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Philippe Lavoie


Le tiers septentrional de la province fait partie de cette immense zone géologique où les déplacements par voie d'eau et de terre sont pénibles, et que l'on nomme le Bouclier précambrien. L'avion constitue déjà le moyen de transport par excellence dans les cas d'urgence lorsqu'arrive, en ce milieu des années 1930, celui qu'on allait surnommer le «Médecin volant du Nord», le docteur Philippe Lavoie. Né en 1886 dans le petit village forestier de Millstream, situé dans la pittoresque vallée de la Matapédia, Philippe Lavoie fait ses études classiques au Séminaire de Rimouski. En 1914, une année après avoir obtenu son diplôme à l'Université Laval, il commence à exercer la médecine à Laflèche et Montmartre puis, à l'automne de 1916, à Gravelbourg. On le retrouve ensuite à Glentworth et à Prelate. À l'automne de 1934, au creux de la crise économique et de la sécheresse, il accepte le poste de médecin au dispensaire de l'Île-à-la-Crosse, à 300 kilomètres au nord de North Battleford. Dans ses mémoires, il écrit:

«Je me surprends à revivre ce 28 septembre 1934 lorsque je partis des prairies du sud au beau milieu d'un blizzard, les chemins ensevelis sous la neige, un vent glacial soufflant du nord. C'est en avion amphibie, la cabine ouverte aux quatre vents, que je fis le voyage de Big River à l'Île-à-la-Crosse. Je me souviens encore du pilote qui me sanglait le parachute au dos, sans égard à mes protestations, et qui, sans doute pour me redonner confiance, ajoutait qu'il y avait de bonnes chances que je n'aie pas à m'en servir mais que si, d'aventure, il fallait sauter hors de l'appareil, je devais compter jusqu'à quatre avant de tirer la poignée. J'arrivai à l'Île-à-la-Crosse deux heures plus tard, glacé jusqu'à la moëlle. La religieuse A. Gaudet et l'infirmière Rapitta me reçurent. «Bonjour, ma Soeur» dis-je à Soeur Gaudet ce qui eut pour effet de la surprendre. Les deux mains au ciel elle s'écria: «Mon doux Seigneur, y'parle français celui-là!» Il faut dire que quatre médecins étaient arrivés et repartis presque aussi vite au cours des dernières années.»

Pendant près de vingt ans, le docteur Lavoie sillonne les 25 000 kilomètres carrés qui entourent la série de lacs formant la source du fleuve Churchill. L'été en canot et l'hiver en traîneau à chiens ou en carriole à chevaux, il entreprend en cas d'urgence de pénibles périples depuis Canoe Lake et Beauval au sud jusqu'à La Loche au nord, et depuis Pine River à l'est jusqu'à Michel et Dillon à l'ouest. Plus tard, il utilisera de préférence le canot à moteur, la motoneige et l'avion.

Quand il s'installe à l'Île-à-la-Crosse, les conditions à l'hôpital sont presque primitives: «la génératrice, le système de chauffage, l'eau et les égoûts, rien ne fonctionne». Le médecin est même forcé d'emprunter des lanternes au naphte de ses plus proches voisins pour y voir clair lors d'une intervention chirurgicale. Quelques années plus tard, la mission catholique Saint-Joseph accepte de se charger d'un hôpital aménagé dans une bâtisse plus moderne. Rien n'y manque: électricité, appareils à rayons X, fournitures médicales de tous genres. Néanmoins, si le Dr Lavoie regrette une chose, c'est d'être seul et de ne pouvoir compter sur l'avis d'un collègue dans les cas difficiles.

Le «Médecin volant» accompagne chaque année le groupe de fonctionnaires et de policiers qui effectue le circuit des traités, c'est-à-dire des assemblées locales où l'on verse aux Amérindiens l'argent des traités et où l'on met à jour les registres du gouvernement. Le circuit dure habituellement une dizaine de jours, à condition que l'avion ne soit pas cloué au sol – ou plutôt à la surface du lac – par une avarie de moteur ou un temps défavorable. Le médecin en profite pour effectuer un relevé général de la santé des petites populations dispersées, préparer le transfert des cas sérieux à l'hôpital de l'Île-à-la-Crosse, distribuer pilules et onguents, et même extraire les dents cariées qui font trop souffrir.

«Je me rappelle avec plaisir, raconte-t-il dans ses mémoires, la courtoisie des Indiens, à l'hôpital et dans leurs foyers. Ils acceptaient toujours le traitement proposé, même l'intervention chirurgicale, sans plainte, sans récriminations, sans hystérie, mais avec un parfait stoïcisme face à la douleur et l'adversité. Durant les déplacements, ils veillaient avec la plus grande considération à mon confort, m'offrant la meilleure place dans le canot, transportant mes effets dans les portages, m'emmitoufflant dans une fourrure sur le toboggan, me réservant invariablement la meilleure place à côté du feu, le coin le plus chaud de leur maisonnette où m'étendre pour la nuit, et les morceaux de viande les plus tendres, tant et si bien que j'ai appris à les aimer comme des frères et que je ne les oublierai jamais.»

Les années passent et le docteur Lavoie doit songer à la retraite. Avec l'aide d'un de ses fils, il lance un ranch de visons au Fort Black, sur une pointe située de l'autre côté du lac, face au village d'Île-à-la-Crosse; il voudrait s'y établir. Mais il prend plutôt le parti de s'installer à Meadow Lake, où il continuera de s'occuper des Amérindiens des deux réserves situées autour du lac et des Métis de toute la région. Lui qui avait vu naître plus de 5000 bébés durant ses années à l'Île-à-la-Crosse, reçoit toute une surprise lorsqu'une Indienne met au monde des quadruplés: l'événement lui vaut, ainsi qu'à la mère, toute une publicité.

Le Dr Philippe Lavoie meurt à Saskatoon le 17 février 1954 à l'âge de 68 ans; il est inhumé au cimetière catholique de l'île-à-la-Crosse.

(citations: Mémoires (original anglais) du Dr Lavoie aux Archives provinciales)

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