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Marc-Antoine Lebel


Le mythe de l'agriculturisme, selon lequel le seul état naturel de la nation canadienne française était la culture du sol, a longtemps dominé notre littérature. Il sous-tendait les efforts du clergé catholique de diriger le trop-plein des vieilles paroisses rurales du Québec ainsi que les rapatriés franco-américains vers les nouveaux territoires de colonisation au Québec et dans l'Ouest canadien. Plusieurs Québécois de profession libérale ont abandonné leur cabinet pour répondre à l'appel du terroir et quelques-uns sont venus s'installer en Saskatchewan. L'un d'eux a contribué par sa plume, depuis le petit village d'Arborfield, à répandre une vision idéalisée de la vie paysanne.

Joseph Marc-Antoine Lebel naît le 4 mars 1881 à Brunswick, ville de l'état du Maine, à quelque distance de Portland. Après des études classiques à l'Islet, au Québec, il termine sa philosophie au Grand Séminaire de Québec avant d'étudier le droit à McGill et les sciences politiques à l'Université Columbia de New York. On pense qu'il est ensuite secrétaire particulier de L.-A. Taschereau, ministre des Travaux publics et plus tard premier ministre du Québec. Il voyage beaucoup, autant en Europe qu'aux États-Unis.

En 1910, il ne peut plus résister à l'attrait de l'aventure. Il part pour la Saskatchewan où il se réserve, le printemps suivant un homestead à quelque distance au nord-ouest du village d'Arborfield. Peu averti des choses de la terre, il se choisit une terre mal drainée et dont il ne parvient à défricher et casser qu'une dizaine d'acres au plus, avant d'obtenir les lettres patentes en 1920. Il passe d'ailleurs une partie de son temps dans les camps forestiers et les scieries de Crooked River, un peu au sud de là. En janvier 1919, il épouse une jeune femme de la région, Marie Laure Hudon.

Il est évident qu'il n'a pas la vocation de fermier. Ce qui l'attire, c'est la littérature. Il écrit déjà sous le pseudonyme de Jean Féron. Son premier grand succès, La Métisse, paraît en 1922. C'est l'histoire d'une jeune Métisse franco-catholique du Manitoba, ayant reçu une bonne éducation dans un couvent et qui, après avoir été chassée de son poste d'institutrice pour avoir enseigné trop de français, s'engage comme servante chez une brute d'Écossais, athée de surcroît, qui a eu deux enfants d'une épouse française entre-temps décédée. Malgré les incessantes brimades de la part du père, elle parvient à inculquer aux deux petits l'amour de la foi catholique et de la langue française. Après bien des mésaventures et le décès tragique de leur père, elle prend la résolution de les élever, repoussant pour le moment la demande en mariage d'un prétendant plus âgé et très cultivé. Ce roman édifiant, par ailleurs de lecture facile, a les défauts de son genre: d'une psychologie naïve, les personnages demeurent superficiels, les bons ne possédant aucun défaut et les méchants pratiquant les vices les plus abjects. Néanmoins, le livre connaît un tel succès qu'on publie une seconde édition en 1926.

À partir de ce moment, la renommée de Jean Féron est faite. Il publie une longue série de volumes où jouent, sur une toile de fond historique le plus souvent exacte et bien documentée, des personnages romancés: La Besace d'Amour est une suite d'intrigues et de luttes pour le droit et la justice, sous l'intendance malhonnête de Bigot; La Belle de Carillon a pour trame une histoire d'amour entre un jeune homme forcé de tuer en duel - à la Corneille! - le père de sa bien-aimée; Les Cachots d'Haldemand et La Corvée rappellent les abominations des premières années du régime anglais; La Traverse du Diable retrace les péripéties de l'attaque des remparts de Québec par les Bostonnais à la Saint-Sylvestre en 1775. Une autre de ses oeuvres, L'Aveugle de Saint-Eustache, inspirée par les événements de 1837, est adaptée pour la scène par un dramaturge montréalais; la pièce remporte un franc succès en février 1925, lorsqu'elle est jouée au pied du monument aux Patriotes à Montréal.

Il publie en tout 37 romans chez l'éditeur Édouard Garand sous son pseudonyme et plusieurs autres sous son véritable nom. Plusieurs de ses pièces de théâtre sont aussi publiées et d'autres demeurent sous forme manuscrite. Il faut dire que le sujet de ses pièces n'est pas du goût de tout le monde. Quand un petit drame en trois actes intitulé La Secousse est publié dans un recueil de pièces en 1927, une «mère de famille» (une signature féminine qui cachait tout probablement un auteur masculin) se plaint dans les pages du Patriote de l'Ouest que le spectacle offre une «scène écoeurante où le mari saisit la femme à la gorge, puis pour couronner le tout... beuverie générale». Quant aux «acteurs qui consentiraient à interpréter de tels rôles devant un auditoire quelque peu distingué», ils «seraient vite hués». Jean Féron réplique quelques semaines plus tard que «beaucoup de gens se scandalisent ou sont trop facilement scandalisés et trop aussi se scandalisent d'eux-mêmes et de leurs propres pensées». La polémique semble s'être arrêtée là.

C'est à la suite de cet échange de lettres dans Le Patriote que Jean Féron reçoit une note d'encouragement d'un autre auteur-fermier de la Saskatchewan, un Français de Domrémy qui écrit sous le pseudonyme de Jules Lamy. Les deux hommes correspondent durant de nombreuses années et ils collaborent même à la rédaction d'un récit idéalisé, en deux sections, de leur établissement en Saskatchewan. Dans la Terre Promise paraît sous forme de feuilleton dans le journal québécois Le Soleil.

Dans la seconde partie de l'ouvrage, Jean Féron raconte les déboires d'un jeune couple venu du Québec et qui s'installe sur une terre louée puis sur un homestead dans la région de Tisdale. L'auteur critique ouvertement les méthodes de l'abbé P.-A. Bérubé, agent de colonisation pour le diocèse de Prince-Albert, qui avait poussé un groupe d'immigrants franco-américains vers des terres aux environs de Shellbrook sans d'abord s'assurer si elles se prêtaient à la culture. Une partie du groupe avait ensuite exploré le district d'Arborfield et y avait retenu des terres, à peu près au même moment où Marc-Antoine Lebel était lui-même arrivé dans la région. Le récit se termine par le rappel, dans un style emphatique, de la générosité de la terre qu'on fait soi-même:

«–Allons donc, Placide, répliquait-elle, est-ce qu'on se fatigue lorsqu'on travaille sa terre, sa bonne terre? Et penses-tu qu'on puisse s'en dégoûter? Ah! non, jamais!

«–Comme ça, tu l'aimes notre homestead?

«Si elle l'aimait... Alors elle chantait d'une voix émue et ravissante son pays et sa terre...

«O Canada, mon pays mes amours...

«Tous deux s'étreignirent longuement, les yeux fixés sur un avenir rayonnant... ils avaient aimé, vaincu et conquis!»

Marc-Antoine Lebel continua à écrire pendant encore plusieurs années, mais de manière graduellement moins prolifique jusque vers le début des années 1940. Il mourut en février 1955 à Zénon Parc.

(citations: Le Patriote de l'Ouest, 20 avril 1927, p. 2 et 4 mai 1927, p. 2; Dans la Terre Promise (coupure), dossier Féron aux Archives provinciales; renseignements, Homestead Files aux Archives provinciales, Zénon Park 1910-1983, Hier, Aujourd'hui, Zénon Park History Book Committee, Humboldt, 1983, p. 372)

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