver à Saint-Boniface, et retourne ensuite en France régler ses affaires. Lorsqu'il revient cinq mois plus tard, l'abbé Royer constate à Saint-Boniface qu'un changement s'est produit en l'absence de Mgr Langevin. Mgr Dugas le reçoit et «lui annonce qu'un autre prêtre qui s'occupe de colonisation a fait un petit tour dans l'Ouest et qu'il a choisi à peu près la même place que la sienne. En plus, dit-il, il est très riche; il va bâtir une église et un presbytère; il vous logera, vous paiera un traitement de vicaire et vous apprendra l'anglais; vous le remplacerez durant ses nombreux voyages.» Comme bien on peut le penser, cette proposition ne sied guère au bouillant abbé auvergnat. Non seulement est-il spolié des terres qu'il avait choisies par un nouvel arrivant, mais on lui conseille en plus d'accomplir le travail de ce dernier pour un traitement misérable de vicaire. C'est pourtant bien ce qu'il fait, passant un premier hiver très difficile, se mettant, dit-il «de tout son coeur au service des braves gens de la place.» Au printemps de 1907, Mgr Langevin, qui semble bien aimer ce curé français nouvellement arrivé, lui annonce sa visite. Il le rencontre finalement à l'hôpital de Moose Jaw, où l'abbé Royer, qui a reçu une mystérieuse balle dans le pied, se fait soigner. «Il faut avouer qu'un dédommagement lui fut offert par Mgr Langevin en lui disant – par écrit – qu'il pouvait rester là (à Gravelbourg) y étant le premier installé, que M. l'abbé Gravel, avec lequel, je suppose, il s'était entendu, irait travailler quinze milles plus loin. Mais ce dernier avait fait quelque chose pour Gravelbourg. À Ottawa, il l'avait fait baptiser et lui avait obtenu un bureau de poste. À Saint-Boniface, il avait fait dédier la paroisse à Ste-Philomène.» L'abbé Royer aurait pu éventuellement avaler la couleuvre et s'accommoder d'un Gravelbourg où un abbé Gravel l'avait pris de vitesse, obtenant en quelques mois par ses contacts à Ottawa un bureau de poste et à Saint-Boniface une Ste-Philomène, martyre romaine dont l'existence est si douteuse aujourd'hui que la Congrégation des Rites en a suspendu le culte en 1961. Mais pour rester là, après avoir fait voeu en France de fonder une paroisse au Canada dédiée à la Ste Vierge, il n'avait d'autre alternative que de demander la destitution de Ste-Philomène – ce qui n'était pas une petite affaire – ou de quitter Gravelbourg, malgré une pétition touchante de 80 signatures demandant à le garder. C'est donc avec deux années de retard, et probablement la rage au coeur, qu'il entreprend le 20 août 1907 de bâtir sa paroisse sur les plateaux déserts au croisement de quatre routes, sur le nord de la rivière Notukeu. Deux ans plus tard, le 30 mai 1909, il y installe dans l'église construite sur la colline la statue de N.-D. d'Auvergne, destinée à devenir à la fois et au risque de mélanger les métaphores la pierre d'angle de la paroisse et sa protectrice.
Cette statue, qui était en quelque sorte l'arme secrète de l'abbé Royer, a une histoire si extraordinaire qu'elle mérite un aparté de quelques instants. Piéta datant de la fin du XVe siècle, au dire des experts, ayant échappé aux iconoclastes de la Révolution française, elle avait été donnée à l'abbé Royer par l'un de ses supérieurs, le chanoine Teytard. Cette statue fut soigneusement emballée et confiée à l'un des futurs colons, M. H. Schoefer, de Clermont-Ferrand, qui devait l'expédier dans ses propres colis. M. Schoefer s'embarqua au Havre sur un paquebot de la Cie Allan: «Les premiers jours de la traversée n'amenèrent aucun incident, mais bientôt (...) une tempête des plus violentes éclate sur l'océan. Le vaisseau se soulève et s'enfonce, faisant entendre des craquements sinistres; les passagers sont glacés de frayeur. Une bande de protestants fanatiques, ayant appris que M. Schoefer amenait avec lui une statue de la T.S. Vierge, l'entourèrent alors comme s'il était la cause du danger, et, comme les Juifs du Golgotha, criant leur "tolle" sacrilège, se mirent à hurler plus furieusement que la tempête: "A l'eau, à la mer, l'homme et sa statue!" La scène devint si grave que le capitaine dut prendre des mesures pour sauvegarder le précieux colis confié à sa compagnie, c'est pourquoi il dut faire monter en première notre futur colon, en chargeant deux matelots de veiller continuellement sur lui.» Comble de malheur, les bagages du colon de N.-D. d'Auvergne sont déchargés à Québec et expédiés par le Canadien Pacifique, mais à l'arrivée, le colis contenant la statue est introuvable. Renseignements pris, il semblerait que le colis soit resté en cale, soit retourné en France, puis soit revenu au Canada où il parvint finalement à destination. La question de savoir comment des protestants fanatiques avaient pu apprendre la présence d'une statue emballée dans une caisse à fond de cale a été débattue plus tard à Saint-Boniface, lorsque les autorités ecclésiastiques ont introduit le procès de la statue miraculeuse. Il faut croire que les explications données furent plausibles, car le précieux trésor de Notre-Dame d'Auvergne reçut bientôt 40 jours d'indulgence pour quiconque l'invoquerait. La paroisse de Notre-Dame d'Auvergne, son curé et sa statue semblent avoir prospéré de 1908 à 1913, mais les documents sur cette période sont rares. Le 31 juillet 1911, la paroisse apprend avec un sentiment "de fierté, d'amour et de reconnaissance" l'élection de Mgr Mathieu comme évêque du diocèse, un sentiment qui ne sera pas partagé bien longtemps par l'abbé Royer, qui se plaint de la rapacité financière du nouvel évêque, ce qui l'oblige à établir en secret une double comptabilité paroissiale «si j'entre à la Caisse ce (qu'un voisin) me donne, l'Évêché exigera 10%, ce qui ne serait pas juste. On ne peut coopérer à un vol même fait par un évêque!» et auquel il reproche aussi à haute voix ses mandements de carême et autres qui ne sont pas de son goût. En 1912, de congé en France, l'abbé Royer visite la Congrégation de N.-D. de Chambriac et la persuade de lui envoyer des religieuses pour s'occuper de l'hôpital et de l'école, laquelle ouvre ses portes en 1913. C'est l'année également du "grand dérangement", lorsque le réseau de chemin de fer atteint la colonie. Le nouveau village s'appellera dorénavant: Ponteix. En 1916, on construit une seconde église sur le nouvel emplacement ainsi qu'un couvent, payé entièrement par la congrégation française. Un archevêque crucifiéC'est au cours de la première guerre mondiale et des années qui suivirent que la bonne Ste Vierge semble avoir mis à l'épreuve l'abbé Royer, lui envoyant entre autres les démons de l'envie et de la vanité. Le bon abbé Royer, dès les débuts de la colonisation, pensait parachever l'établissement au Canada par l'ouverture d'un Collège d'agriculture confié à une congrégation de bon renom. Son choix se porta naturellement sur les RR. PP. du St-Esprit qui l'avaient élevé et dont il connaissait les oeuvres universelles. Il savait de plus que des fonds considérables leur avaient été remis pour un Institut agricole au Canada, institut qu'ils avaient implanté près d'Ottawa, mais qui n'avait pas réussi, la région n'étant pas propice à la culture en grand. Il s'ensuivit une correspondance abondante entre Ponteix et Mgr LeRoy, supérieur à Paris de la Congrégation du St-Esprit. Mgr Mathieu, mis au courant des démarches, ne dit ni oui ni non, ce qui autorisa le bon abbé Royer à persévérer dans son dessein. «Je réfléchissais que votre oeuvre de Notre-Dame d'Auvergne» écrit Mgr LeRoy le 26 octobre 1916 «serait au fond une extension logique de celle de St-Alexandre (Ottawa). En dirigeant (les jeunes colons) vers votre centre de colonisation, nous réaliserons beaucoup mieux et beaucoup plus pratiquement l'idéal primitif. Et alors, en acceptant N.-D. d'Auvergne, nous ne sortons pas de notre but, nous y entrons.» Afin de mettre tous les atouts dans son jeu, notre prêtre missionnaire envoie également des offres aux clercs de St-Viateur à Paris et aux Frères des Écoles chrétiennes. Les deux ordres répondent qu'ils sont intéressés, mais que Mgr Mathieu à Regina leur demande à tous deux d'accepter son offre bienveillante d'établir un collège à Regina, et non à Ponteix, ce qui force les congrégations à renoncer au projet de N.-D. d'Auvergne. Une année plus tard, les choses ne vont pas mieux. Dans une lettre de Mgr Le Roy datée du 12 juin 1917, nous lisons: «Mais que voulez-vous? – Notre sphère d'action n'est plus de ce côté-là (...) On vient de nous charger de prendre en service religieux des colonies françaises concordataires 800,000 catholiques auxquels il faut des missionnaires.» Dans une lettre ultérieure, Mgr Le Roy précise que 46 membres de la Congrégation sont tombés sur le champ de bataille, et que la mission de succéder aux missionnaires allemands au Togo et en Afrique du sud-ouest est lourde. Devant le veto de Mgr Mathieu, le bon abbé Royer et tous ses paroissiens ne savent plus que penser. On a cependant entendu quelques rumeurs venant de Gravelbourg, disant que cette localité pourrait bien commencer quelque chose avant Ponteix, en utilisant le soubassement de la première église construite sous la poussée des Gravel. Il est décidé de mettre Mgr Mathieu au pied du mur, l'occasion étant les cérémonies de la bénédiction de la nouvelle église le 25 novembre 1917. Chose dite, chose faite. À la fin de la cérémonie, l'abbé Royer prend le taureau par les cornes et interpelle Sa Grandeur. Le résultat n'est pas exactement ce que Ponteix attendait: «Monseigneur semble pris au dépourvu, paraît embarrassé, s'embrouille avec les dates et les communautés, tourne et retourne sa bague, et laisse échapper des paroles qui vous blessent et alors ce, le oui qu'on le suppliait de nous dire n'est pas sorti.»
De retour à Regina, il envoie une lettre le 2 décembre au curé de Ponteix, que curieusement, il écrit Ponteiz dans toute sa correspondance. Après les remerciements d'usage et les protestations de profond attachement, il ajoute: «Une seule chose m'a mis dans l'embarras: c'est la demande de la fondation d'un collège à Ponteix. Depuis deux ans, je travaille à cette question d'un collège dans l'archidiocèse. À force de travail et de tact, j'ai fini par faire accepter l'idée d'avoir deux collèges, l'un où iraient nos français, et l'autre où se réuniraient les anglais et ceux qui veulent le devenir. Comme Gravelbourg est maintenant le centre français le plus important, je croyais que tous seraient heureux de voir le siège du collège français et comme personne ne m'avait manifesté le désir de le voir ailleurs, j'ai demandé au gouvernement de me donner l'acte d'incorporation (...) Il faudra trouver autre chose pour votre belle paroisse et travailler tous ensemble au succès de notre collège.» Il n'en faut pas plus pour faire monter la moutarde au nez du bon abbé Royer. Nous ne possédons pas de copie de sa lettre, mais les archives contiennent une réponse de deux pages de Mgr Mathieu. Dans cette missive, il mentionne le but à atteindre, l'obligation de mettre de côté les querelles de clocher, et revient longuement sur la question des deux collèges, destinés à «éviter les misères, les difficultés, les scandales que causent les prétendus collèges bilingues!» L'intérêt de cette lettre réside dans le fait que le bon abbé Royer a écrit en marge ses impressions «Fausse preuve! (...) Très beau, on leur paie le soubassement (à Gravelbourg)! (...) Faux! Voilà comment on ferme la porte à Ponteix! etc....» Lorsque Mgr Mathieu ajoute: «Si vous vous mordez, si vous vous dévorez ainsi réciproquement, songez que vous allez vous détruire» (Galat, v, xv), le bon abbé Royer réplique tout de go: «Sont plus coupables ceux qui donnent lieu aux divisions que ceux qui y combattent!» Bref, la guerre à couteaux tirés est déclarée entre l'évêque et son curé français, le plus abattu des deux semblant être, du moins par le ton de la correspondance, Mgr Mathieu. Il écrit le 30 décembre 1917: «Je ne puis m'empêcher de vous dire que vos dernières lettres m'ont abattu. J'étais trop fier de moi; Dieu a voulu m'humilier. (...) Mon seul désir sur terre est d'en sortir le plus tôt possible.» Dans une lettre de nouvelle année de Mgr Mathieu au curé de Ponteix datée du 5 janvier 1918, un archevêque de plus en plus crucifié écrit: «Je n'ai jamais plus désirer (sic) voir un autre prendre ma place et partir pour le grand voyage. Quand j'aurai disparu (sic), les fidèles, même ceux de Ponteix, comprendront mieux ce que j'ai fait (pour) ce diocèse auquel je n'ai rien coûté et auquel je n'ai voulu que du bien.» Le lecteur pourrait être amené à s'émouvoir sur le sort du premier archevêque de Regina et blâmer des prêtres tels l'abbé Royer de lui faire la vie dure. Un dicton populaire qui dit cependant: "long plaignant, long vivant" s'applique très bien à Mgr Mathieu, et ramène les choses dans une juste perspective. L'archevêque prêt à partir dès 1918 "pour le grand voyage" enterrera bel et bien le bon abbé Royer mort subitement le 22 septembre 1922 et vivra lui-même encore jusqu'en 1929. Le confident en coulisseIl nous reste encore à présenter le dernier personnage du western: le confident en coulisse. Ce dernier habite à Saint-Boniface, où il est prêtre au Juniorat de la Ste Famille. C'est l'abbé A.G. Morice qui semblerait avoir été d'origine française, et dont la vocation est d'être historien et conférencier. On lui doit un Dictionnaire historique du Canada, une Vie de Mgr Langevin et un ouvrage intitulé Aux sources de l'histoire manitobaine. Il aurait rencontré l'abbé Royer et découvert Ponteix lors de l'une de ses tournées de conférences. Dès ce moment-là, il est voué corps et âme au développement de cette colonie et informe fidèlement l'abbé Royer dans de longues lettres à l'écriture élégante de toutes les allées et venues des Gravel et de séides de Mgr Mathieu à Saint-Boniface. Exemple: lettre du 10 février 1918: «Serait-il possible que Mgr ne voulût pas vous laisser avoir même cet Institut? C'est difficile à supposer, excepté en prêtant à S.G. une aversion pour les ordres religieux dont elle a donné d'autres preuves. À mon humble avis, c'est cela plutôt qu'une antipathie pour les prêtres français.» Exemple: lettre du 6 avril 1918: «J'ai voulu parler de celui que vous n'aimez guère (Gravel Réd.) Nous avons eu sa visite il y a trois semaines. (...) C'est alors que pour la première fois, il perdit la tête et fit à votre endroit des menaces qu'il est, je crois, capable de mettre à exécution...» Exemple: lettre du 30 juillet 1918: «Car il est bon de vous dire que l'entreprenant M. Gravel nous est revenu, et même l'abbé Maillard était ici hier soir. Le premier ne repart que demain. Lui est venu dans l'intérêt de son collège. Par tout ce qu'il m'a dit, j'ai bien vu quelle était la source des renseignements de votre archevêque. Or donc, cher Monsieur, Mgr vous reproche inter alia, non seulement de monter votre monde contre Gravelbourg (procédé qui, assure-t-on, le scandalise), mais même contre l'autorité religieuse elle-même.» Avec un recul de quatre-vingt-dix ans, nous examinons les péripéties de ce western ecclésiastique avec un sourire amusé, mais passablement désabusé. Il s'en dégage quelques observations qui nous blessent le bât aujourd'hui encore. La première est la révérence marquée par la hiérarchie ecclésiastique d'alors envers l'argent. «Il est riche» dit-on à Saint-Boniface de l'abbé Gravel, et cela suffit à chasser de ses terres le premier occupant, l'abbé Royer. La seconde règle est qu'il est mauvais de s'opposer à son supérieur, car on aboutit à la situation de la fable de La Fontaine du pot de terre contre le pot de fer, le pot de fer étant Mgr Mathieu. La «realpolitik» de l'archidiocèse commandait qu'il n'y ait qu'un seul collège français en Saskatchewan, et ce collège ne pouvait être placé nulle part ailleurs qu'à Gravelbourg. Que le pot de terre, c'est-à-dire le bon abbé Royer, ait fait preuve de suffisamment d'initiative pour attirer successivement vers la nouvelle colonie trois congrégations religieuses, et ceci durant la période difficile de la première guerre mondiale, et qu'il ait bénéficié en plus d'un service d'espionnage et de renseignements bien monté à Saint-Boniface ne changeait rien à l'enjeu; les dés étaient pipés d'avance! La dernière règle est que les multiples luttes entre congrégations religieuses ou entre membres du clergé au cours du siècle passé pour des raisons de prestige ou d'influence furent toutes stériles et ont joué finalement au détriment du peuple de Dieu qu'elles étaient sensées servir. Un collège d'agriculture développé par une puissante congrégation religieuse aurait pu se développer à Ponteix en même temps qu'un collège classique à Gravelbourg. Classons donc, une fois n'est pas coutume, le bon abbé Royer et les paroissiens de Notre-Dame d'Auvergne parmi les bons, Mgr Mathieu et les Gravel parmi les méchants, et l'abbé Morice de Saint-Boniface quelque part dans un purgatoire bien tiède. Ponteix n'aura jamais par leur faute réussi à obtenir sa Congrégation ou son Collège, et ce ne fut certes pas faute d'essayer. Avouons cependant que la Congrégation qu'elle aurait pu avoir n'existerait probablement plus aujourd'hui, faute de personnel, et que le Collège construit par les RR. PP. du St-Esprit aurait souffert du développement de la faculté d'agriculture de l'Université de la Saskatchewan à Saskatoon. Il reste à Ponteix une statue très belle venue d'un lointain passé, chaînon vénéré d'une culture millénaire. N'est-ce pas là objectivement un trésor dont une communauté tout entière peut se montrer fier? Liste des documents utilisés dans le fonds Liboiron R-1167Correspondance de l'abbé Royer avec Mgr Mathieu, M. l'abbé A.G. Morice, les supérieurs des RR. PP. du St-Esprit, les clercs de St-Viateur, les Frères des Écoles chrétiennes. Les origines de la Paroisse Notre-Dame d'Auvergne, d'après un journal du fondateur, l'abbé A. Royer, 6 p., auteur et année inconnus. 25e anniversaire de la fondation de la paroisse de Notre-Dame d'Auvergne, 16 p., auteur et année inconnus. Notice historique sur les origines de l'antique statue de N.-D. d'Auvergne, rédigée par le Rév. Curé A. Royer, et publiée dans Le Patriote, 7 p., 1922. «Ponteix, Saskatchewan», La Presse, Montréal, 5 p., 14.1.1921. Premier livre de comptes de la Paroisse. Cet article a premièrement paru dans les actes du 10e colloque du Centre d'études franco-canadiens de l'Ouest, À la mesure du pays..., tenu à Saskatoon les 12 et 13 octobre 1990. Nous le reproduisons ici avec la permission de l'auteur et du CEFCO. M. Bernard Wilhelm, aujourd'hui à la retraite, a été professeur de français à l'Université de Regina. |