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Joseph FournierLes collines Pasquia marquent la limite approximative des terres arables en direction du nord-est. C'est à leur pied, dans une région fortement boisée et encore sauvage, que se sont établis plusieurs colons d'origine québécoise et franco-américaine au début du siècle. L'un d'eux, Joseph Fournier, est devenu trappeur et traiteur de fourrures.
On sait peu de choses au sujet de l'enfance de Joseph Fournier, sauf qu'il est né en 1890 et qu'il a grandi dans le comté de l'Islet. Il aurait quitté l'école à l'âge de 12 ans pour devenir marin comme son père. Sur une goélette affectée au cabotage le long du fleuve et jusqu'aux provinces maritimes, il aurait même accompli un voyage, en contournant le Labrador et l'Ungava, jusqu'à la baie d'Hudson et au port de Churchill, d'où allait être expédié beaucoup plus tard un petite partie du blé de l'Ouest canadien. C'est en 1910 que Joseph Fournier arrive dans l'Ouest. Il fait partie d'un groupe de colons formé par l'abbé Philippe-Antoine Bérubé et qui doit s'établir dans les cantons récemment arpentés dans les districts d'Arborfield et de Zénon Park. Le jeune homme se réserve un homestead en avril 1911; il s'y est déjà construit une cabane. Il y réside jusqu'à ce qu'il en obtienne les lettres patentes en juin 1914, sauf pendant les quelques mois où il se joint à une équipe d'arpentage dans les forêts du Nord. Les colons en sont encore à leurs débuts et ils n'ont à peu près rien: quelques outils, un chariot, une paire de boeufs ou de chevaux et, la plupart du temps, un fusil. Lorsqu'il s'installe pour de bon sur sa concession à cinq kilomètres au nord-ouest de l'emplacement actuel d'Arborfield, c'est en bonne partie les produits de la chasse qui forment le menu ordinaire. Souvent, de grand matin, il part, fusil sous le bras, vers les collines Pasquia; dans une vallée qu'il connaît bien, il est assuré de trouver du gibier. Après une «trotte» de plusieurs dizaines de kilomètres, il abat un chevreuil, le dépèce et, quartier sur l'épaule, il revient à son shack. Ce n'est rien. Le bureau de poste et magasin général le plus proche est à Tisdale, à 40 kilomètres du homestead. Un jour, il s'y rend à pied, prend son courrier, achète un sac de farine de cent livres (50 kilos) et revient à la maison, toujours à pied, sac de farine au dos. Une telle endurance physique étonne; mais toute sa vie durant, Joseph Fournier accomplira des exploits semblables. Au printemps et à l'été, il voyage souvent en canot, car les routes et les pistes sont primitives. L'hiver, il préfère l'attelage à chiens.
Vers 1913, le jeune homme commence à trapper dans les districts avoisinants. Au début, c'est surtout le prix intéressant de la fourrure qui l'attire, mais il se découvre bientôt une passion pour la nature et la vie au grand air. Sur sa ligne de trappe, il dispose des pièges à castor, à belette, à loup, à rat musqué et à ours. Ce sont les Indiens de la région qui lui enseignent, dit-on, les arcanes du métier. En trappeur avisé, il évalue à chaque année la population animale de la région et détermine en conséquence le nombre d'animaux qu'il piégera. Il assure ainsi le maintien des espèces animales et, par le fait même, son gagne-pain. En 1919, Joseph Fournier épouse Thérèse Lacroix, venue de France quelques années plus tôt. Il se livre de plus en plus sérieusement à la traite des fourrures après avoir ouvert un petit magasin sur sa terre. Dix ans plus tard, la famille part s'installer à une quinzaine de kilomètres vers l'est, tout à fait au pied des collines Pasquia, à un endroit appelé Connell Creek. Après y avoir construit une maison-magasin, Joseph Fournier entreprend à chaque hiver une longue tournée vers les réserves indiennes situées le long du cours inférieur de la rivière Carotte, jusqu'à son confluent avec la rivière Saskatchewan à Le Pas. Il part à la barre du jour, avec son attelage de chiens. La traîne est chargée de farine, de sucre, de thé, de bacon, de verroterie et de tissu, le tout solidement arrimé. Chaque chien peut haler l'équivalent d'une quarantaine de kilos. Dès que le cri «marche» est donné, les chiens s'élancent sur la piste et la traîne, dont on a soigneusement enduit les lisses de parafine la veille, dérape à chaque tournant, en projetant de grands éventails de neige poudreuse. Après quelques kilomètres, les chiens perdent un bonne partie de leur fougue et ils adoptent bientôt le «p'tit trot» qui leur permet de couvrir près de cent kilomètres par jour. Le voyage dure plusieurs jours et, la nuit, les chiens se reposent, attachés à un arbre, pendant que le trappeur entretient le feu, s'assoupissant de temps à autre pour se réveiller dès que les flammes donnent moins de chaleur. À chaque printemps, il trappe une quinzaine d'ours dans les collines Pasquia. On prétend qu'il aurait une fois aperçu un ours grizzly dans la région, mais cela demeure impossible à prouver, puisqu'il n'en a jamais tué un.
L'été, les Cris des réserves viennent camper près du magasin pour échanger leurs fourrures et quelques produits d'artisanat, pendant que les hommes s'engagent chez les fermiers des environs pour «stouquer» la récolte ou défricher un plan de terre. Il n'est pas rare de voir 12 invités à la table des Fournier. Durant les années 1930, un groupe d'Indiens de la région de Nut Lake vient même bâtir sur sa terre des huttes dans lesquelles ils s'abritent pendant la saison de chasse et de cueillette des racines de sénéca. En 1948, Joseph Fournier place une série de pièges à loups dans les collines, comme il a coutume de le faire à chaque année. Il a la surprise de sa vie quand il découvre qu'un «cougar», s'est pris la patte dans un des pièges. L'animal, pesant tout près de 70 kilos, n'a rien perdu de son instinct combatif; il tente de s'élancer sur le trappeur, mais celui-ci réussit à l'éviter et à l'abattre de deux balles de carabine. C'est apparemment le plus gros cougar jamais abattu en Saskatchewan et il est conservé au Musée d'Histoire naturelle de Régina. Durant les dernières années de sa vie, Joseph Fournier collectionne plusieurs sculptures sur bois des Bourgault, une famille d'artisans établie à Saint-Jean-Port-Joli, au Québec; la pièce la plus remarquable est une réplique aux dimensions impressionnantes de la Dernière Cène. Il aurait voulu faire peindre par un ami, missionnaire en Afrique, une toile représentant les collines Pasquia et devant servir d'arrière-plan pour sa collection. Mais il meurt en 1978, avant que le projet devienne réalité. (renseignements: dossier Jos. Fournier aux Archives provinciales) |