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Louis Schmidt


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Louis Schmidt, bras droit de Louis Riel, puis pionnier de la Saskatchewan (Le Patriote de l'Ouest, février 1913) 15.8 Kb

Des délégués de langue française venus des quatre coins de la province s'étaient réunis à Duck Lake en février 1912 afin de jeter les bases d'un mouvement d'union en vue d'assurer la protection de leurs droits. L'un des orateurs les plus remarqués fut Louis Schmidt, ancien bras droit de Louis Riel au Manitoba. Il n'avait rien perdu de sa fougue malgré les années et, peut-être dans l'émotion du moment, il proposa à l'assemblée le modèle des Irlandais qui, eux, avaient recours à l'agitation politique et aux armes pour protéger leurs droits. Ces propos eurent sans nul doute pour effet de surprendre Mgr Olivier-Elzéar Mathieu et les autres dignitaires présents, habitués à des discours plus mesurés.

Mais qui était ce Louis Schmidt? Deux ans avant la réunion de Duck Lake, il avait complété la rédaction de ses mémoires à la demande du premier rédacteur du Patriote de l'Ouest, le père Gabriel Morice, o.m.i. Le manuscrit fut détruit lors de l'incendie de l'atelier du journal à la mi-novembre 1910 et Schmidt, qui n'avait conservé ni brouillon ni notes, se remit à l'oeuvre pour reconstituer le dossier. Malgré ses lacunes, ce document constitue un témoignage d'une importance indéniable sur la première partie de la vie de ce Métis, qui fut poussé presque malgré lui à l'avant-scène d'un événement capital dans l'histoire du Canada.

Le nom de Schmidt lui avait été donné par Mgr Taché, conformément aux coutumes du Nord, car son grand-père était un Allemand au service de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Au terme de sa période d'engagement, l'Allemand abandonna sa conjointe qui s'unit alors à la mode du pays avec un Métis français du nom de Pierre Laferté; c'est le nom qu'avait toujours porté le père de Louis. Il n'est d'ailleurs pas certain que Mgr Taché ait eu raison, car la grand-mère avait d'abord vécu avec un ancien officier de la marine britannique et d'aucuns semblent d'avis que ce dénommé Andrews était le véritable grand-père. Mais qu'importe, car ce genre de liaisons était courant, sinon la règle, parmi les Métis qui n'avaient que faire d'un registre de l'état civil.

«Je suis venu au monde le 4 décembre 1844, au Vieux Fort, sur les bords du grand lac Athabasca, à la limite septentrionale de la Province actuelle de l'Alberta. C'était à sept lieues1 du fort «Chippeweyan», le chef-lieu du district. Je ne fus pas baptisé aussitôt après ma naissance, car il n'y avait pas encore de prêtre par là, à cette époque. J'attendis donc jusqu'au mois de juillet suivant pour être baptisé. Pour cela, on me fit faire un trajet de quelques centaines de milles. Ma mère prit passage dans les barges2 de la Rivière McKenzie (Grand'Rivière) et se rendit au Portage La Loche. Là se trouvait le Révérend J.-Bte Thibault, le premier prêtre qui y parut jamais.

«Je passe sur les premières années de mon enfance qui ne peuvent rappeler rien de particulier. Je passais mon temps en amusements comme tous les gamins, et celui que je préférais était de grimper sur les arbres pour essayer d'attraper un écureuil. Mais lorsque je fus assez grand pour rendre quelque service, mon père me donna deux chiens à dompter et bientôt j'eus ma petite carriole avec «Grand d'Or» et «Sans Jeu» attelés dessus; j'accompagnais mon père aux rets3 ou j'allais visiter les pièges qu'on tendait pour prendre les animaux à fourrure.

«Au printemps de 1853, ma mère, qui était atteinte d'un cancer au visage, partit pour la Rivière-Rouge avec mes trois petites soeurs, dans l'espoir de se faire guérir en recourant promptement aux soins d'un médecin. Je restai avec mon père qui avait encore un an de service à faire.

«Le printemps suivant, nous partîmes à notre tour avec les barges du Rabasca4 qui s'en allaient à la Rivière au Brochet, sur le lac Winnipeg. Ceux qui se rendaient à la Rivière-Rouge devaient prendre là une autre barge. Vers la fin de juillet ou au commencement d'août, nous arrivions à la Fourche5.

«À l'école, je piochai si bien qu'au départ du courrier du nord, au mois de décembre, je pus écrire une lettre sous la dictée de mon père. Le 25 mars 1856 – c'était le mardi de Pâques – je fis ma première communion avec un grand nombre d'autres enfants. Au commencement de l'année scolaire, en 1857, je fus admis parmi les élèves pensionnaires des Frères6 et je pus étudier encore plus assidûment. Mgr Taché avait décidé d'envoyer quelques-uns d'entre nous dans les collèges du Bas-Canada. Quatre élèves furent bientôt choisis pour apprendre le latin: Louis Riel, Daniel McDougall, Joseph Nolin et moi-même.

«C'est le 1er juin 1858 que Riel, McDougall et moi prenions la caravane de St-Paul. Au dernier moment, Jos. Nolin n'avait pas voulu partir. Après un trajet monotone de vingt-huit jours, nous arrivons à St-Paul, la capitale du Minnesota. Nous disons adieu à nos gens et à nos charrettes et nous prenons passage sur un beau bateau à vapeur qui nous débarquera à la Prairie du Chien, d'où le chemin de fer devait nous conduire jusqu'à Montréal. Nous allons directement chez les Soeurs Grises, près du marché St-Antoine, et c'est ici seulement que nous apprenons nos destinations respectives. Riel doit aller chez les Sulpiciens de la ville, McDougall à Nicolet et moi à St-Hyacinthe. Après quelques jours d'attente, un cousin de Mgr Taché vient me chercher pour St-Hyacinthe. On se rendit directement chez le notaire Taché, le frère de Monseigneur.

«Les deux premiers mois de mon séjour au collège allèrent bien, mais les froids humides de l'hiver me furent défavorables. La toux, le mal de gorge me conduisirent bientôt à l'infirmerie, puis à l'hôpital. Je repris mes études dans le cours de janvier. Ma deuxième année fut à peu près comme la première. Tout alla bien jusqu'au mois de novembre, puis le rhume, la toux et les maux de gorge me renvoyèrent encore une fois à l'hôpital. Mais sitôt revenu, je me rejetais à l'étude avec plus d'ardeur que jamais. Si bien qu'à la fin de l'année, j'obtins le prix d'excellence et bien d'autres encore.

«Je ne puis compléter ma troisième année de collège. Au printemps de 1861, Mgr Taché, en route pour l'Europe, décida de me renvoyer dans mon pays et au commencement de juillet, j'étais sur le chemin du retour.

«Je passai le reste de l'été et l'hiver suivant chez mon grand-père7. Le P. Lestanc me fit copier, pour l'usage des missionnaires de l'Ouest, la grammaire et le dictionnaire cris du P. Lacombe. Entre temps je m'occupais de pêche et j'utilisai les notions que j'avais prises au Rabasca, pour la confection et la tente des rêts.»

Louis Schmidt se sent quelque peu désorienté: toute sa belle éducation ne lui sert quasi à rien dans ce pays. D'ailleurs, il est petit et même chétif, en apparence peu fait pour la dure vie dans les Prairies. Pourtant! Entre 1862 et 1868, il accompagne des missionnaires, le plus souvent le père Alexis André, o.m.i., auquel il voue une amitié profonde, dans leurs courses vers les missions sauvages. Il fait aussi un peu d'enseignement au collège de Saint-Boniface, bien que cet emploi soit peu en accord avec son tempérament. Il prend ensuite part à une expédition dans les plaines du Dakota et du Montana pour le compte du gouvernement américain, désireux d'établir un service de malle-poste régulier dans ces territoires. L'aventure tourne au tragique quand Louis se perd dans la tourmente; on doit l'amputer d'une partie du pied, gelé dur. Il n'est pas, en fin de compte, si fragile que ça! Il revient à la Rivière-Rouge en 1868.

«La Confédération Canadienne venait de se former, et elle voulait déjà s'agrandir. Une loi passée au dernier parlement autorisait le gouvernement à acquérir les Territoires de l'Ouest pour les unir au Canada. C'est sur ces entrefaites, vers la fin de l'été 1868, qu'arriva mon ami Riel, venant des États-Unis.»

Sous la direction de Riel, les Métis protestent les conditions faites aux habitants des territoires nouvellement acquis et ils forment un gouvernement provisoire. Louis Schmidt, bien connu et respecté par les Métis français et anglais aussi bien que par la population blanche, remplit les fonctions de secrétaire du premier gouvernement provisoire. Puis, secrétaire de la Grande Convention de 1870 qui aboutit à la rédaction de la liste des droits de la nation métisse ainsi qu'à la réorganisation du gouvernement provisoire, il devient secrétaire-adjoint du second gouvernement. C'est encore lui qui, après l'aboutissement des négociations avec Ottawa, propose officiellement la motion d'entrée de la nouvelle province du Manitoba dans la Confédération canadienne. Il est donc, peut-on dire, l'un des «Pères» de la Confédération.

Schmidt est élu député de Saint-Boniface-Ouest aux élections législatives de décembre 1870 et il contribue à la rédaction des lois scolaires du Manitoba. Deux ans plus tard, il épouse Justine Laviolette, descendante du fondateur de Trois-Rivières.

«La population augmentant, les divisions électorales s'agrandissent, car le nombre est toujours de vingt-quatre. En 1874, à la deuxième élection générale, la circonscription que je représentais fut annexée à celle de St-Charles et je ne fus pas élu.

«En 1878, je me présentai à St-François-Xavier et je l'emportai sur mon concurrent mais ce parlement ne dura qu'un an. J'abandonnai alors la politique et la province.

«C'est le 19 juin 1880, jour anniversaire de la bataille de la Grenouillère, que je laissais mon cher pays de la Rivière-Rouge pour m'enfoncer dans l'Ouest. Je ne m'arrêterai pas à décrire mon voyage qui se fit avec les moyens de locomotion dont on se servait encore dans ce temps-là.

«Le 3 août, j'arrivais au Lac des Canards, où je trouvai mon vieil ami, le joyeux Père André. Celui-ci ne me conseilla pas de m'établir là. Il m'indiqua la traverse à Gariépy, sur la branche sud de la Saskatchewan, et c'est là en effet que j'allai prendre une terre. C'est aujourd'hui l'extrémité supérieure de la paroisse de St-Louis.»

Louis Schmidt s'établit donc avec sa famille sur la rive droite de la rivière Saskatchewan-Sud, là où elle décrit un crochet avant d'atteindre Saint-Louis. Il se livre au jardinage et à l'élevage, en plus de faire provision de foin des marais, vendu en hiver aux patrouilles de la police et aux convois de passage.

«En 1882, une forte émigration des Métis du Manitoba vint renforcer nos troupes. Les nouveaux venus, habitués déjà aux usages du Manitoba, auraient voulu faire inscrire immédiatement, dans les bureaux du gouvernement, les terres qu'ils prenaient. Mais en dehors de Saint-Laurent et du Lac Canard, il y avait peu de terrain arpenté.

«Puis ceux qui s'établissaient sur le bord des rivières – et c'était le plus grand nombre – désiraient prendre des lots de rivière, c'est-à-dire des lots étroits de dix à vingt chaînes8 de large, sur une profondeur suffisante pour former les cent soixante acres que la loi accordait gratuitement comme homestead

Toutefois, le gouvernement d'Ottawa continue à faire la sourde oreille aux revendications des Métis et de la population blanche du district de Lorne. La révolte gronde.

En janvier 1884, Louis Schmidt s'installe à Prince-Albert avec sa famille, l'avocat Maclise l'ayant prié de le seconder dans son travail. Quelques mois plus tard, en conciliabule secret, les Métis prennent la résolution d'inviter Louis Riel à prendre la tête de leur mouvement. Louis Schmidt entend se joindre, à titre privé, à la délégation officielle de Métis porteuse de l'invitation. Sur les entrefaites, il apprend sa nomination au poste d'adjoint au Bureau des Terres du Dominion, à Prince-Albert. Plus question de partir. Il prend plutôt la plume et expose dans plusieurs lettres au journal Le Manitoba les doléances de la population du district de Lorne.

Durant le soulèvement, Louis Schmidt demeure à Prince-Albert, où il remplit consciencieusement les devoirs que lui imposent sa fonction. Si l'on fait exception d'un débat dans les pages du journal La Minerve tôt après les événements de Batoche, il évite dorénavant de se mêler de politique et il demeure à son poste jusqu'à l'âge de la retraite. Il assume en plus les charges de secrétaire-trésorier de l'arrondissement scolaire séparé de Prince-Albert.

Revenant sur ses terres à Saint-Louis en 1897, il se remet aux travaux agricoles, tout en occupant le poste de secrétaire de l'école du village et, plus tard, de la municipalité rurale.

Il meurt le 6 novembre 1935, à l'âge de 91 ans et 11 mois. Une rumeur circule à l'effet qu'il emporte dans la tombe un terrible secret au sujet de l'exécution de Thomas Scott à la Rivière-Rouge en 1870. Mainte fois interrogé à ce sujet, il répond invariablement qu'il a fait le serment solennel de se taire.

1 Les Métis mesuraient habituellement les distances en lieues, ancienne mesure française assez élastique, valant trois milles anglais au Canada.

2 Le mot désigne les barques York (on disait aussi «berges»), conçus pour le transport de très lourdes cargaisons sur le réseau fluvial de l'Ouest.

3 Son père faisait la pêche d'automne et tendait des filets – ou rêts – sous la glace pour nourrir la population du fort de la Compagnie de la baie d'Hudson.

4 C'est le nom donné par les Métis à la région du lac Athabasca.

5 C'est-à-dire le confluent de la Rivière-Rouge et de l'Assiniboine.

6 Les frères des Écoles Chrétiennes.

7 Il s'agit d'Alexis L'Espérance, sans contredit le meilleur guide à l'emploi de la Compagnie de la Baie d'Hudson.

8 La chaîne vaut 66 pieds, soit un peu plus de 20 mètres.

(citations: «Mémoires de Louis Schmidt», publiés à partir de juin 1911 dans Le Patriote de l'Ouest, passim)

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