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Émile RichardPlusieurs pionniers de langue française ont légué leur nom à des villages de la Saskatchewan. Quelques exemples viennent immédiatement à l'esprit: Antoine Marcelin, Louis Veillard (Veillardville), Louis Reynaud pour le nord, Louis Poulin de Courval, Louis-Pierre Gravel (Gravelbourg), le clan Béchard pour le sud. On pourrait en trouver des dizaines d'autres, dont plusieurs sont moins évidents que ceux-là. Ainsi, le long de la route 40 reliant North Battleford à Prince-Albert s'élève le hameau de Richard – immanquablement prononcé «Rit-cherd», à l'anglaise – dont le nom honore la mémoire du pionnier canadien français Émile Richard. La famille Richard a sans nul doute hérité plus que sa juste part de ce goût des voyages et de l'aventure qui caractérisait les habitants de la Nouvelle-France, découvreurs des trois quarts de l'Amérique du Nord. Le père d'Émile, Raphaël, prend part à la Ruée vers l'or de 1849 en Californie; puis, il entreprend le périlleux voyage vers les champs aurifères de Coolgardie lors du rush de 1852 en Australie, avant de revenir s'installer comme marchand dans la région d'Arthabaska. Édouard-Émery, cousin d'Émile, d'abord député à la Chambre des communes, est ensuite nommé shériff des Territoires du Nord-Ouest en 1878 et s'installe à Winnipeg. Émile l'y rejoint l'année suivante; il n'a que 19 ans. Le jeune homme quitte Winnipeg le 17 juillet 1879 avec un associé métis, en direction du nord-ouest, par la «piste de la Compagnie». Après 42 jours de route, les partenaires atteignent Batoche, laissent souffler leurs chevaux quelques semaines, puis obliquent vers le sud, gagnant les Montagnes aux Cyprès à la fin d'octobre sans avoir rencontré un seul autre Blanc. Ils construisent un petit poste de traite à portée de voix du Fort Walsh. L'entreprise se révèle fort lucrative. C'est l'époque des dernières grandes chasses aux bisons et les Indiens avec lesquels ils vont traiter jusqu'au Montana ont anéanti un troupeau d'un millier de têtes; plus de 500 robes passent alors entre les mains des deux associés au cours d'une seule séance de traite. De retour à Winnipeg, Émile Richard s'associe avec un de ses frères et fait fructifier son avoir durant la vague de spéculation qui annonce le grand boom foncier de 1881-1882. Puis, il repart vers l'ouest, s'occupe un temps à Calgary, forme une compagnie minière appelée la Whoop-Up Mining Company avec six autres jeunes hommes, l'abandonne après une année de prospection dans les contreforts des Rocheuses et arrive à Battleford en novembre 1885. Il exploite un magasin général pendant trois ans, mais suite au ralentissement du peuplement et, partant du commerce, il abandonne tout et se met en route pour le Petit Lac des Esclaves avec plusieurs tonnes de marchandises de traite. Son énergie semble ne pas avoir de limites: il érige un magasin et une série de postes de traite, les visite l'hiver en traîneau à chiens, abattant ses 80 kilomètres par jour. Après leur vente en 1890, il revient lancer un ranch dans les Montagnes de l'Aigle, au sud de la rivière Saskatchewan-Nord et tout près d'une réserve indienne, en société avec son cousin Philippe. Émile repart en courses: c'est à Macleod, tout à fait au sud-ouest du territoire de l'Alberta, qu'il va chercher des chevaux; le bétail, lui, vient de Prince-Albert. Pendant plusieurs années, il se livre presque exclusivement à l'élevage et effectue des voyages réguliers jusqu'aux grands marchés à bestiaux de Winnipeg. C'est là qu'il fait la connaissance d'une jeune institutrice, Arthémise d'Auteuil, en 1895; il l'épouse l'année suivante. Le couple s'installe alors sur le ranch; les seuls voisins sont les Indiens de la réserve et c'est une sage femme indigène, la pipe à la bouche, dit-on, qui met au monde leur premier enfant. S'il fallait faire la somme des distances parcourues jusqu'alors par Émile Richard depuis son arrivée dans l'Ouest, on en arriverait vite à un chiffre d'autant plus étonnant que les moyens de transport sont encore à cette époque très peu développés. Mais il semble bien que son goût des voyages soit finalement satisfait. L'état de ses troupeaux devient sa préoccupation première. Ceux-ci augmentent si rapidement en nombre qu'il faut trouver de nouveaux pâturages plus étendus dès 1900. On ira de l'autre côté de la rivière, dans un district situé à une quarantaine de kilomètres à l'est de North Battleford et qui n'a pas encore été arpenté. Le déménagement est tout un spectacle: 500 bêtes à cornes et 100 chevaux talonnés par des cowboys, dans la meilleure tradition du Far-West! Émile Richard construit une maison l'été suivant et y installe sa famille. La région est idéale pour l'élevage et le troupeau double en peu de temps; mille têtes constituent à cette époque une véritable fortune. Mais avec l'arrivée d'un nombre de plus en plus important de colons à partir de 1902, les pâturages libres disparaissent rapidement et il faut mener les troupeaux toujours plus loin vers le nord. Souvent, quelques animaux trompent la vigilance des cowboys et endommagent les récoltes dans les champs avoisinants. Il faut alors dédommager les fermiers lésés, de telle sorte que le jeu n'en vaut bientôt plus la chandelle. Le rancher décide donc de vendre une bonne partie de son troupeau. D'ailleurs, les conditions du marché sont plus que favorables, car tous ces nouveaux arrivants ont besoin de boeufs, de bétail d'engraissage, de vaches à lait et surtout de chevaux pour les travaux de la ferme. Tout en continuant à s'occuper du commerce des animaux, Émile Richard se lance dans la culture à grande échelle du blé, de l'avoine et des patates. Quand le Canadian Northern complète un embranchement en 1914 à partir de sa voie principale plus au sud, le ranch Richard devient le centre du nouveau village. De l'aveu même de M. Richard, sa fortune est faite. En 1917, il érige une imposante maison en briques à deux étages, de loin la plus grande et la plus dispendieuse de toute la région du nord-ouest. Il la baptise «Acadia» pour marquer l'origine acadienne de la famille Richard et commémorer la publication, quelques années plus tôt, d'un livre du même nom, de la plume du cousin Édouard. Il avoue qu'elle lui coûté la jolie somme de 35 000 $. En 1925, désireux de prendre une demi-retraite méritée, il dispose du reste de son troupeau et se tourne vers la politique. Candidat libéral aux élections provinciales dans le comté de Redberry, il est défait par le candidat conservateur. Avec le début des années 1930, les revers s'accumulent. La sécheresse et la crise économique entament la belle fortune amassée pendant 40 ans. Puis, la belle résidence est entièrement détruite lors d'un incendie causé par la foudre en 1935; c'est ce qui décide finalement les Richard à s'installer, avec une de leurs filles, à Montréal. C'est là qu'ils meurent tous les deux en 1942. (renseignements: Richard Remembers, Richard Women's Institute, North-Battleford, 1980, pp. 1-12) |