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Maurice Courteau


Le trop-plein de la population franco-québécoise s'est pendant très longtemps déversé aux États-Unis. On calcule qu'entre 1820 et 1930, plus de 750 000 Québécois ont ainsi «pris le chemin des États». Mais le clergé catholique soutenait que l'esprit matérialiste régnant outre-frontière était contraire à l'esprit catholique et que la seule vocation de la nation canadienne-française était la culture du sol. De nombreux missionnaires-colonisateurs tentèrent donc, avec relativement peu de succès, de «rapatrier les exilés» et de les regrouper dans des centres ruraux de l'Ouest canadien.

Durant l'hiver 1909-1910, les quelque 35 000 Canadiens français de New Bedford, au Massachusetts, accueillent à la salle de la Société des Francs-Tireurs deux conférenciers venus d'Ottawa. L'abbé Philippe-Antoine Bérubé et Romulus Laurier, neveu du premier ministre, dans des discours à l'emporte-pièce, vantent les terres situées dans le district de Debden, nouvellement ouvert à la colonisation dans le Nord de la Saskatchewan. Bon nombre de leurs auditeurs, lassés du travail monotone dans les «moulins», se laissent convaincre et partent au printemps de 1910 sous la direction de l'abbé Bérubé. Maurice Courteau, né dans le comté de Lotbinière le 28 septembre 1889, est du nombre. Orphelin dès son jeune âge, il travaille dans une manufacture de chaussures de New Bedford, tout en suivant des cours à l'école du soir.

À la fin d'avril 1910, le groupe se met en route et se joint à un autre à Montréal, pour former un contingent de plus de 400 personnes. Ce nombre augmente à mesure que le train avance vers l'Ouest, en passant par Chicago, Duluth et Winnipeg. À Prince-Albert, on compte tout près de 800 personnes. Le train s'arrête enfin à Shellbrook, terminus de la ligne, où les colons s'organisent en caravane, avec l'abbé Bérubé à leur tête, pour partir à la recherche de terres. Mais le sol est sablonneux, couvert de gros trembles et peu propice à la culture; on entend d'abord quelques vagues grommellements, puis des récriminations plus violentes et c'est bientôt la révolte ouverte. Quelques fortes têtes menacent même de faire un mauvais parti à l'abbé Bérubé. Une dizaine de colons à peine se prennent des terres dans les districts visités, tandis que le gros de la caravane revient à Prince-Albert. Bon nombre s'en retournent aussitôt aux États-Unis, ceux-là ne feront pas de propagande pour le Canada...

Maurice Courteau est néanmoins décidé à se trouver une terre dans une région plus propice à l'agriculture. Il se rend tout d'abord dans un district situé à une trentaine de kilomètres au nord-est de Humboldt. Des colons de langue française – des Philippe, Lemaire, St-Denis, Gosselin, Brindamour et Faucoup entre autres – s'y sont installés depuis 1904 environ. Le jeune homme s'y réserve un homestead le 11 juin 1910. Mais quelques jours plus tard, après une nuit pluvieuse durant laquelle il a cherché refuge dans une «grainerie», il ouvre les yeux sur un spectacle désolant: une grande partie de son carreau est transformée en lac. Il signe immédiatement une formule d'abandon et prend une autre concession à la mi-juillet dans le district d'Arborfield, où plusieurs membres du contingent de New Bedford se sont entre temps établis. Un Canadien français du nom de Émard, installé là depuis plusieurs années, les y a menés.

Le travail dans les manufactures ne l'a pas préparé à la culture de la terre, il s'en rend bien compte, et Maurice Courteau commence son apprentissage en faisant les battages à l'ouest de Saskatoon, le long de la ligne principale du Canadien Nord. Il revient au printemps 1911 et construit une cabane en «croûtes», afin de satisfaire aux conditions d'obtention du homestead. L'hiver suivant, il travaille dans les camps de bûcherons à Bannock, non loin du village actuel de Mistatim.

Le défrichement et l'essouchement des terres avance plutôt lentement: c'est que les nouveaux venus n'ont pas l'argent nécessaire pour faire appel aux services de «syndicats», qui défrichent et cassent le sol avec de puissantes machines à vapeur, d'ailleurs encore rares dans cette région de la province. Lorsqu'il soumet sa demande de lettres patentes en janvier 1914, Maurice Courteau n'a cassé que 20 acres en tout. Les colons cultivent surtout de l'orge pour l'engraissement des porcs, de l'avoine pour le soin des chevaux et un peu de lin. Au printemps de 1915, Maurice et son frère Raymond sont les premiers à semer du blé, cinq acres chacun, même si l'on est encore loin du chemin de fer et qu'on est forcé de livrer le grain à Tisdale, à 30 kilomètres vers le sud-ouest: c'est une expédition de deux jours. Les résultats sont prometteurs et, en 1916, Maurice achète pour plus de 1000 $ un carreau contigu au sien. C'est à peu près à cette époque que la première batteuse fait son apparition dans le district. À partir de ce moment, les agriculteurs se tournent progressivement vers la culture du blé, sans abandonner complètement l'élevage.

Après son mariage avec Desneiges Raby en 1917, il continue à exploiter ses terres. Quand le seul magasin du district est détruit lors d'un incendie en 1922 et que son propriétaire décide de ne pas le reconstruire, Maurice Courteau saisit l'occasion et ouvre un petit magasin dans une pièce de sa maison. Il est en même temps concessionnaire de la compagnie Imperial Oil. Le magasin est situé en face de l'église et les familles y achètent les provisions essentielles après la messe du dimanche. Les affaires marchent bien, quoique ce ne soient pas les inconvénients qui manquent. Au printemps ou après une pluie, il faut se servir d'une pelle pour enlever la boue collante – ce fameux gumbo – qui forme une croûte épaisse sur le plancher.

M. Courteau a, comme on dit familièrement, la «bosse du commerce». En 1928, le Canadien National lance une voie ferrée en direction d'Arborfield à partir de sa ligne de Hudson Bay. Il se fait immédiatement construire un magasin, près de la gare, sur le site du nouveau village de Zénon Parc. Le magasin général Courteau, avec son fronton caractéristique des magasins dans les villages des Prairies, sert encore au commerce de nos jours. Dès que le tracé est connu, Maurice et son frère Raymond font venir des arpenteurs de Saskatoon afin de diviser leurs terres en lots. À cette époque, Maurice a déjà 250 acres en culture et il s'apprête, selon les rapports, à en casser encore au moins une cinquantaine. L'année suivante, quatre élévateurs dressent leur silhouette dans le ciel; il n'est plus nécessaire de passer un jour ou deux sur la route pour aller livrer son grain en chariot. Après avoir déversé leur grain à l'élévateur, les fermiers viennent aux provisions au magasin Courteau, et les affaires ne s'en portent que mieux.

Lorsque les habitants du district, menés par son frère Raymond, forment un nouvel arrondissement scolaire au village, c'est Maurice Courteau qui fait le don d'un terrain de deux acres et demi pour y construire l'école. Il sera d'ailleurs président de la commission scolaire de 1934 à 1948.

Sans pour autant abandonner la ferme, Maurice Courteau s'occupe de plus en plus activement de son commerce. Durant la crise économique des années 1930, l'agriculture rapporte peu, même si les récoltes sont encore bonnes dans cette région de la province où les pluies sont plus régulières et abondantes. Comme les agriculteurs n'ont presque pas d'argent comptant, il faut bien s'accommoder de l'ancienne formule du troc. Maurice Courteau accepte à peu près n'importe quoi en échange de marchandises diverses. Il accumule ainsi plus de trois quarts de million de «pieds» de planches, 450 charges de bois de chauffage, bon nombre de chevaux et de bêtes à cornes, plus de 100 cochons et une bonne quinzaine de graineries pleines à craquer de blé, d'orge, d'avoine et d'autres grains. Il accepte aussi les oeufs à 10 ou 20 sous la douzaine; le beurre vaut 15 sous la livre même s'il y a quelquefois tellement peu de preneurs qu'on est forcé de le donner aux cochons!

À l'automne de 1964, Maurice Courteau décide que le moment est venu de prendre sa retraite. Il cède le magasin général à l'un de ses fils et il donne ses lots encore invendus au village de Zénon Parc. Il meurt le 1er octobre 1977, à l'âge de 88 ans.

(renseignements: Hier, Aujourd'hui, Zenon Park History Book Committee, Zenon Park, 1983, passim; Homestead Files et entrevue Raymond Courteau aux Archives provinciales)

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