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Joseph HarveyLa vie du colon dans le parkland de la Saskatchewan au début du siècle est abrutissante. Il faut trimer de la barre du jour jusqu'à bien après la brunante, les familles souffrent souvent de l'isolement sur leur homestead et la population rurale est en général peu portée vers les choses de l'esprit. Quel étonnement, donc, d'apprendre qu'un humble agriculteur de la région de Debden-Ormeaux a fait publier un recueil de poèmes au début des années 1920. Joseph-Jacques Harvey naît le 21 juin 1898 à Causapscal, petit village de la vallée de la Matapédia, à 400 kilomètres au nord-est de Québec. Il fréquente l'école élémentaire du village pendant quelques années, mais ses études se terminent lors du départ de la famille pour la Saskatchewan en 1911. On peut dire qu'il passe du jour au lendemain de l'enfance insouciante aux soucis de la vie adulte. Mais où donc Joseph Harvey, adolescent, a-t-il puisé le désir et la volonté d'entreprendre des lectures sérieuses en littérature et en histoire pour se meubler l'esprit?
Le père de Joseph Harvey, Arméas, ainsi que plusieurs de ses frères se réservent des homesteads à quelques kilomètres au sud d'Ormeaux.
Quelque temps plus tard, Arméas Harvey se fait construire une grande résidence-magasin à Debden. Pendant plusieurs années, le jeune Joseph travaille pour son père et pour son frère Victor. Peu de temps avant son dix-huitième anniversaire de naissance, il se prend lui aussi un homestead dans le même canton, mais plus près du village de Debden. Il semble bien qu'il ne s'en occupe guère jusqu'en septembre 1918, alors qu'il se construit un shack de bois rond. À partir de ce moment il passe l'hiver en compagnie de sa mère, alors que son père s'occupe d'un autre magasin au village voisin d'Eldred, et il revient sur sa concession au printemps.
C'est aussi à cette époque qu'il déduit les règles de la versification en lisant les poètes français et canadiens. Plus tard, il réussira à dénicher un dictionnaire des règles; entre-temps, il étale sur le papier ses premiers vers.
Au début des années 1920, il est sélectionné pour un concours de blagues et d'historiettes organisé par un journal québécois et son goût pour la littérature s'affine. Pendant ce temps-là, les travaux de défrichage n'avancent pas vite; il ne cassera que sept acres en tout sur sa terre. En décembre 1922, sa mère succombe à une gastrite aiguë et le jeune Joseph ne peut s'en consoler.
Quelques mois plus tard, il fait publier à frais d'auteur un intéressant recueil de poèmes intitulé Les épis de blé. Peut-être est-ce pour payer les frais d'édition qu'il travaille un temps comme commis de banque à Saint-Albert, en Alberta. Quoi qu'il en soit, il reçoit finalement les lettres patentes de son homestead en février 1924. Il remporte aussi la palme d'un concours littéraire organisé par Le Devoir de Montréal. Plus tard, il achète le magasin qu'avait établi son frère Théodore à Bodmin, hameau situé à 25 kilomètres au nord-ouest de Debden, en direction de Big River. Joseph-Jacques Harvey demeure célibataire; c'est peut-être que celle qu'il aurait voulu épouser est décédée.
En 1968, il se départit de son magasin et il s'installe à Prince-Albert, dans une humble chambrette. C'est là qu'on le trouve mort le 20 novembre 1973. Si le poète-laboureur Joseph Harvey est méconnu chez nous, il a néanmoins une place, si petite soit-elle, dans la littérature canadienne française de l'Ouest. Et de temps à autre, on retrouve dans une librairie de livres anciens un exemplaire légèrement défraîchi de ses Épis de blé. (citations: Joseph Harvey, Les épis de blé – Les fleurs de sillon, Québec, Imprimerie Le Soleil Ltée, 1923, passim; renseignements: Jean Papen, «Joseph Harvey: Poète-laboureur, 1893-1973», Héritage et avenir des francophones de l'Ouest, Saskatoon, 1986; Homestead Files aux Archives provinciales) |