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Napoléon Couture


Les chefs provinciaux de la minorité franco-saskatchewannaise avaient reçu pour la plupart une éducation supérieure et ils étaient prêtres, avocats, médecins ou commerçants. Mais aux niveaux régional et local, ce n'étaient pas toujours les plus instruits qui contribuaient avec le plus d'ardeur et de constance à la vie communautaire. Un des exemples les plus frappants est celui de Joseph-Napoléon Couture qui, malgré son manque d'instruction, a laissé son empreinte puissante sur le village de Ferland.

Né à Saint-Ferdinand d'Halifax dans le comté de Mégantic le 18 février 1883, il est tôt forcé d'interrompre ses études élémentaires pour prendre du service comme apprenti charpentier-menuisier. Il a néanmoins appris à lire et il est doué une belle intelligence et d'une insatiable curiosité. Au fil des ans, ses lectures lui permettront d'acquérir des connaissances étendues dans plusieurs domaines. En 1907, il épouse Rose-Aimée Morin. Au printemps de 1910, Napoléon Couture entreprend le voyage vers les terres à blé de la Saskatchewan; il s'y réserve un homestead et une préemption à quelques centaines de mètres à l'ouest du site actuel de Ferland. Un petit cours d'eau, le ruisseau McDonald, court au milieu de ses terres. À cette époque, Ferland est plutôt situé à quelques kilomètres vers le nord et le district où il s'est établi portera bientôt le nom de Fournierville. Napoléon revient en mai 1911, accompagné de son épouse et de leurs deux jeunes enfants.

Il construit de suite une maison de bois et «casse» quelques acres de terre, tout juste le nombre requis pour obtenir les lettres patentes de son homestead en 1914. Durant la morte saison et d'autres périodes où le travail de la ferme presse moins, il reprend le marteau et l'égoïne. Comme il sait dresser et lire des plans, on se dispute ses services aux quatre coins du district. Il dirige les travaux de construction du presbytère et de l'église de Ferland, ainsi que du presbytère de Meyronne. Les nouveaux arrivants lui confient souvent la construction de leurs maisonnettes; elles n'ont rien de luxueux mais grâce au talent de leur constructeur, elles sont solides et confortables durant les grands froids. En octobre 1915, un violent feu de prairie détruit une partie de sa récolte et, ce qui est plus grave, tous ses outils de charpentier, achetés ou fabriqués depuis qu'il est apprenti.

Au printemps de 1924, afin d'assurer à ses enfants une éducation française et catholique, Napoléon Couture part s'installer à Albertville, petit village de langue française situé à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Prince-Albert. Il y exploite une forge. C'est durant son séjour à Albertville que son épouse meurt prématurément. L'aînée des filles, Liliane, prend alors charge de la maisonnée, afin que la famille ne soit pas dispersée. M. Couture et ses huit enfants reviennent à Ferland au printemps de 1927. Il ouvre «La Forge de Ferland» tout près de l'église, qui se trouve encore en rase campagne. Lorsque le Canadien Pacifique construit un embranchement jusqu'à Mankota en 1928, on déménage le village de Ferland sur l'ancien site de Fournierville et le forgeron y traîne lui aussi sa boutique.

Napoléon Couture est un musicien au talent surprenant. Maître-chantre pendant de nombreuses années, les catholiques de la région se souviennent encore des magnifiques messes de Noël qu'il dirige. Tous ses enfants font aussi partie du choeur de chant. Violoneux attitré des réunions de famille dans toute la région, bien rares sont ceux qui peuvent s'empêcher de taper du pied, de giguer et de se lancer dans un joyeux set de danses carrées lorsque son archet commence à sauter sur les cordes.

L'oeuvre de l'Association Catholique Franco-Canadienne et celle du journal franco-saskatchewannais, Le Patriote de l'Ouest, lui tiennent particulièrement à coeur. Président du comité local de l'A.C.F.C. pendant plusieurs années, il est aussi chef de région et délégué à de nombreux congrès provinciaux. Il lit avidement les colonnes du Patriote et s'occupe de sa diffusion dans la région; il offre aussi un abonnement à tous les nouveaux mariés de la paroisse.

Il ne se désintéresse pas non plus du progrès matériel de Ferland. Lorsque les agriculteurs de Ferland et du district voisin de Kincaid prennent la résolution de mettre sur pied un district rural de téléphone en mars 1917, Napoléon Couture est choisi comme premier secrétaire de la compagnie. Il apporte aussi sa contribution à la fondation d'une caisse populaire et occupe un temps le poste de président.

«Il fut pendant plusieurs années juge de paix de la localité. Cependant, il présida à ce tribunal de justice très rarement. Partisan de la paix et de la bonne entente, il tâchait, avant que les partis en litige en appellent à son tribunal, de régler le différend d'une manière amicale et en dehors du tribunal. Il tâchait de faire comprendre aux intéressés qu'une action en dommage devant le tribunal, ou toutes autres réclamations légales devant un tribunal de justice causeraient beaucoup plus de mésententes et de malaises qu'une entente à l'amiable en dehors de la cour. Il y réussissait presque toujours.»

Lorsque les francs-tenanciers décident de bâtir une église plus spacieuse au printemps de 1946, ils se tournent encore une fois vers Napoléon Couture. La nouvelle église doit être érigée sur le site de l'ancienne, et le maître d'oeuvre dirige une équipe d'ouvriers bénévoles qui se charge de la démolition et de la préparation des fondations. Après un bref temps d'arrêt à cause des semailles, les travaux se poursuivent jusqu'aux moissons. Mais le vieux charpentier, miné par la maladie, est forcé de remettre la direction des travaux à un autre. Le chantier est fermé vers le milieu de décembre, à cause du froid et de la neige épaisse.

Lorsque Napoléon Couture meurt subitement le 23 janvier 1947, on organise une corvée; les travaux de construction sont repris la journée même et menés avec toute la célérité nécessaire pour que les funérailles de celui qui avait construit le premier temple de Ferland puissent être célébrées dans la nouvelle église.

(citation: Adrien Chabot, Aperçu historique de Ferland, s.l., 1961, p. 26; renseignements: Adrien Chabot, op. cit., passim; La Liberté et le Patriote, 21 février 1947, p. 6; dossier Couture, collection personnelle de Raymond et Noëlla Girardin, Gravelbourg)

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