Drapeau fransaskois le Musée Virtuel Francophone de la Saskatchewan
Accueil Musées Pionniers Récits Anecdotals Archives et Folklore Parlure Fransaskoise
Accueil Musées Pionniers Récits Archives Parlure
 
 

Eugène Durette


La structure organique de l'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan a subi des modifications plus ou moins profondes au cours des années, mais il est juste de dire que l'A.C.F.C. a toujours été un organisme fortement centralisé, pour la bonne raison que le poids du nombre constituait, avec l'appui des nationalistes québécois, la seule arme véritable de la minorité franco-saskatchewanaise. Pour faire le lien avec les troupes dans les différents districts éparpillés au sud comme au nord, l'exécutif s'en remettait à un «chef de région», étroitement identifié à l'association. Dans la région d'Ormeaux-Debden, Eugène Durette «était» l'A.C.F.C.

Eugène Durette (ou Duret) est né près des Trois-Pistoles le 28 mars 1894. Son père, Éloi, était l'un des premiers colons du district de la Rivière aux Coquilles, aujourd'hui Shell River, recrutés par l'abbé Philippe-Antoine Bérubé en 1910. Le 8 avril 1911, Éloi réserve un homestead pour son fils, alors âgé de 17 ans, à peu de distance au sud-ouest du site actuel d'Ormeaux. Dès ses 18 ans révolus, Eugène Durette signe la formule d'entrée du homestead; il en obtiendra les lettres patentes trois ans plus tard. Pendant quelques années, le jeune homme s'occupe à défricher ses terres et mettre sur pied une ferme rentable; la culture du sol demeurera toujours son occupation principale. En 1920, il épouse Éveline Gagnon, d'origine québécoise elle aussi; ils élèveront une famille de trois garçons et deux filles.

A-t-il longtemps fréquenté l'école au Québec ou a-t-il acquis, à force de lectures, de solides connaissances dans plusieurs domaines d'intérêt vital pour la minorité franco-catholique? On ne le sait de façon précise. Quoi qu'il en soit, le jeune homme se lance d'emblée dans les luttes nationales. Il occupera au cours des ans plusieurs postes au sein de l'A.C.F.C. et de l'Association des Commissaires d'École Franco-Canadiens de la Saskatchewan. Il fait également sa part pour l'Interprovinciale, un organisme voué au recrutement d'instituteurs et d'institutrices bilingues.

Eugène Durette prétend ne posséder «aucun talent en composition», mais il n'hésite pas à prendre la plume pour faire valoir son point de vue alors qu'un grand débat sur l'avenir du peuple canadien français s'engage vers le milieu des années 1920. Plusieurs hommes politiques et intellectuels du Québec soutiennent que «les Canadiens français de l'Ouest comme ceux des États-Unis sont perdus pour la race», que le Québec est la seule vraie patrie et qu'il faut par conséquent se «confiner toujours dans ses limites». En avril 1925, Eugène Durette expédie au Patriote de l'Ouest une lettre dans laquelle il tente de réfuter la thèse de la forteresse-Québec. Il est convaincu, affirme-t-il, que les Canadiens français sont chez eux «partout dans notre belle grande patrie canadienne»:

«Ce que je veux réfuter surtout ou plutôt relever, c'est l'insulte à nous Canadiens français de cette partie du Canada, qui avons conscience de travailler ici à l'extension du rayonnement français et catholique.

«Eh bien je considère que nous sommes chez nous dans l'Ouest, en Ontario, sur les bords du Pacifique comme de l'Atlantique et comme dans Québec notre berceau.

«Devons-nous et pouvons-nous tous rester au berceau? Il semble que comme il faut que le fils se détache de sa famille pour en fonder une autre, de même des rameaux du grand arbre français québécois doivent s'en détacher et aller prendre racine un peu partout dans notre Canada, et étant soutenus, aidés, encouragés, comme le fils de son père, ils se fortifieront, grandiront pour la gloire et l'honneur de l'Église et la race.

«Le Canada entier nous réclame, il faut que l'influence, la bienfaisance, comme la beauté de la culture catholique et française rayonnent partout et ce doit être notre rôle assigné par la Providence. Peu importe les persécutions que nous subissons parfois de majorités hostiles, ça ne nous est souvent que d'un heureux stimulant.

«Nous prétendons ici compter comme soldats franco-catholiques, tout en assumant le rôle d'humbles artisans de la terre.»

Au cours des ans, Eugène Durette continue son travail pour l'A.C.F.C. et l'A.C.E.F.C.; durant la crise économique des années 1930, il contribue largement de sa poche et il réussit par son exemple et ses arguments à convaincre les franco-catholiques de la région de Debden de continuer à faire leur part généreuse pour assurer le financement des associations nationales. Lors des campagnes de souscription en faveur de la radio française, il travaille de concert avec Mgr Maurice Baudoux et d'autres chefs de file. Encore là, le succès des campagnes dans la région de Debden est au moins en bonne partie le résultat de ses efforts.

En 1951, Eugène Durette et son épouse prennent leur retraite au village de Debden. Il pourra désormais consacrer plus de temps aux causes nationales, dont le financement du Collège Notre-Dame de Prince-Albert et le camp d'été Notre-Dame à Victoire.

En 1962, il accepte de rédiger l'historique de la paroisse de Victoire; il avait d'ailleurs toujours conservé «un grand attachement à cette paroisse pour laquelle il s'était tant dévoué.» D'aucuns auraient pu se contenter de dresser des listes de noms, d'indiquer une série de dates et d'événements, mais M. Durette donne à cette plaquette une saveur toute particulière grâce au choix des sujets et à la manière de les traiter. Avec une sympathie évidente et un souci remarquable du détail et de l'inusité, il décrit les premières années de la colonie établie dans les bois du Nord.

Il affirme que le district est depuis longue date d'expression française, car ce sont des Michifs qui s'y sont établis les premiers. «C'était intéresssant de causer avec ces braves gens qui avaient hérité de la finesse et du pittoresque de leurs ancêtres français et indiens. Ils jouissaient de la plus complète liberté et de tout l'espace. C'était agréable d'entendre ces gens dire: Rivière aux Coquilles, Lac du Poisson Blanc, Lac des Sables, Grande Rivière, Lac Vert pour Shell River, White Fish Lake, Sandy Lake, Big River, Green Lake.»

Les premiers colons s'abritent d'abord sous la tente, puis se construisent bientôt des maisonnettes. «Après la tente vinrent les habitations en bois rond aux toits de mousse et de tourbe. Tout alla bien dans ces camps; le premier hiver c'était chaud, confortable, même pittoresque. En l'été 1910, tout se passa sans accident, car il n'y eut que quelques courts orages, mais en 1911, après deux ou trois jours de pluie, la tourbe se détrempa et ce fut une pluie boueuse à l'intérieur des camps; l'on montait la tente, s'abritait de parapluies, de toiles cirées, d'imperméables. Lorsque venait le beau temps il fallait laver, sécher, nettoyer. C'était de rudes épreuves ou expériences, mais avec les rayons du soleil la gaieté et la bonne humeur revenaient vite et régnaient en maîtresses.»

Bien sûr, l'endroit était un peu isolé au début. «Il fallait donc de 15 à 20 jours pour recevoir les lettres et les journaux de Québec. Les bons partisans Bleu ou Rouge étaient heureux lorsqu'arrivait «Le Soleil», «L'Événement», «Le Canada», «La Patrie»: les nouvelles intéressaient tout le monde et on pouvait discuter avec animation des événements vieux d'un mois. Que voulez-vous? C'était du nouveau pour les colons.»

Les incidents amusants ou cocasses ne manquaient pas. «Quant aux toilettes, ces bonnes gens ne pouvaient se payer de luxe. Il fallait faire durer les habits aussi longtemps que possible. La pluie de 1911 avait ruiné bien des toilettes. Une bonne dame se trouvait pratiquement sans chapeau; dans ces temps héroïques les femmes ne se coiffaient jamais à la mode indienne. Cette dame dit donc à son mari et à son fils qui allaient à Prince-Albert: «Vous m'apporterez un chapeau pas trop cher et convenable.» Ces messieurs réussirent à en trouver un à bon marché. C'était un gros chapeau en forme de marmite et entouré de fleurs. La bonne dame portait cela alternativement avec ses deux fillettes.»

Ce n'étaient pas les moyens de s'amuser qui faisaient défaut à cette époque. «Il n'y avait pas de problème de ce côté-là. L'été on s'amusait en famille, entre voisins au dehors; des jeux, des tours de notre invention, nous avions même vu des grands gars faire des courses sur les clôtures en perches entourant les jardins, bel entraînement d'équilibriste. En hiver, parties de cartes, danses rondes, tours de force, d'adresse où chacun devait chanter sinon donner un gage qui se rachetait en exécutant la pénitence imposée: tourner l'écuelle, Madame demande sa toilette, courir le lièvre, couper le ruban, embrasser celui ou celle que l'on aimait le mieux, si nous étions alors dans l'embarras l'on embrassait maman.»

Dans cette partie du parkland, les vieilles traditions du Québec se maintenaient plus vives que dans d'autres régions. «Parmi toutes les traditions que les pionniers apportèrent du Québec, il fait bon se rappeler la criée pour les âmes en novembre. Chacun à son tour apportait une volaille, un sac de pommes de terre ou autres légumes, etc, pour être vendu à l'enchère après la messe le dimanche. Entendu que les recettes étaient destinées à faire dire des messes pour les défunts.»

Quelques années après la publication de cet historique, l'état de santé de M. Durette l'oblige à s'installer chez un de ses fils à Saskatoon. C'est là qu'il décède le mardi 21 janvier 1969, à l'âge de 75 ans.

(citations: La Liberté et le Patriote, 11 septembre 1964, p. 9; ibid., 12 fèvrier 1969, p. 8; Victoire (Saskatchewan) 1912-1962, Cinquantes années de vie religieuse et paroissiale, s.é., s.l.n.d., aux Archives provinciales)

Retour