| ||||||||||||
| ||||||||||||
Maurice Baudoux
La crise économique des années 1930 s'est doublée d'une longue sécheresse dans les Prairies et elle a frappé d'une manière particulièrement dure l'élément franco-saskatchewannais. Outre le triste cortège de misères personnelles et sociales – pauvreté générale, chômage chronique, endettement excessif des agriculteurs, exode rural, perte de dignité et d'espoir, éclatement des familles – qui a touché les ethnies à peu près également, elle a amené le départ d'une proportion importante de l'élite franco-catholique. Tous les vides dans ses rangs compromettaient gravement les chances d'avenir de la minorité. Ceux de l'élite qui étaient restés se virent alors bien obligés d'ajouter à leurs charges celles que les autres avaient abandonnées à leur départ. C'est habituellement dans de telles circonstances que les grands hommes se manifestent, et Mgr Maurice Baudoux a alors prouvé qu'il était l'un des «géants» de tout l'Ouest canadien. Maurice Baudoux naît à La Louvière, en Belgique, le 10 juillet 1902. Son père possède une brasserie qui sera détruite par un incendie quelques années plus tard; il s'occupe aussi du commerce des chevaux. C'est à la suite d'une visite au kiosque canadien de colonisation lors d'une foire internationale tenue à Bruxelles que la famille prend la décision d'émigrer vers l'Ouest canadien. Elle s'établit en 1911 dans la région de Hague, près de Rosthern. Les parents s'accommodent mal de l'enseignement à l'école locale, avec peu de français et encore moins de religion; ils décident bientôt que le jeune Maurice sera pensionnaire au couvent de Howell. Mais comme les religieuses refusent d'accepter les adolescents, il faut d'abord convaincre la Mère Supérieure que le garçon qu'on lui présente un beau matin n'a pas treize ou quatorze ans comme sa haute taille le laisse supposer, mais tout juste dix. La discussion se termine sur un compromis: on prendra le jeune Maurice à l'essai pendant deux semaines. Les espiègleries et les tours pendables de ce maladroit dégingandé, qui trébuche sur ses lacets de bottines et qui a un grand rire sonore, ont tôt fait de convaincre les Soeurs que c'est bel et bien à un garçonnet qu'elles ont affaire! Le curé du village, l'abbé Constant Bourdel, accueille le jeune homme au presbytère en 1916, lorsque celui-ci est devenu trop âgé pour demeurer au couvent. Il lui enseigne aussi le latin, pour le préparer aux études classiques, car son protégé possède de grands talents et sa vocation sacerdotale s'affirme déjà. En 1919, c'est le départ pour le Petit Séminaire et le Collège de Saint-Boniface, afin d'entreprendre le cours classique, terminé au Séminaire d'Edmonton. Après des études de théologie à Edmonton et à Québec, Maurice Baudoux est ordonné prêtre à Prud'homme – c'est le Howell de sa jeunesse – par l'évêque de Prince-Albert, Mgr Joseph-Henri Prud'homme, le 17 juillet 1929. Le lendemain de son ordination, le nouveau prêtre est nommé vicaire à Prud'homme et lorsque l'abbé Bourdel décide de prendre sa retraite deux ans plus tard, il lui succède à la tête de la paroisse. Les fonctions qu'il occupe bientôt dans la hiérarchie diocésaine sont aussi nombreuses qu'importantes: membre de la Cour matrimoniale, directeur diocésain de l'enseignement catéchistique, consulteur du diocèse et, après le démembrement du diocèse de Prince-Albert, notaire de la cour matrimoniale du nouveau diocèse de Saskatoon et, à partir de 1944, administrateur général du diocèse, Il reçoit aussi le titre de Prélat domestique. En plus de sa charge pastorale et de ses responsabilités diocésaines, l'abbé Baudoux ne refuse jamais de mettre ses immenses talents au service des associations de regroupement national. Il est vice-président de l'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan de 1931 à 1935, président en 1935 et 1936, puis secrétaire-trésorier général jusqu'en 1943, en plus de présider le comité de l'Enseignement du français depuis sa fondation en 1931. S'il s'occupe d'abord et avant tout des besoins spirituels de sa communauté, il ne néglige pas non plus le côté matériel. Il est invité à se joindre à une grande marche sur Ottawa, organisée par les Wheat Pools en 1942, alors que 450 délégués font part au Cabinet fédéral des doléances des producteurs de blé de l'Ouest. L'abbé Baudoux prononce alors une allocution devant le premier ministre King et ses principaux ministres réunis au Château Laurier. On raconte qu'à la porte de la salle des congrès où devait avoir lieu la réunion, on demande à l'abbé, dont la haute taille autant que le collet romain attirent l'attention, ce qu'un prêtre peut bien venir faire là-dedans. «Vous savez, répond-il sans hésitation, c'est justement ce que j'étais en train de me demander!» C'est surtout l'oeuvre de la radio française qui a fait connaître l'abbé Baudoux. On l'a d'ailleurs surnommé «le père de la radio française dans l'Ouest». Il raconte les débuts de l'aventure: «Je ne suis pas le seul à y avoir travaillé. Je ne suis pas le premier non plus. Il y en a d'autres qui ont commencé bien avant moi et j'ai pris en quelque sorte la relève à un moment donné. Ce qui est arrivé, c'est que pour nous qui étions des provinces des Prairies, nous ne pouvions guère penser, à ce moment-là, à avoir du français à la radio et, de fait, nous en avions très peu. «Et il en a été ainsi même quand Radio-Canada a pris la relève de la Commission Canadienne de la Radiodiffusion et quand Radio-Canada a établi son premier poste dans l'Ouest, à CBK-Watrous. «Je pense que le point tournant dans toute l'histoire de la Radio-Ouest Française a précisément été cette rencontre qui a eu lieu à Prud'homme en 1941, à la mi-août: deux délégués du Manitoba, deux de l'Alberta et deux délégués de la Saskatchewan, M. Antonio de Margerie et moi, nous nous sommes réunis pendant deux jours, à Prud'homme, au presbytère de Prud'homme où je me trouvais. Nous avions fait des efforts depuis plusieurs années déjà pour avoir plus de français à la radio, mais on n'avait presque rien. Alors on a décidé, puisque Radio-Canada ne voulait pas nous en donner... la pensée nous est venue qu'il fallait que nous établissions nos propres postes... que nous n'aurions jamais que la part du pauvre à ce poste CBK-Watrous. «C'était certainement un rêve que nous tenions en quelque sorte entre nos mains. Pour nous, ce n'était pas un rêve en l'air; c'était un rêve qui pouvait se réaliser et qui devait se réaliser. Quelles étaient les modalités, nous n'en étions pas trop sûrs. Mais il fallait avoir au moins un poste pour chacune des trois provinces.» Les essais techniques allaient bientôt démontrer qu'il fallait avoir deux postes en Saskatchewan, le premier à Gravelbourg et le second dans le nord, non pas à Prince-Albert comme on l'avait d'abord cru, mais plutôt dans les environs de Saskatoon. L'abbé Baudoux fut nommé mandataire d'un organisme interprovincial appelé la Radio-Ouest Française, fondé en janvier 1944 et chargé d'entreprendre les démarches nécessaires pour la construction et l'exploitation des quatre postes de l'Ouest. Pendant de nombreuses années, l'abbé Baudoux se dépensera sans réserve aucune; multiples voyages dans l'Est pour intervenir auprès du Bureau des Gouverneurs de Radio-Canada, correspondance fournie vers tous les coins du pays, interventions auprès de tous les niveaux de gouvernement, étude et rédaction de mémoires, mise sur pied de campagnes de souscription pour le financement des postes. Comme le rappelle M. Raymond Marcotte, aujourd'hui vice-président associé de Radio-Canada à Ottawa, l'abbé Baudoux ne compte pas ses heures: «Combien de fois ai-je été servir la messe, durant le carême, à six heures le matin, six heures et demie le matin et, passant devant le presbytère, je voyais encore la lumière dans le bureau de monsieur Baudoux pour la simple raison qu'il avait passé la nuit blanche à préparer des mémoires, à dresser des listes de contribuables éventuels à la radio française de l'Ouest.» En 1948, alors que la victoire dans la lutte pour l'obtention des permis de radio paraît de plus en plus certaine, Maurice Baudoux est nommé évêque du nouveau diocèse de Saint-Paul, en Alberta. Il prend pour devise Superimpendar, c'est-à-dire «je me dépenserai tout entier». Le nouvel évêque n'en continue pas moins de contribuer à l'oeuvre de la radio française dans la mesure où ses nouvelles charges le lui permettent. Le 12 mars 1952, il devient archevêque-coadjuteur de l'archidiocèse de Saint-Boniface. C'est à ce même moment que se réalise enfin le rêve depuis longtemps caressé. Radio-Canada vient d'accorder les permis aux deux postes de la Saskatchewan; ceux du Manitoba et de l'Alberta diffusent déjà depuis quelques années. C.F.R.G., Radio-Gravelbourg, entre en ondes le 1er juin 1952 et C.F.N.S., Radio-Prairie Nord, le 6 novembre de la même année. On songe même à choisir les lettres d'appel C.H.B.D. pour le poste de Saskatoon, dans le but de marquer toute la valeur de la contribution de Mgr Baudoux, mais c'est ce dernier lui-même qui y oppose son véto. Il a néanmoins l'honneur et la joie d'être présent aux cérémonies officielles d'ouverture des deux postes et de bénir les locaux. En septembre 1955, il succède à Mgr Arthur Béliveau à la tête de l'archidiocèse de Saint-Boniface. Président de la Conférence canadienne des évêques en 1962-1963, il prend sa retraite en 1974. Il est nommé officier de l'Ordre du Canada en 1979, quelque temps avant d'entreprendre en compagnie de sa soeur Mariette qui l'a soutenu durant toutes ces années, un long voyage dans sa Belgique natale. Mgr Baudoux est décédé le 1er juillet1988. (citations: enregistrement d'un programme-souvenir (R-8625) aux Archives provinciales; Si la radio m'était contée, no 19, 14 août 1980; renseignements: La Liberté et le Patriote, 11 février 1942, p. 6, 20 août 1948, p. 1 et 29 octobre 1948, p. 11; Life As It Was, Prud'homme History Committee, Prud'homme, 1981, pp. 120-123) |