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Jules Decorby, o.m.i.«Ti-Père» l'appelaient les Métis. Starouska, «le p'tit vieux», l'avaient surnommé les Ruthènes. De très petite stature – à peine 1,60 m – ce n'était ni le courage ni l'endurance qui faisaient défaut au père Jules Decorby, o.m.i. Il oeuvra pendant tout près d'un demi-siècle dans les missions indiennes et métisses de l'Ouest et mourut encore plus pauvre qu'il était venu. C'est en Ardèche, près de Viviers, que Jules Decorby est né le 3 mars 1841. Ordonné prêtre le 24 mai 1867 à Autun, il part aussitôt pour le Canada. De Montréal à Saint-Paul du Minnesota, il voyage par chemin de fer, se rend jusqu'à Fargo en charrette à boeufs et atteint Saint-Boniface en bateau à aubes. Après un premier hiver à Saint-Norbert, il est dépêché à Saint-Florent, à 500 kilomètres plus à l'ouest; l'endroit est aujourd'hui connu sous le nom de Lebret. Il y travaille pendant douze ans, d'abord seul, puis avec d'autres Oblats, dont les pères Lestanc et Hugonard. Pendant plusieurs années à partir de 1874, il hiverne avec les chasseurs de bisons sur les plaines, partageant avec eux un mode d'existence à la veille de disparaître à tout jamais. «La distance de la mission Saint-Florent à la montagne aux Cyprès est à peu près de 250 milles anglais. Tout dernièrement, en faisant le voyage, après une centaine de milles, je rencontrai des troupeaux innombrables, paissant tranquillement dans les gras pâturages des vallées. À peine arrivé, je dus partir pour la rivière au Lait pour assister une petite fille qui se mourait et qui réclamait ma présence. Son père m'avait envoyé sept chevaux, avec recommandation de ne pas les ménager et de bien organiser mes relais. Nous avons mis deux nuits et une journée pour nous rendre et trois jours pour revenir. Eh bien! tout ce long trajet s'est accompli au milieu des animaux de la prairie; aussi loin que le regard pouvait atteindre, on n'apercevait que des masses noires se mouvant sur le fond blanc du lac (?) couvert de neige. «Mais, dites-vous, les voyages doivent être bien dangereux au milieu de semblables hôtes. C'est ici qu'apparaît la bonté de Dieu, et aussi que se manifeste la royauté de l'homme. Le boeuf des prairies, qui, provoqué, fait voler en l'air son adversaire comme une balle élastique, le broie sous ses pieds et lui laboure les flancs de ses effroyables cornes, n'a pas même l'idée de se mesurer avec l'homme, si ce dernier ne lui cherche pas querelle. «Pendant que le chasseur court la prairie à la poursuite du buffalo, le missionnaire visite les nombreux hivernements pour s'y occuper du salut des âmes. En arrivant, son premier soin est de faire la revue des consciences, car si ces braves gens n'ont pas toujours la chance d'avoir un prêtre avec eux, en compensation ils savent profiter de son passage pour recevoir les sacrements. Mais la grande occupation, c'est le catéchisme; occupation laborieuse de toutes façons, les enfants de la prairie étant loin d'avoir l'intelligence ouverte aux choses de la foi comme les enfants des écoles. Le jour se fait progressivement dans les esprits; on prend goût à l'étude de la religion, et vient enfin un moment où l'on peut annoncer une fête de première communion. C'est une grande joie pour tout le camp; on se prépare à cette solennité et on déploie à la célébrer toute la pompe possible. «La visite des malades est encore une des grandes sollicitudes du missionnaire; ce devoir prend beaucoup de temps et exige des voyages à de grandes distances. J'ai fait quelquefois plus de 200 milles anglais pour aller assister des mourants, le visage fouetté par la neige et au milieu des rafales. Aussi quand, les vêtements couverts de glace, après deux ou trois jours de marche dans la solitude, après avoir erré et souvent perdu sa voie, on voit enfin apparaître la ligne des bois, on éprouve comme un sentiment de délivrance. Auprès d'un bon feu on oublie toutes les souffrances, et on prépare l'entrée du ciel à quelque moribond qui soupirait après l'arrivée de son consolateur, le prêtre.» Après une douzaine d'années de ministère auprès des Indiens de la vallée Qu'Appelle et des Métis dans leurs hivernements, le père Decorby est envoyé au Fort Ellice, devenu depuis Saint-Lazare, au Manitoba. Il y demeure pendant quinze ans et c'est à partir de ce point qu'il rayonne à des distances considérables; il jette les fondements de paroisses à Lestock, au Lac-Croche (aujourd'hui Marieval), au Fort Pelly et beaucoup plus loin vers l'ouest, à Willow-Bunch, à Moose Jaw, à Swift Current. La population qu'il dessert autour de Saint-Lazare comprend des éléments de plusieurs tribus indiennes et de différents groupes ethniques européens. Le «P'tit Père» parle couramment trois langues indiennes en plus du français, et il baragouine trois ou quatre autres langues européennes. Le père Decorby passe ensuite au diocèse de Prince-Albert, où il fonde la mission indienne de Saint-Philippe-de-Néri près de Kamsack. Les pionniers de la région se rappellent encore de ce tout petit homme à la barbe grise, invariablement vêtu d'un vieille soutane élimée et portant un grand chapeau pour se protéger du soleil et des intempéries. De nombreuses histoires circulent aussi à propos de son moyen de transport favori et du joyeux abandon avec lequel il martyrise la langue anglaise. Il vaut la peine de rapporter l'une d'entre elles. Il ne se déplace qu'en voiture à cheval, si c'est ainsi qu'on peut appeler la misérable guimbarde, le buckboard, dont il se sert habituellement. Le cheval n'est jamais le même d'un voyage à l'autre, car ce sont les Indiens qui lui prêtent une fois un vilain canasson si maigre que les côtes lui percent les flancs et une autre fois un petit bronco capable de galoper pendant des heures sans s'essouffler. À l'arrière de la voiture, une vieille malle attachée avec des courroies rafistolées contient son autel portatif et ses vêtements. Un jour, près de Langenburg, un Britannique tout frais arrivé de son île, tiré à quatre épingles et qui a tout l'air d'un milord, est témoin d'une scène curieuse. Une vieille voiture à cheval semble abandonnée au milieu d'un étang et un curieux petit personnage en soutane mène par le licou un poney indien jusqu'au bord de l'eau. Il retrousse sa soutane qu'il passe sous son large ceinturon, enlève ses bas et ses «chaussures de boeuf», et force le poney à reculer entre les brancards de la voiture. Là, le missionnaire fait un noeud dans la queue du petit cheval, y noue ensuite un bout de corde solide dont il attache l'autre extrémité à la caisse de la voiture. D'un voix forte, il lance un commandement en langue indienne pendant qu'il relève les brancards. Le poney se met aussitôt à tirer et en peu de temps, la voiture est sur la terre ferme. Le Britannique qui s'étonne d'un tel procédé reçoit l'explication suivante: «Oui, oui, you make shag pull by tail, he pull good, you make him pull by collar, he balk fo'sure, oui, oui.» (Par la queue, le poney tire fort, avec le collier, il refuse c'est certain.) Quelques années plus tard, avec l'amélioration du service ferroviaire, le père Decorby voyage plus souvent en train, quoiqu'il se plaigne sans cesse des inévitables retards sur l'horaire: «Oui, oui, mon poney au moins était toujours à l'heure, oui, oui.» La dernière grande entreprise de l'Oblat est la construction d'une école indienne à la mission de Saint-Philippe-de-Néri. Il doit lui-même aller à de grandes distances dans les bois afin de trouver des arbres de dimensions suffisantes pour les pièces maîtresses de la charpente. Après seize ans à Saint-Philippe, il se retire d'abord à Saint-Laurent, au Manitoba, puis à Saint-Boniface, où il décède le 16 octobre 1916 à l'âge de 75 ans. (Citation in extenso: Les Cloches de Saint-Boniface, vol 15, no. 21 et 23, pp. 361-365, 380-382; citations et renseignements: Saltcoats Roots and Branches, Saltcoats and District Historical Society, 1982, pp. 241-243) |