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Pearl Fournier


Pearl Miella Kemp est née le 26 avril 1907 à Montebello, village situé à mi-chemin entre Montréal et Ottawa, sur la rive gauche de l'Outaouais. Avant-dernière d'une famille de six enfants, elle passe les étés sur la ferme, mais la famille toute entière se réfugie à Montréal pour l'hiver, autant à cause de l'état de santé de la mère que des obligations professionnelles du père. Éduquée dans la métropole chez les religieuses des Saints Noms de Jésus et Marie, elle termine ses études à l'école normale et enseigne deux ans dans des villages du Québec.

L'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan s'occupe activement à cette époque du recrutement de maîtres et de maîtresses d'école pour les districts de langue française. Et c'est du Québec que viennent les plus gros contingents. Pearl Kemp accepte donc l'invitation de venir enseigner en Saskatchewan. Elle arrive en 1928 et s'inscrit aux cours de l'École normale de Régina afin d'obtenir un brevet d'enseignement pour la province. En juin 1929, elle accepte un poste à l'école de Ferland. On peut facilement s'imaginer la réaction de cette jeune Québécoise, habituée aux paysages verdoyants de l'Outaouais, se voyant soudain transplantée dans une région qui commence déjà à souffrir de la sécheresse. Sa première classe n'est pas une sinécure non plus: 38 élèves en tout, de la première à la dixième année. C'est une école de campagne et comme c'est la coutume dans bien des districts, la maîtresse pensionne un mois chez l'un et un mois chez l'autre, question d'alléger pour le plus grand nombre possible de contribuables le fardeau des taxes scolaires.

Comme bien d'autres maîtresses d'école venues du Québec, Pearl Kemp fait la connaissance d'un jeune homesteader à son goût; après quelques mois de fréquentations, elle épouse Aristide Fournier le Jour de l'An 1930. Raymond Denis rappelle souvent que si les maîtresses qui se marient sont perdues pour l'enseignement, elles ne le sont pas pour l'influence française dans l'Ouest car elles renforcent par leur fécondité les rangs franco-catholiques.

L'année de son mariage, elle continue l'enseignement et l'école de Ferland ouvre ses portes pour la session d'hiver le 27 janvier: c'est un peu court comme «lune de miel», mais le devoir appelle l'institutrice. Dans les écoles de la campagne et des petits villages, des liens beaucoup plus étroits que ceux qui existent de nos jours se tissent entre les élèves des différents groupes d'âge et aussi avec la maîtresse. Les plus grands aident souvent les plus petits et il se trouve toujours une âme charitable pour prendre sous son aile un enfant plus craintif ou moins doué et ainsi faciliter la tâche de l'institutrice. L'un des grands plaisirs de tout ce petit monde, c'est la présentation de concerts pour un auditoire de parents. Des talents cachés se révèlent au grand jour et tel enfant normalement si réservé se révèle un joyeux luron. Le Patriote de l'Ouest rapporte que cette année-là, «le 13 avril, à l'école Ferland, Mme Aristide Fournier et ses élèves donnaient un concert comprenant trois pièces principales: Le Lait, La Poupée Malade, J'ai mal aux dents.»1

Quelques mois plus tard, Mme Fournier doit partir pour Montréal, «afin d'aller voir son père qui est gravement malade.»2 Elle ne reviendra que beaucoup plus tard à l'automne, ayant donné naissance à son premier enfant là-bas. Il lui faut alors renoncer à l'enseignement. Comme le rappelle son mari, les temps sont difficiles: «On n'était pas riches; ce n'était pas le temps de faire de l'argent pendant 10 ans, de 1930 à 1940, ça n'a pas été trop trop rose. On n'a pas eu à se plaindre, parce qu'à ce moment-là, on était jeunes et chanceux aussi nous autres, parce que j'avais le bureau de poste. J'avais un petit magasin que j'ai commencé à ce moment-là. Parce qu'il fallait gagner sa vie d'une façon ou d'une autre. Ma femme avait soin des maîtresses d'école, deux maîtresses d'école qui pensionnaient ici. Elles nous donnaient une piastre par jour pour pension et chambre, le lavage et ainsi de suite. Ça, ça nous aidait à mettre du pain sur la table. Durant ce temps-là, on avait un enfant tous les deux ans, on a eu cinq ou six enfants durant ce temps-là. On n'était pas riches, mais pas d'inquiétudes...»3 Les Fournier élèveront une belle famille de huit enfants. M. Fournier explique, avec une pointe d'humour: «on en a eu huit: quatre garçons, quatre filles. On était assez têtus, ma femme et moi, qu'on n'a jamais arrêté tant qu'on n'a pas été égaux...» 4

La principale qualité de Mme Fournier, c'est le don de soi, qui se manifeste dans une disponibilité qui ne semble pas avoir de limites. Ainsi, lors des élections faisant suite à la formation d'un cercle local des Dames de Sainte-Anne à Ferland le 16 août 1931, elle est élue première secrétaire du cercle. Pendant de nombreuses années, tant que le mouvement durera, elle sera du nombre et contribuera autant que le lui permettront ses responsabilités familiales et ses tâches au magasin et au bureau de poste.

La Fédération des Femmes Canadiennes-Françaises avait été créée à Ottawa au début de la Première Guerre mondiale dans le but de préparer des colis destinés aux soldats. Ses objectifs s'étaient rapidement étendus, d'abord à l'aide aux victimes de la guerre, puis à la préservation de la foi, de la langue et des moeurs franco-canadiennes, et à l'harmonie entre les races au Canada. Elle avait adopté pour devise: «Pour nos foyers». Un cercle avait ensuite été fondé à Gravelbourg à la mi-octobre 1930, avec la bénédiction du premier évêque du diocèse, Mgr Rodrigue Villeneuve, o.m.i. Grâce à ses liens avec l'organisme national, le cercle de Gravelbourg avait accompli un travail utile, mais avec les années, il avait dépéri et s'était pratiquement éteint. L'organisation des Dames de Sainte-Anne, de son côté, avait connu un net déclin à Ferland comme dans d'autres parties du pays et la Fédération des Dames, avec son centre au Cap-de-la-Madeleine n'existait plus. Il y avait là, à n'en pas douter, une lacune et Mme Fournier se pencha sur cette question en 1966 et 1967.

Elle s'attacha à «trouver une formule rajeunie pour grouper les dames et les demoiselles d'expression française dans un mouvement vigoureux et représentatif.».5 Elle forma alors un organisme féminin connu sous le nom de la Fédération des Franco-Canadiennes du diocèse de Gravelbourg. Cet organisme avait plusieurs grands buts, dont celui de servir l'Église en assistant de multiples façons le prêtre dans la paroisse, et de réfléchir sur des problèmes religieux et sociaux. Mais il était évident que l'affiliation à un mouvement national offrait d'immenses avantages et Mme Fournier fit campagne pour qu'elle se réalise. Lors du congrès diocésain de l'association à Ponteix le 30 octobre 1967, les membres acceptèrent de se joindre à la Fédération des Femmes Canadiennes-Françaises. Conformément aux voeux du congrès, Mme Fournier présenta une demande à la fédération, dont le siège social était à Ottawa.

En réponse à cette requête, la direction de la F.F.C.F. se réunit en assemblée spéciale à Ottawa le 11 janvier 1968 et accéda à la requête, en plus de nommer Mme Fournier au poste de présidente régionale de la fédération et de lui confier le mandat de fonder d'autres sections et d'établir des régions administratives. C'était le début d'une deuxième «carrière», pour celle qu'on surnommait déjà affectueusement «Maman Fournier», à un âge où bon nombre n'aspirent plus qu'à un repos bien mérité. Pour son travail au nom de la F.F.C.F. et pour sa contribution à de nombreux autres organismes bénévoles, Pearl Fournier reçut la Médaille du Centenaire de la Confédération. «Cette décoration bien méritée lui fut offerte lors du congrès général de la F.F.C.F. qui eut lieu à Willow-Bunch le 26 octobre (1968) par la présidente nationale, Mme R.-A. Sauvé-Boult, d'Ottawa.»6

La Fédération des Femmes Canadiennes-Françaises est un mouvement catholique, et donc soumis à l'autorité de l'Église, qui a pour but d'appuyer le travail du prêtre dans la paroisse. Ce mouvement soutient aussi les oeuvres franco-catholiques dans les domaines de l'éducation et de la culture en offrant, par exemple, de l'aide financière aux classes bilingues du niveau secondaire et des bourses pour des études universitaires. En dernière analyse, la fédération s'attache à la promotion de la condition féminine et à la participation active de la femme dans différents secteurs de la société. Les membres de la fédération se donnent les outils et les moyens «de se renseigner sur les activités actuelles de la vie moderne et tous ses changements, afin qu'elles soient à l'avant-garde et qu'elles puissent rayonner là où sont engagés les intérêts de la famille, qu'ils soient d'ordres moraux, éducatifs, économiques ou sociaux.»7

La F.F.C.F. est un mouvement national, certes, mais ce sont les organisations paroissiales qui ont la préséance, comme le rappelle Mme Fournier dans le Bulletin officiel de février 1968: «Rappelons-nous (...) que dans les limites des buts proposés, la F.F.C.F. laisse «pleine liberté» à chaque section paroissiale, «entière autonomie»... et recommande que chacune prenne toutes les initiatives qui s'imposent pour satisfaire concrètement à tous les besoins de la paroisse.»8

Propagandiste habile et déterminée, Pearl Fournier parvient à établir en peu de temps de nombreux cercles locaux. Femme d'Action rapporte en octobre 1971 que «l'Ouest compte, depuis trois ans seulement, trois régions réparties en 10 sections F.F.C.F. Ces grandes régions sont celles de Gravelbourg, Régina et North Battleford.»9

Une de ses filles, Madame Irène Chabot, explique que «suite à la fondation de la F.F.C.F. dans la région de Gravelbourg, elle poursuivit l'expansion dans le nord de la province, pour se rendre également en Alberta ainsi qu'au Manitoba, où elle réussit à convaincre les dames de la Ligue Féminine Catholique à s'affilier au groupe national. Son enthousiasme et sa motivation lui firent traverser les Rocheuses où une section prit aussi naissance à Maillardville, C.-B.»10

Il y a tant à faire, le temps manque et les ressources financières ne sont pas toujours ce qu'elles devraient être. Dans les tournées de propagande, il faut bien faire preuve de sens pratique et concentrer le plus grand nombre de rencontres dans des délais forcément limités. C'est ce qu'explique M. l'abbé Roger Ducharme dans le Bulletin paroissial de Ferland: «Mme J.-A. Fournier a fait un séjour d'une semaine dans le Nord de l'Alberta. Présidente de la F.F.C.F. pour les provinces de l'Ouest, elle a fait une tournée d'information à la demande de 19 paroisses d'Edmonton et du diocèse de St-Paul qui veulent se joindre à la F.F.C.F. Sur la route du retour, elle s'est arrêtée à Vawn, à Jackfish-Lake et à North Battleford. Une autre section veut se former dans ce coin de pays... Elle revient, cette semaine du 18 novembre, d'une randonnée à Zénon Parc où les Dames Catholiques d'expression française de cette région manifestent un très grand intérêt pour la F.F.C.F.»11

Toutes ces démarches, toutes ces réunions, tous ces voyages vers les différents coins de l'Ouest vont rapporter les bénéfices escomptés, et la Fédération des Femmes Canadiennes-Françaises va grandir dans nos régions et devenir un porte-parole influent pour ce segment important de la population. Après plusieurs années à la tâche, Pearl Fournier passe le flambeau entre d'autres mains plus jeunes.

La première présidente provinciale de la Fédération des Femmes Canadiennes-Françaises en Saskatchewan est décédée le 6 janvier 1982, après une vaillante lutte contre le cancer.

(citations: 1 Le Patriote de l'Ouest, 14 mai 1930, p. 7; 2 ibid., 11 juin 1930, p. 5; 3 Interview Aristide Fournier, A-91A, aux Archives provinciales; 4 ibid.; 5 La Liberté et le Patriote, 18 décembre 1968, p. 14; 6 ibid.; 7 Statuts et règlements de la F.F.C.F.; 8 Bulletin officiel de la F.F.C.F., février 1968; 9 Femme d'Action, octobre 1971; 10 dossier P. Fournier, collection S.h.S.; 11 Feuillet paroissial, paroisse de Ferland, novembre (?) 1971)

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