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La Saskatchewan du 20e siècle: mouvements de la population et le mythe de l'agriculture

par Simone Verville

Introduction

Lorsqu'il était revenu au pouvoir en 1878, le gouvernement conservateur de John A. Macdonald avait élaboré une politique nationale pour le développement économique du pays. Un élément de cette politique prévoyait un territoire dans l'Ouest canadien qui serait peuplé de fermiers pour servir les intérêts des centres industrialisés de l'Est. «Afin que le pays puisse devenir une puissance économique à l'échelle continentale, il importait de peupler le Nord-Ouest. Les hommes politiques considéraient cette région comme le futur foyer de millions de nouveaux Canadiens, comme source quasi inépuisable de matières premières et comme marché pour les industries de l'Est du pays. En fait, l'avenir du pays tout entier dépendait dans une large mesure des progrès accomplis dans l'Ouest.»1

À la fin du 19e siècle, une vaste campagne promotionnelle est enclenchée pour convaincre des gens d'Europe, des États-Unis et de l'Est du pays à venir peupler le territoire de la Saskatchewan. On leur offrait gratuitement 160 acres de bonnes terres arables; entre 1896 et 1929, un million de personnes sont venues s'établir dans cette province. La majorité des nouveaux arrivants s'établissaient à la ferme; l'attrait d'un homestead de 160 acres gratuits étant suffisant pour motiver des milliers à quitter leur pays d'origine et venir dans le Far West canadien.

Toutefois, dans la plupart des cas, les images d'une richesse facile ont prouvé être fausses; le mythe de l'agriculture ne pouvait pas être soutenu et, très vite, des milliers de colons ont songé s'éloigner de la ferme. Ce phénomène d'éloignement de la ferme se poursuit jusqu'à nos jours. La dépopulation rurale en Saskatchewan est due au fait que l'agriculture n'a jamais été une force motrice économique stable.

Chapitre un: Mise en contexte

En 1901, 84% de la population des districts de la Saskatchewan et d'Assiniboia (le futur territoire de la province de la Saskatchewan) vivait à la ferme. Quarante ans plus tard, la province demeurait une région rurale avec plus de 60% de sa population vivant en campagne. Toutefois, en 1951 il ne restait plus que 48% de la population en milieu rural et en 1991, 14,9% seulement de la population était impliquée à la ferme.

Les premières années du siècle avaient permis une certaine prospérité pour les fermiers de la province, si bien qu'en 1914, un article du Nationaliste de Montréal vantait les mérites de la Saskatchewan:

«La Saskatchewan: Du Nationaliste, de Montréal, un article de M. Adolphe Nantel. "La jeune et vaste province de Saskatchewan progresse rapidement et avant peu d'années, elle figurera au premier rang sur la liste des provinces conférées.

Actuellement, la Saskatchewan occupe la troisième place par sa population; elle a, en dix ans, surpassé la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'Île du Prince-Édouard, le Manitoba et la Colombie-Anglaise et compte aujourd'hui près de 691,000 habitants."»2

Cette croissance s'est poursuivie encore pour plusieurs années. En 1929, la population de la Saskatchewan avait presqu'atteint le million. Toutefois, la sécheresse et la crise économique des années 1930 avait mis un terme à cette prospérité et à la migration vers la Saskatchewan.

Il est toutefois intéressant de noter que le nombre de fermes en Saskatchewan continuait à grimper même durant les années de la dépression. Ce phénomène s'explique par le fait qu'il n'y avait pas d'autres alternatives pour le fermier parce que si le domaine agricole souffrait, l'économie du pays tout entier souffrait aussi. Les seules options étaient donc de demeurer dans la ferme ou de se réfugier dans un camp de hobo. Ce n'est qu'à partir de 1941 qu'on a commencé à voir une baisse dans le nombre de fermes.

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Type de publicité utilisé par le gouvernement et les compagnies de chemin de fer pour encourager les colons à venir s'établir dans l'Ouest (Archives de la Saskatchewan) 22.6 Kb

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la diminution du nombre de fermes à partir de cette date. D'abord, il y a eu un grand nombre de jeunes hommes de la Saskatchewan qui se sont enrôlés dans l'armée durant la guerre de 39-45. À la fin du conflit, beaucoup d'entre eux se sont dirigés vers les villes plutôt que de retourner à la ferme. Les années 1940 marquaient aussi le réel début de la mécanisation agricole; les moissonneuses-batteuses commençaient seulement à apparaître en grand nombre dans les Prairies après la guerre. Cette mécanisation a mené à de plus grandes fermes. Enfin, en Saskatchewan, c'est à partir de 1944 que la province a commencé à établir son réseau de grandes unités scolaires avec des écoles centralisées. Dorénavant, tous les jeunes de la campagne auraient accès à une éducation secondaire.

«Saskatchewan, too, underwent rapid change in the four decades after 1940 but, despite obvious similarities with Manitoba's experience, its differing heritage produced important variations in outlook and institutions. The most obvious parallel between the two provinces was in population change. Saskatchewan also ceased to grow in the 1930s; its population shrank steadily from 1936 to 1951 and stabilized between 900, 000 and 1,000,000 in the 1960s and 1970s – just where it had been in the 1930s. Similarly, the big-city share of the population – distributed between Regina and Saskatoon rather than concentrated as in Winnipeg – increased rapidly from 11 per cent in 1941 to 28.5 per cent in 1971... The corresponding decline in the rural population, was, as in Manitoba, an extraordinary development: in the most agricultural province of the nation, where 700,000 citizens, 8 in 10, had lived on farms and small villages in 1941, only 400,000, or just under 4 in 10, were classified as rural in 1981.»3

Le phénomène de dépopulation rurale a donc commencé durant la dépression et s'est poursuivi après la guerre de 39-45. Ce n'est pas une nouveauté des années 80 et 90. Toutefois, avec la campagne qui se vidait, l'agriculture ne jouait plus le rôle économique qu'elle jouait durant les années 20. Aujourd'hui, les revenus attribués à l'agriculture représentent moins de 40% de l'économie de la Saskatchewan.

«Saskatchewan's economy, despite these apparent signs of weakness, grew increasingly prosperous in the post-war decades and was, by the 1970's, one of the richest and most diversified in the country. Like the urbanization process, so the trend to wealth required difficult adjustments in a community grown accustomed to calamities during the 1930s. Just after the Second World War, 60 per cent of Saskatchewan's wealth was produced by agriculture, under 20 per cent by manufacturing, and less than 10 per cent by mining and other resource industries. By the late 1970s, the proportions had shifted dramatically: annual mining and natural resource revenue, led by potash, petroleum, and uranium, skyrocketed to about $1.5 billion, and its share of Saskatchewan wealth increased to about 27 per cent of the entire economy. Agriculture's share declined to under 40 per cent. Still unstable to some degree because it relied on world markets and prices, Saskatchewan's economy was neverthe-less infinitely healthier than it had been in the first half of the century because it had finally achieved a diversified base.»4

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La première tâche des colons était de «casser» la terre pour la préparer pour les semailles (Archives de la Saskatchewan) 14.9 Kb

Le mythe de l'agriculture, tel qu'il avait été avancé au début du siècle par les promoteurs des terres gratuites dans l'Ouest canadien (gouvernements, compagnies de chemin de fer et même le clergé catholique), a mené, tout au long du 20e siècle, à la désillusion et à l'éloignement de la ferme. Les nombreuses crises agricoles ont donc été la cause des nombreux «grands départs» vers les greener pasturesde la Rivière-la-Paix, la Colombie-Britannique, les chantiers pétroliers de l'Alberta ou les usines de l'Ontario. Next Year Country est devenu le slogan du monde agricole saskatchewannais, même quand l'économie était robuste.

Chapitre deux: La colonisation

«La défaite de Louis Riel à Batoche en 1885 marque la fin de l'ère nomade dans les vastes plaines de l'Ouest. Cette même année, le chemin de fer transcontinental est enfin terminé. Il peut mener les colons vers l'Ouest et transporter le blé vers l'Est. Voilà toutes les conditions en place pour permettre la colonisation de l'Ouest.»5

C'est seulement avec l'arrivée au pouvoir, en 1896, des libéraux de Sir Wilfrid Laurier que des efforts agressifs ont été entrepris pour peupler l'Ouest canadien. Le nouveau premier ministre avait nommé l'honorable Clifford Sifton du Manitoba comme son ministre de l'Intérieur. «Il se donne pour but de placer une famille sur chaque carreau de terre cultivable au Manitoba et dans les Territoires. Il réclame et obtient les moyens financiers pour atteindre son but.»6

Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, le gouvernement Laurier a hérité du système d'arpentage américain de townships ou canton de 36 sections d'un mille carré (640 acres) subdivisées en quatre carreaux de 160 acres. Ce système devait permettre aux nouveaux colons de facilement repérer leur homestead.

Des équipes d'hommes travaillaient depuis 1869 à arpenter les vastes terres cultivables du Nord-Ouest. Ils avaient commencé au Manitoba et se dirigeaient vers l'Ouest, s'assurant bien sûr d'arpenter premièrement les terres des compagnies de chemin de fer.

Dans les gouvernements de John A. Macdonald, le vieux guerrier s'était souvent donné le poste de ministre de l'Intérieur. L'immigration avait été lente et, à sa mort, la population des Territoires du Nord-Ouest était encore négligeable. Avec l'arrivée de Clifford Sifton, les choses allaient s'améliorer. Comme mentionné plus tôt, le nouveau ministre de l'Intérieur a réclamé et obtenu les fonds nécessaires à recruter de nouveaux colons. «D'à peine 120 000 $ qu'il était en 1896, le budget de l'immigration passe à 387 000 $ en 1899 et à 900 000 $ en 1905.»7

De grandes campagnes promotionnelles sont lancées dans l'Est du pays, aux États-Unis et en Europe. Le gouvernement est bien appuyé des compagnies de chemin de fer et, même, de l'église. Le clergé catholique de l'Ouest, avec l'appui d'Ottawa, a recours à des missionnaires-colonisateurs pour attirer des colons catholiques et français.

Un Oblat qui a joué un rôle important dans le recrutement de colons francophones est le rédacteur du Patriote de l'Ouest, Achille-Félix Auclair, o.m.i. En 1912, il a publié un article dans le journal invitant les Franco-Canadiens de la Saskatchewan à faire connaître l'Ouest. «Ne serait-il pas possible à chaque centre français de dresser une monographie ou description assez détaillée de la localité où les nôtres sont déjà établis ou commencent à s'établir, afin de faire connaître au loin tous les avantages de l'endroit? Nos compatriotes des États-Unis et de l'Est ne connaissent pas suffisamment l'Ouest: à nous de leur faire connaître.»8 Dans les mois qui suivirent, le père Auclair a publié de nombreux articles vantant les mérites de communautés comme Arborfield, Perigord, Delmas, Lac des Prairies (Meadow Lake) et Cadillac.

Les compagnies de chemin de fer accordaient des laissez-passer gratuits à des fermiers pour qu'ils puissent se rendre dans l'Est pour louanger les conditions de l'agriculteur de l'Ouest. Des trousses promotionnelles idéalisant la vie du fermier, avec des images comme celle ci-dessous, ont été publiées et distribuées librement.

On a aussi eu recours à des auteurs, comme Jean Lionnet, un Français, qui était le président de la «Canadienne» de Paris. Sous une forme un peu romancée, il a publié Chez les Français du Canada en 1906 dans lequel il initiait ses compatriotes aux coutumes du pays, aux méthodes de culture et à la vie journalière des colons. Une partie de ce volume a été reproduite dans le Patriote de l'Ouest entre le 30 novembre et le 21 décembre 1911 sous la rubrique Page à relire.

Azarie Gareau de Bellevue, un des premiers colons canadiens-français dans l'Ouest, a fait au moins un voyage de recrutement dans l'Est pour le compte d'une compagnie de chemin de fer (1893) et il a signé la lettre suivante qui était destinée au recrutement de colons en France.

«Je ne céderais pas mes propriétés pour cent mille francs.
Garonne, le 7 mars 1904

M.

Je suis venu m'établir ici en 1882, sur la Section 10, dans le Township 44, Rang 28, à l'ouest du 2e Méridien, dans la vallée de la Saskatchewan. Je venais alors de Chicopee-Falls, dans l'État de Massachusetts où j'ai demeuré douze ans. Je suis né à St-Jacques, dans le comté de Montcalm, dans la Province de Québec; j'avais seize ans quand je suis parti de là pour aller au Massachusetts. J'avais une centaine de dollars (Frs 500) quand je suis arrivé au Nord-Ouest; j'y ai toujours bien vécu et j'ai élevé ma famille d'une manière satisfaisante. J'ai onze enfants; mes fils sont tous établis ici et réussissent très bien.

Mes trois fils, lorsqu'ils ont été d'âge à prendre avantage des offres de terrain faites par le gouvernement du Canada, ont pris chacun un «homestead» qu'ils améliorent continuellement et sur lequel ils ont une vie heureuse.

Quant à moi, je possède 320 acres de belle terre. J'ai obtenu du Gouvernement sans aucun trouble, mes lettres patentes de ces terrains qui sont tous en culture et en pâturage. J'ai 46 têtes de bêtes à cornes, 15 moutons, 50 cochons. J'ai quatre paires de chevaux et de boeufs pour les travaux de la terre, ainsi que toutes les voitures et les instruments d'agriculture pour cultiver avec avantage.

Ma maison est finie en dehors et en dedans et est de 20 pieds sur 34. Je ne vendrais pas ce que j'ai en propriétés pour vingt mille dollars (cent mille francs). Mon adresse est le bureau de poste de Garonne, Saskatchewan, Canada. Je suis moi-même le maître de poste.

Le terrain ici donne en récoltes, sur un grand champ, de 25 à 30 minots de blé à l'acre, de 60 à 70 minots d'avoine, de 50 à 60 minots d'orge, de 400 à 500 minots de pommes de terre, tous ces produits sont de première qualité. Je suis plus que satisfait d'être venu ici. Je n'en veux pas partir, mes enfants non plus.

Le climat est très salubre et la température est loin d'être aussi dure que certaines personnes, qui ne connaissent pas le pays, se plaisent à le représenter. Il n'y a pas de différence notable entre la température du Bas-Canada et celle d'ici.

Azarie Gareau
Garonne, Saskatchewan, Canada»
9

Le gouvernement, les compagnies de chemin de fer et le clergé avaient un autre outil pour aider avec leur campagne de promotion: les «batteux». Chaque automne, les fermiers de l'Ouest avaient besoin d'une main d'oeuvre pour aider avec la récolte. Des dizaines de milliers de jeunes hommes étaient recrutés dans les villes et les campagnes des Maritimes, du Québec et de l'Ontario pour venir aider avec la récolte. En 1912, le Patriote de l'Ouest estimait qu'il faudrait environ 70 000 batteux dans les Prairies. «Le sous-ministre de l'Agriculture en Saskatchewan dit qu'il faudra pas moins de 26 000 hommes. On croit qu'en tout 100 000 hommes pourront trouver de l'emploi dans l'Ouest cet automne.»10 Tous espéraient que ces jeunes hommes prendraient le goût de l'Ouest et choisiraient d'y rester comme homesteader.

Au début du siècle, bien sûr, la politique canadienne d'immigration était basée sur l'acceptabilité des colons. En Europe, les agents d'immigration cherchaient d'abord des Anglais, des Allemands, des Scandinaves, des Finlandais, des Hollandais, des Belges, des Français et des Suisses. Il s'agissait là de colons désirables. Ceux qui étaient acceptables étaient les Ukrainiens, les Polonais, les Russes et les Hongrois. Parmi les indésirables, il y avait les Grecs, les Turcs, les Arméniens, les Italiens, les Bulgares, les Syriens et les «Jaunes».

Et, ils sont venus par milliers, répondant ainsi à l'appel de Clifford Sifton.

«C'est entre 1902 et 1919 qu'une grande partie du sol de la Saskatchewan a été cassé et mis en culture. Alors que moins d'un demi-million d'acres de terre étaient ensemencés en blé en 1901, il y en avait 22 fois plus en 1919, et les emblavures dépassaient pour la première fois le chiffre des 10 millions d'acres.»11

La population de la province passe de 91 279 en 1901 (77 013 vivaient en milieu rural) à 757 510 en 1921 (538 792 vivaient en milieu rural), une augmentation de 830% en vingt ans. Toutefois, la vie à la ferme ne faisait pas nécessairement le bonheur de tous. Alors que 84,4% de la population vivait en milieu rural en 1901, le pourcentage était de seulement 71,1 en 1921.

Déjà en 1921, plusieurs homesteaders avaient abandonné la terre pour s'établir confortablement dans les villes et villages et s'adonner à un métier autre que l'agriculture. Richard Lapointe, dans La Saskatchewan de A à Z, soulève le cas de Paswegin, un district dans la région de Wadena où plusieurs agriculteurs avaient abandonné leur homestead avant d'obtenir le titre de leur propriété. Jean-Baptiste Villeneuve était un colon de Paswegin. Il a abandonné son homestead après quatre ans parce que le terrain était trop alcalin.

Dans ses recherches généalogiques, Laurier Gareau a tracé les mouvements d'un nommé Alexandre Gareau entre 1913 et 1920. Jeune homme célibataire de 20 ans de l'Ontario, il avait inscrit le 9 avril 1913 à Prince Albert sa demande de concession pour le carreau NE-13-48-12-W2 près d'Arborfield dans la région nord-est de la Saskatchewan. Il a abandonné ce homestead et, en 1918, un nommé Campbell a inscrit le même carreau. Campbell n'est resté sur ce carreau qu'un an et, en 1919, c'était au tour à un Bousquet à inscrire le carreau NE-13-48-12-W2 comme homestead.

En 1918, Alexandre Gareau, maintenant âgé de 24 ans (et marié), a inscrit une nouvelle demande de concession, cette fois pour le carreau NE-20-24-22-W3 dans la région d'Eston dans le sud-ouest de la province. Une fois de plus, Alexandre Gareau n'est pas resté sur son homestead assez longtemps pour y obtenir les lettres patentes. En 1920, il a déménagé à nouveau pour s'établir cette fois au nord de Prince Albert dans la région de Whitfield. En 1947, c'était un autre déménagement pour la famille d'Alexandre Gareau. Cette fois, il a quitté la province pour s'établir définitivement à Le Pas au Manitoba.

Il est possible de relever des milliers d'histoires comme celle-ci. «On a calculé qu'entre 50 et 60 p. 100 des homesteads de la Saskatchewan ont ainsi été abandonnés à un moment ou à un autre.»12

Un autre facteur qui entre en jeu est la décision d'ouvrir à la colonisation le fameux triangle de Palliser. En 1859, le capitaine John Palliser avait décrit un triangle allant d'Emerson au Manitoba jusqu' aux Rocheuses et vers le nord jusqu'à 200 milles de la frontière américaine comme étant un désert. Il avait reçu l'appui de l'archévêque de St-Boniface, Mgr Taché. «In 1868 Archbishop Taché declared much of the prairie was infertile.»13 Cette déclaration de Mgr Taché semble avoir été faite pour décourager l'immigration de colons de l'Est: l'archevêque espérait encore garder le terrain pour les Métis et les Indiens. Cette affirmation viendrait nuire aux efforts de colonisation francophone dans l'Ouest au début du 20e siècle. Il y avait des membres du clergé québécois qui ne voulaient pas voir leurs ouailles quitter le Québec et ceux-ci utilisaient les commentaires de Mgr Taché pour les décourager.

Quelques années plus tard, en 1881, lorsque vient le temps de fixer le tracé du Canadien Pacifique, le gouvernement demande au botaniste John Macoun de revisiter le triangle de Palliser. Dans son rapport, Macoun écrit que «the so-called Palliser's Triangle was not as arid as previously depicted and indeed, was 'well suited for agriculture.'»14

L'histoire a prouvé que les trois hommes avaient raison. Lorsque les pluies viennent, le triangle de Palliser peut-être «well suited for agriculture», mais quand vient la sécheresse, la région devient vite un désert. On a beaucoup parlé de la grande dépression des années 30, mais les cultivateurs du triangle n'étaient pas nécessairement surpris quand la sécheresse a sévi en 1929.

«Toutefois, il serait faux de dire que la sécheresse est arrivée tout d'un coup en 1929. En réalité, la région qu'on connaît sous le nom de Triangle de Palliser avait été frappée par des sécheresses depuis le début de la colonisation. Entre 1916 et 1926, quelque 6 460 fermes furent abandonnées dans le Triangle de Palliser.»15

Il n'est donc pas surprenant que la Première Guerre mondiale soit vue, pour certains colons, comme une bénédiction; l'enrôlement dans l'armée leur permettra d'échapper à la terre avec son isolement, son dur labeur et ses multiples crises.

«Au Canada, on ne tarde pas à s'inscrire dans l'armée du pays. Pour des milliers de réservistes français de Saint-Brieux, White Star, Ponteix et Meyronne, pour n'en nommer que quelques-uns, l'appel aux armes veut dire l'enrôlement dans l'armée de France. Il s'agit souvent de noms disparus des bottins de téléphone de la Saskatchewan car nombreux sont ceux qui ne reviendront pas dans les prairies de l'Ouest canadien. Certains perdront la vie sur les champs de bataille d'Europe, tandis que d'autres en auront eu assez de la vie de colon en Saskatchewan.»16

Par contre, d'autres colons français auront une surprise quand ils reviendront de la guerre en 1918. «Mais, pour certains réservistes français, le retour au Canada sera moins joyeux. Durant leur absence, le Bureau des terres du Dominion aura donné leur terrain à d'autres, croyant que leurs homesteads avaient été abandonnés. C'est une autre raison qui motive des Français à quitter définitivement le pays pour la France.»17

Malgré cela, la guerre de 14-18 allait avoir des bénéfices pour les fermiers de l'Ouest. La Première Guerre mondiale crée un marché d'exportation pour le produit des fermiers saskatchewannais. Même si elle crée une prospérité en Saskatchewan, cette demande ne pouvait qu'exercer une pression sur les fermiers qui se voyaient forcés à agrandir leur territoire cultivable et à adopter une nouvelle technologie. Une certaine hiérarchie s'installait et il devenait très évident que les fermiers n'auraient plus tous les mêmes opportunités. De plus, cette richesse allait se dissiper très rapidement avec la quasi sécheresse entre 1919 et 1924. Ça serait la fin de l'expérience agraire pour bien des homesteaders.

«All farmers, rich or poor, confronted a different circumstance after the First World War. They had once been in the van of economic progress, the admired pioneers of empire and nation; now they were perceived to be slow-witted, eternally bitching "sons of the soil". They had once possessed political influence; now they had to fight for every adjustement in national economic policy. Farmers, whatever their social status, were beginning to see themselves as a distinct "class" in the 1920s.»18

Les années 1920 étaient un mélange de prospérité et de crises économiques pour les fermiers de la Saskatchewan. Même si le nombre de fermes continuait à augmenter durant cette période, l'immigration avait presque arrêtée et la croissance démographique avait maintenant plus à voir avec les naissances que les arrivées d'immigrants.

Notes et références

1 Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1986, p. 44.

2 Le Patriote de l'Ouest, le 26 mars 1914, p. 1.

3 Friesen, Gerald, The Canadian Prairies: A History, Toronto: The University of Toronto Press, 1984, p. 22.

4 Ibid., p. 422 et 423.

5 Poliquin, Eric, Le Patriote de l'Ouest et les grands événements du 20e siècle, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1997, p. 15.

6 Lapointe et Tessier, op. cit., p. 48.

7 Ibid., p. 48.

8 «Que pensez-vous du projet?», Le Patriote de l'Ouest, le 5 septembre 1912, p. 1.

9 Lettre obtenue des Archives de la Saskatchewan.

10 «La récolte de blé en Saskatchewan», Le Patriote de l'Ouest, le 1er août 1912.

11 Lapointe, Richard, La Saskatchewan de A à Z, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1987, p. 28.

12 Ibid., p. 6.

13 Moon, Robert, This is Saskatchewan, Toronto: The Ryerson Press, 1953, p. 53.

14 Friesen, Gerald, op. cit., p. 179.

15 Irène Coupal-Trudeau, «La Saskatchewan française», Sciences humaines, Matériel d'appui, Ministère de l'Éducation, de la Formation et de l'Emploi de la Saskatchewan, 1995, Volume 3, p. 42.

16 Gareau, Laurier, «La guerre de quatorze», L'Eau vive, 31 août 1995.

17 Ibid.

18 Friesen, Gerald, op. cit., p. 320.

(À suivre dans le numéro de septembre)

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