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Marie-Joseph Lemieux, o.p.La question de la succession au siège archiépiscopal de Régina se pose de façon urgente après l'affaissement soudain de Mgr Olivier-Elzéar Mathieu à la mi-juillet 1927. Même si le vénérable prélat ne devait disparaître que deux ans plus tard, les franco-catholiques poursuivent leurs délicates démarches auprès des représentants du Saint-Siège au Canada et ils tentent de rallier à leur cause plusieurs personnalités ecclésiastiques et politiques à Ottawa, Paris et Rome. Il leur faut pourtant bien admettre l'évidence. La composition de la population de foi catholique romaine a bien changé depuis la création du diocèse de Régina en 1911 et les Anglais y forment dorénavant la majorité: il est par conséquent exclus que le successeur soit de sang français. En contrepartie, le Vatican accepte en 1930 de créer un nouveau diocèse comprenant tout le sud-ouest de la province, où la majorité des catholiques est encore d'origine française. L'évêché doit être situé à Gravelbourg. Le premier titulaire est Mgr Rodrigue Villeneuve, o.m.i., bientôt nommé archevêque de Québec. Mgrs Arthur Melanson, p.a. et Joseph Guy, o.m.i., lui succèdent. Puis, lorsque la santé chancelante de ce dernier l'oblige à remettre sa démission en 1942, Mgr Marie-Joseph Lemieux, o.p., devient Administrateur Apostolique du diocèse. Marie-Joseph Lemieux naît à Québec le 10 mai 1902. Il entre chez les Dominicains et poursuit ses études à Rome, à Lille et à Oxford, avant d'être ordonné prêtre à Ottawa le 15 avril 1928. Il est envoyé en mission au Japon peu de temps après son ordination. Sacré évêque de Sendai, sur l'île méridionale de Kyu Shu, en juin 1936, il est alors le plus jeune évêque catholique du monde. Mais le Japon militariste se prépare à la guerre et les conditions faites aux étrangers et à l'Eglise catholique forcent Mgr Lemieux à démissionner au printemps de 1941 et à rentrer au Canada. C'est le 26 novembre 1942 qu'il apprend sa nomination au poste d'Administrateur Apostolique du diocèse de Gravelbourg, en Saskatchewan. La situation financière du diocèse de Gravelbourg, sans être désespérée, n'est pas sans causer bien des inquiétudes, car elle s'est sérieusement dégradée durant la crise économique et la sécheresse des années 1930. Dans bien des paroisses, on avait construit de magnifiques églises et d'autres édifices coûteux durant les «belles années» - de 1924 à 1928 - et il avait ensuite été impossible de verser même les intérêts sur les hypothèques, avec le résultat que la Corporation épiscopale du diocèse avait été obligée d'endosser un bonne partie de la dette. Celle-ci dépasse donc le million de dollars au début de la Seconde Guerre mondiale. L'assainissement de la dette au lendemain d'une crise économique et au milieu d'un long conflit mondial semble sinon impossible du moins singulièrement difficile. Le nouveau prélat se révèle un administrateur de première force. En moins de dix ans, sous sa gouverne et avec ses encouragements constants, le clergé et les diocésains parviennent à liquider la dette. Peu de temps après son arrivée, Mgr Lemieux met aussi sur pied une caisse de retraite à l'intention des prêtres du diocèse. L'administration et les finances représentent certes un aspect majeur de la vie d'un diocèse, mais elles n'en constituent pas le fondement. Mgr Lemieux tente d'encourager une plus grande ouverture à la vie catholique et missionnaire au sein de la population. Il demeure profondément attaché aux oeuvres des missions et l'une de ses premières décisions touche l'organisation d'une grande exposition missionnaire à Gravelbourg. Au moins 21 congrégations montent des kiosques au Couvent de Jésus-Marie, tandis que la grande salle du Collège Mathieu est le lieu de conférences quotidiennes et de projections de films. L'exposition prend fin le 28 mai 1944, jour de l'intronisation de Mgr Lemieux, qui a été nommé évêque deux semaines auparavant. Deux ans plus tard, du 11 au 13 juillet 1947, un grand congrès eucharistique diocésain se déroule à Ponteix. Si l'honneur d'avoir lancé l'idée d'un tel congrès revient à Mgr Lemieux, il faut dire que celui de son succès en revient surtout aux paroissiens et au curé de Ponteix, Mgr Louis Lussier. La période de l'après-guerre annonce d'importants changements sociaux et le rôle de l'Église est appelé à évoluer rapidement. L'enseignement religieux de la jeunesse devient une préoccupation de premier plan pour le prélat de Gravelbourg. Tous les séminaristes et plusieurs religieuses sont mobilisés durant les vacances scolaires d'été pour des sessions d'enseignement catéchétique. Mais comme bon nombre d'enfants reçoivent une instruction religieuse incomplète à l'école et que les «catéchismes d'été» ne suffisent pas, Mgr Lemieux organise des cours de catéchisme par correspondance en 1945. Ces cours sont d'abord offerts dans les deux langues aux enfants et aux adultes désireux de s'inscrire, mais par suite de la pénurie de personnel religieux, on est bientôt forcé de restreindre les inscriptions aux seuls élèves des écoles ne recevant pas d'autre forme d'instruction religieuse. Les cours de catéchisme sont d'ailleurs encore enseignés à l'heure actuelle, sous une forme remaniée. Mgr Lemieux appartient à l'école qui veut que la langue soit la gardienne de la foi. C'est pourquoi il accède à la demande de l'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan, qui souhaite nommer un prêtre dynamique au poste de visiteur des écoles où s'enseigne, ou devrait s'enseigner, le français de l'A.C.F.C. Il choisit l'abbé Roger Ducharme, alors curé de la paroisse de Fife Lake. Pendant une bonne dizaine d'années, ce dernier sillonne la province pour surveiller l'enseignement du français dans les écoles; il devient en même temps le grand propagandiste-organisateur de l'A.C.F.C. Afin d'assurer des loisirs sains à la jeunesse du diocèse, l'évêque de Gravelbourg songe aussi à créer une colonie de vacances. Dès 1948, il parcourt le territoire à la recherche d'un site convenable. Ayant trouvé l'endroit idéal sur les bords du lac Pelletier, à une centaine de kilomètres à l'ouest de Gravelbourg, il entreprend les démarches nécessaires pour lancer le projet sur une base solide. Au début on se contente d'un camp de tentes que l'on démonte et remise à la fin de l'été, mais on construit petit à petit des bâtiments permanents et plus confortables; le «camp Lemieux» existe d'ailleurs toujours. À l'époque où Mgr Lemieux accède au fauteuil épiscopal de Gravelbourg, la population de langue française a déjà pris conscience de l'urgente nécessité d'avoir ses propres postes de radio dans l'Ouest. L'entreprise est particulièrement audacieuse et dispendieuse en Saskatchewan, où par suite de l'éparpillement de la population, il faudra ériger deux postes, l'un pour le nord et l'autre pour le sud. Le nerf de la guerre, surtout, fait défaut. Avec la bénédiction et l'appui de leur évêque, bon nombre de membres du clergé diocésain travaillent à une grande campagne de souscription en faveur de la radio française en 1951. Lors des cérémonies d'inauguration du poste C.F.R.G. de Gravelbourg le 1er juin 1952, c'est Mgr Lemieux qui prononce la première allocution. Il y rappelle la volonté du groupe français de survivre, cite à titre de preuve les contributions généreuses à la construction des deux postes, souligne la nécessité de l'union pour réaliser les ambitions de la race canadienne française et termine en adressant un message particulier à la jeunesse: «À nos jeunes, la voix de nos postes sur les ondes ne redira-t-elle pas les sacrifices de leurs pères pour rester Canadiens français et la responsabilité qui leur revient, à eux, de ne pas laisser tomber l'oeuvre qu'ils ont accompli, ne leur rappellera-t-elle pas encore qu'abandonner sa langue, sa foi, l'esprit de sa race, c'est se diminuer en soi-même et à l'endroit des autres, car on ne change pas d'âme comme on change d'habit? Enfin, ne leur rappellera-t-elle pas, à ces jeunes, qu'une tâche difficile les attend, mais c'est là la voie qui convient à la jeunesse, qui est l'âge de l'héroisme bien plus que celle de la frivolité et des plaisirs.» Le 1er juillet 1953, cette même radio française en Saskatchewan annonce l'élévation de Mgr Joseph-Marie Lemieux au siège archiépiscopal d'Ottawa, où il est intronisé à la mi-septembre 1953. Il sera plus tard nonce apostolique à Haïti, prononce apostolique aux Indes, puis délégué du Vatican avant de se retirer à Ottawa en 1973. Mgr Lemieux est décédé en 1984 (citation: discours de Mgr Lemieux (R-8583) aux Archives provinciales; renseignements: Adrien Chabot, Histoire du diocèse de Gravelbourg, 1930-1980, Willow-Bunch, 1981, pp. 57-68) |