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Alexandre dit «Catchou» McGillis
Nombreux sont ceux qui n'ont possédé ni les qualités nécessaires ni le désir de se distinguer parmi leurs semblables ou de s'imposer dans leur milieu. Ils ont vécu humblement mais il n'en demeure pas moins qu'ils ont le mérite d'avoir plongé profondément leurs racines dans le terroir d'une région et de l'avoir arrosé de leurs sueurs. Ainsi, Alexandre «Catchou» McGillis a vécu presque cent ans aux environs du petit village de Saint-Victor. Il a bien sûr sillonné en tous sens les régions à pâturages qui cernent la Montagne de Bois, y compris plusieurs états américains mais son port d'attache était l'humble village niché dans une coulée au pied des buttes. Angus Alexandre McGillis naît à la fin novembre 1863 à Saint-François-Xavier, au Manitoba, dans une famille métisse. La paroisse est aussi connue sous le nom de Mission du Cheval Blanc et elle est située sur les rives de la rivière Assiniboine, à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Saint-Boniface. Le jeune Alexandre y mène la vie libre des enfants de la plaine et il est témoin des dernières grandes chasses annuelles au bison. Il n'a pas l'occasion de fréquenter l'école; sa mère, Isabelle Fagnant, a reçu, semble-t-il, une bonne éducation au couvent des Soeurs Grises à la mission et elle est la seule institutrice de ses six enfants. Le jeune garçon connaît peut-être l'alphabet, mais il n'apprend pas à lire et à écrire; il signera toujours les documents officiels d'une croix. Alexandre a six ou sept ans lorsque la famille McGillis se joint à un convoi de charrettes en route vers la Montagne de Bois. Les Bois-Brûlés du Cheval Blanc, de Pembina et des autres centres métis supportent mal l'hégémonie des Blancs qui affluent au Manitoba suite à l'achat de l'ancien empire de la Hudson's Bay Company par le gouvernement d'Ottawa. Ils savent trop bien que l'avance des Blancs est inexorable et que la fuite vers l'ouest est au bout du compte futile. Pourtant, contre toute raison, ils continuent d'espérer que là-bas, au moins, ils pourront préserver leur mode de vie et leurs institutions. Alors que bon nombre de familles métisses continuent de suivre les troupeaux de bisons dans leurs grandes errances saisonnières, les McGillis s'installent en permanence aux environs de la Coulée-Chapelle, à cinq kilomètres à l'est du village actuel de Saint-Victor. Alexandre McGillis cesse très tôt de grandir, d'où lui vient son surnom de Catchou, qui signifie «petit homme» en langue indienne. Le michif est sa langue de tous les jours, mais il converse aussi en cri et en saulteux. Quant à l'anglais, il le baragouine tant bien que mal. S'il est petit de taille, il ne manque pas de courage. Catchou abat deux bisons alors qu'il n'à encore que quatorze ans. Il ne craint pas l'ouvrage non plus et les éleveurs de la région, Jean-Louis Légaré le premier, le prennent fréquemment à leur service. Lorsque son père meurt en 1881, Alexandre devient le soutien de sa mère. Deux ans plus tard, il s'installe sur une terre comme squatter; il ne pourra en faire l'entrée qu'un quart de siècle plus tard, en 1907, après l'arpentage du district. Il se lance dans l'élevage des bestiaux et connaît de beaux succès pendant plusieurs années avant de perdre les trois quarts de son troupeau durant le terrible hiver de 1904. Ce n'est toutefois pas la ruine et il continue de faire de l'élevage, quoique sur une moins grande échelle qu'auparavant. Il se trouve sans peine un emploi saisonnier chez d'autres éleveurs qui apprécient sa droiture et sa probité, sa connaissance étonnante de la région et de sa topographie, aussi bien que ses considérables talents de cowboy. Il chevauche d'une étoile à l'autre sans le moindre signe de fatigue, il manie le lasso de main de maître et à cent pas, affirme-t-on, il fait mouche à tout coup avec sa fidèle carabine. Ses besoins matériels sont modestes et il n'a qu'une seule véritable passion: ses chevaux. Il en garde un bon nombre, une trentaine au moins au début du siècle alors que la région demeure encore peu peuplée. Il aime bien la musique aussi et il manie l'archet avec entrain; même à un âge très avancé, il se rappelle une foule de chansons métisses ou canadiennes françaises et il les chante avec un plaisir évident. Catchou habite une humble maisonnette avec sa vieille mère puis, après le décès de celle-ci au début des années 1930 à l'âge de 96 ans, avec sa soeur et d'autres proches parents. La maisonnette a été bâtie, croit-on, vers 1887 ou peut-être même un peu avant. Les murs sont faits de perches de tremble, enduits d'un mélange de glaise et de foin des bas-fonds. Dans les premiers temps, des peaux de cabri soigneusement grattées et amincies au couteau laissent filtrer la lumière. Catchou McCillis ne manque pas de qualités, mais c'est surtout sa générosité qui attire l'attention. Lorsque, plus d'une fois, des parents se retrouvent dans une situation difficile, il les accueille chez lui. Il offre aussi un morceau de terrain considérable à la paroisse de Saint-Victor à l'occasion de sa création en 1914. C'est là que s'élèvent aujourd'hui l'église et le presbytère. Peu après les célébrations de son centenaire, il s'installe de façon permanente au foyer Saint-Antoine de Moose Jaw, où il meurt paisiblement le 15 novembre 1968, à la veille de son 105e anniversaire de naissance. Il est enterré au cimetière de Saint-Victor, à l'ombre des buttes qu'il aimait tant. Ce qui rend le personnage de Catchou McGillis si attirant, c'est qu'il est une des seules personnes à avoir vécu le passage d'un monde à un autre dans l'Ouest canadien. Il a connu l'ère des bisons et celle des tracteurs diésel, l'ère des charrettes de la Rivière-Rouge et celle des réactés supersoniques, l'ère des communications difficiles et celle de la télévision par satellite, l'ère de la grande solitude des plaines et celle de l'activité bourdonnante des grandes villes, l'ère de la nature sauvage à laquelle se soumettaient Indiens et Métis, et celle de la nature mâtée par l'avance de la civilisation des Blancs. (renseignements: Adrien Chabot, Willow-Bunch, 1920-1970, pp. 277-282; Assiniboia Times, 27 novembre 1968, p. 6) |