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Yvonne Girardin


Une vie nouvelle s'ouvrait pour les immigrants en Saskatchewan au début du siècle. L'adaptation à cette vie nouvelle s'est révélée lente et difficile pour les Canadiens venus de l'Est, à plus forte raison pour les immigrants européens. Tout leur semblait différent: mode de division et de propriété des terres, méthodes de culture et de mise en marché des grains, financement des opérations agricoles, organisations religieuses et communautaires, système politique, langue, rudesse du climat, lenteur et éloignement des services. L'attachement à l'ancienne patrie et la préservation des liens de famille permettaient de reprendre haleine quand on se sentait débordé par tant de nouveautés. Dans ses mémoires manuscrits, une pionnière française du district de Meyronne, Yvonne Loutrel, relate la raison et les principaux épisodes de l'établissement en terre canadienne et parle de la nostalgie du pays natal.

Yvonne Loutrel est née le 1er mai 1891 en Anjou. Son frère Edmond part pour le Canada en 1908. «À ce moment-là, et deux années avant, le Consulat Canadien à Paris faisait pression pour coloniser la Saskatchewan. Mon frère, comme beaucoup de jeunes était venu en colon, profitant de l'offre de «La terre pour rien» – soit 64 hectares pour $10.00 et la facilité d'en acquérir davantage à des conditions faciles et alléchantes.» Yvonne Loutrel, alors sténo-dactylo dans un bureau d'ingénieur à Paris, prend le parti d'accompagner sa mère qui doit rejoindre Edmond, maintenant établi dans la vallée du Pinto Creek. Le départ est fixé à la fin juin 1909; ce n'est pas sans un serrement de coeur que l'on quitte la France. «Le Tricolore qui flottait de si bon coeur ce matin sur le quai devient tout petit à mesure que tourne lentement le bateau qui vogue vers la pleine mer. Je pleure de voir pleurer Maman.»

Les deux immigrantes, voyageant en compagnie de l'abbé Jules Bois, sont enchantées par le paysage alors que le paquebot remonte le Saint-Laurent jusqu'à Montréal. «Ce St-Laurent, si beau, si calme, bordé de clochers, de toitures rouges, de jardins si verts à cette époque de l'année, était pour moi comme l'avant-goût de ce que nous trouverions sur les rives du Pinto Creek...» Après un voyage inconfortable en train jusqu'à Moose Jaw et Morse, il faut bien déchanter; le paysage ne ressemble en rien à celui du Québec! Yvonne et sa mère, menées par Benjamin Soury-Lavergne et Marcel Dugas, autres pionniers de Meyronne, se mettent en route vers le sud, en démocrate, sur des pistes détrempées par l'orage et à travers une contrée encore sauvage. Elles s'installent dans une maisonnette de bois que l'on avait eu soin de faire construire par un ouvrier avant la date prévue de l'arrivée.

Après les battages de l'année suivante, le 21 novembre 1910, Yvonne Loutrel épouse Marcel Dugas, qu'elle a connu en France. Le couple s'installe sur la terre de Marcel. Le district se peuple lentement et il n'y a pas encore de médecin quand arrive un premier enfant. «Notre fille Marie-Madeleine devait faire, le 30 octobre 1911, sa laborieuse entrée dans le monde, pendant que son papa, bravant la tempête, filait en buggy vers Gravelbourg, 28 milles, où il devait demander au Dr M. Gravel de se rendre au Pinto Creek au plus tôt. Mais au retour, mon mari s'égara et n'arriva chez nous qu'après que le Dr eut «terminé l'affaire», pour voir notre Marie-Madeleine dans son berceau en y suçant son pouce de toute la vigueur de ses 9 livres et 1/2.»

Dans cette contrée nouvelle, tout est différent et il faut réapprendre même les tâches les plus simples. «Alors que nous avions mangé jusqu'ici des «galettes de Métis» plus ou moins réussies, j'appris à préparer la pâte à pain avec ce levain «Royal» qui, pour ne pas avoir froid, devait profiter, accroché au plafond dans le grand manteau de poil qui servait aux randonnées, des dernières vagues de chaleur émanant du rancher stove, poêle à deux ronds que l'on bourrait de charbon le soir, fermant tout tirage. Le matin, y ayant ajouté plusieurs tasses de farine, nous en pétrissions la pâte. Quand la pâte avait doublé nous le placions dans les plats creux où elle levait encore. Et alors on cuisait.»

La jeune épouse doit souvent rester seule. «En cette fin d'automne, mon mari et d'autres voisins prenaient la trail de Morse, 65 milles, pour y porter les quelques charges de blé constituant notre récolte. C'était un voyage dont nous les voyions revenir le soir du 3e jour. Avec quelle joie toute simple on réattisait le feu pour être bien prêt quand le premier «ho» retentirait dans la cour.»

L'automne suivant, après la naissance d'un fils, Yvonne Dugas voit sa mère repartir pour la France où elle doit passer l'hiver. La solitude et la séparation d'avec les siens lui pèsent. «Nous restions à quatre. Moi jeune maman de 21 ans, si peu expérimentée, mais bien consciente de mes lourds devoirs que je craignais toujours de ne pas assez bien remplir. C'est dans la quasi solitude du shack qu'au seul contact d'une lettre de France, la pensée de ma jeunesse heureuse, facile, me revenait à l'esprit, au coeur. Par quel concours de circonstances, pensai-je souvent, en suis-je réduite à être l'âme lointaine que ma famille prenait presque en pitié? Mais non! un souvenez-vous près du berceau de mon fils, une caresse de mon aînée de onze mois, un petit stimulant de mon mari et me revoilà entrain.»

L'année 1914 débute par la naissance d'une deuxième fille, naissance particulièrement difficile et qui requiert la présence de deux médecins. La vie de Yvonne Dugas n'a tenu qu'à un fil pendant quelques heures. Heureusement, elle se remet rapidement et les moissons s'annoncent belles cette année-là. C'est sans compter avec les caprices de Dame Nature. «Cependant les orages grondaient autour de nous et le vent finit par faire onduler un peu trop les blés mûrissants. Un soir de cette fin de juillet 1914, le tonnerre grondait dans le ciel et sur terre, jusqu'à ce que l'ouragan déchaîné force les portes et fenêtres de notre humble demeure pour desservir tout à la fois, ce vendredi, la table toute entière, qui fut en un instant recouverte de grêlons. Avec nos 3 petits, je n'étais pas seule: mon mari tenait la porte fermée et mes petits, eux, étaient trop jeunes pour avoir peur. Quand le vent fut calmé et la poussière tombée, Marcel allant voir dehors vit la cheminée partie, nos beaux petits poulets éparpillés, morts ici et là, et enfin l'étable déplacée de quelques pouces. Il commençait alors à faire sombre et nous n'avions pas tout vu! Le vingt acres de lin au sud de l'écurie, si beau, si prometteur, était complètement rasé.»

La famille finit à peine de réparer les dégâts que Marcel Dugas reçoit son appel sous les drapeaux en août 1914: la patrie est en péril et il ne désistera pas. D'abord sergent instructeur, il part pour le front à l'été suivant. Il n'aura jamais le bonheur de tenir dans ses bras son second fils, né en février, car il meurt au combat en septembre de cette année-là. C'est le curé Bois qui apprend la catastrophe à la jeune femme. «Assise sur ma chaise, j'étais effondrée. Tout s'écroulait autour de moi... forces spirituelles... désir de vivre.»

Mais bien sûr, il faut continuer à vivre. Les revenus du homestead et de la préemption, loués à un fermier, permettent en tous cas à la jeune veuve de voir venir. Quelques années plus tard, elle prend la décision d'épouser en secondes noces Louis Girardin, originaire des îles Saint-Pierre et Miquelon. Deux autres enfants viendront bénir l'union. Étant donné que la petite école de campagne n'enseigne que l'anglais, Yvonne Girardin fait la classe à ses enfants pendant plusieurs années. Pour les classes plus avancées, ils seront pensionnaires dans des couvents, à Laflèche ou à Bellegarde, ou ils vivront avec la parenté afin de fréquenter l'école du village. «Les vacances de Noël ramenaient tout le monde au bercail. Depuis novembre déjà on avait feuilleté et refeuilleté le gros catalogue d'Eaton pour y faire sa commande d'hiver, sans oublier l'épicerie spéciale qu'on ne trouvait pas sur place. On n'y oubliait pas deux grosses boîtes de chocolats variés: une pour Noël et une pour le Jour de l'An. Nous profitions de ces jours, toujours trop courts, où on jouit de bonheur les uns par les autres.»

La poste est pour le moment le seul moyen de préserver les liens avec la France. «Nous avions notre courrier tous les jours. Et ce n'était pas trop souvent car mon coeur était toujours bien relié à ma première famille, que j'espérais revoir dès que ce serait possible. Cependant, mon bonheur était celui de mon foyer et je remerciais Dieu de cette tranquillité.»

L'occasion d'un voyage en France se présente en 1925. «La correspondance échangée avec ma famille de France était toujours régulière. Une lettre de Cabourg, France, plus pressante, m'annonçait la mort de Grand'maman Loutrel, me demande de nous rendre si possible, pour faciliter les affaires de succession. Mon mari ne s'objectait pas à mon départ. Nous prenions à Montréal un paquebot du Canadien Pacifique. La traversée fut un peu rude durant 2 jours. Enfin, au Havre, par un dimanche matin ensoleillé, maman nous attendait au quai! Quelle joie de se revoir, moi toute émue, heureuse de fouler le sol de ma patrie. Par une de ces délicieuses journées de l'automne français, nous arrivions Marie-Madeleine, Raymond et moi à Cabourg où oncle Auguste nous attendait à la gare. Après 16 ans d'absence, mon coeur et mon âme vibraient à l'unisson.» Après quelques semaines les voyageurs reprennent le chemin du Canada, où ils arrivent à temps pour la Noël.

Mme Yvonne Girardin a été très active dans la paroisse pendant près de quarante ans; elle touche l'orgue et devient le bras droit du curé. C'est elle, par exemple, qui enseigne les réponses aux servants de messe. Elle est aussi pendant un temps secrétaire du cercle local de l'Association Catholique Franco-Canadienne; elle se chargera entre autres de la perception pour l'association ainsi que de la vente des «roses de Dollard» qui servent à défrayer une partie du coût des examens provinciaux de français, organisés par l'A.C.F.C. Pendant plusieurs années aussi, elle rédigera la chronique de Meyronne dans Le Patriote de l'Ouest. Enfin, elle poussera à la roue lors de la perception pour le poste de radio C.F.R.G. en 1951. Mme Girardin est décédée le jour de son anniversaire, en 1972, à Gravelbourg.

(citations: mémoires manuscrits de Mme Yvonne Loutrel-Girardin, collection de Raymond et Noëlla Girardin, Gravelbourg)

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