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Cyrille Sylvestre


La plupart des immigrants dans les provinces de l'Ouest, qu'ils aient été agriculteurs, artisans ou de profession libérale, n'avaient pas encore atteint la trentaine. Mais il est aussi arrivé que des personnes beaucoup plus âgées soient venues s'y installer pour des raisons particulières. C'est ainsi qu'un pionnier de Saint-Maurice-de-Bellegarde, Cyrille Sylvestre, prit la décision de quitter sa Haute-Savoie natale alors qu'il approchait la soixantaine, pour se soustraire, lui et ses nombreux enfants, aux mesures anticléricales du gouvernement français à la fin du siècle dernier. Un de ses fils explique:

«L'idée principale d'émigrer au Canada n'était pas que nous avions de la peine à vivre en France, car nous possédions deux petites fermes qui, avec le louage de deux autres, nous permettaient de garder une douzaine de vaches à lait; en plus nous étions tous des hommes de métier, ce qui nous permettait de faire des épargnes annuellement, mais plutôt parce que voyant la tournure des événements, les écoles sans Dieu et l'affaiblissement de la foi, cela décida M. Cyrille Sylvestre à venir au Canada afin de protéger sa famille et pour pratiquer leur religion plus facilement.

«D'abord pour ne pas agir à l'aveugle, M. C. Sylvestre envoya deux de ses enfants, Alexis et Justine qui mirent pied à terre à Saint-Laurent Man., pour étudier le pays. Ils achetèrent cinq vaches de suite, et après trois mois, ils furent convaincus que le reste de la famille pouvait venir sans crainte, et vendre les deux petites fermes que nous possédions et tout ce qui s'en suit. La famille arriva donc à Saint-Laurent le 12 novembre 1891.

«M. C. Sylvestre, agriculteur, vit de suite que Saint-Laurent ne se prêtait guère à l'élevage et qu'il fallait chercher ailleurs. Alors au printemps de 1892, la famille déménagea à Grande-Clairière, où nous avions acheté une terre. Mais comme il n'y avait que 25 acres de cultivables, nous vîmes bien vite aussi que ce n'était pas encore assez. Alors M. l'abbé Gaire, curé colonisateur, nous fit prendre des homesteads à Saint-Maurice, qui n'existait pas encore, car de six milles à l'est de la dernière maison de Grande-Clairière, c'était la prairie vierge jusqu'à la Montagne d'Orignal, à 41 milles à l'ouest.»

Il semble bien que la famille Sylvestre ait tenté de casser quelques acres de terre dès cette année-là mais que, peut-être à cause de la sécheresse qui avait durci le sol ou encore à cause de charrues trop légères, elle n'ait réussi qu'à entamer quatre ou six acres en tout. Un nouvel essai eut lieu l'année suivante, dès la fin des semailles à Grande-Clairière.

«M. C. Sylvestre, tenace, voulut essayer quand même de nouveau. Nous partîmes donc avec nos deux paires de boeufs, wagons, charrues, quelques planches pour nous mettre à l'abri, et le strict nécessaire pour un mois. Nous parcourûmes ces 35 milles en une journée et demie.

«Après nous être bâti un petit abri recouvert de nos planches, nous essayâmes de labourer, mais nous fûmes vite convaincus de l'impossibilité du travail. Le terrain étant assez ondulé, il y avait par-ci par-là des bas-fonds d'un acre ou plus, dans lesquels l'eau de neige de printemps restait une bonne partie de l'été. Les bas-fonds étaient entourés de petits rejetons de trembles gros comme le doigt, qui se faisaient très souvent brûler par les grands feux de prairie venant à course de cheval de la Montagne de Bois, à 300 milles de distance. Donc, ne pouvant labourer et voyant dans ces petits trembles le moyen d'avoir du bois de chauffage dans le futur, nous restâmes quelque temps à faire autour de ces bas-fonds huit raies de charrue pour les protéger du feu. Environ 20 ans plus tard, ces rejetons avaient grossi jusqu'à 6 pouces de diamètre, réglant ainsi la question du chauffage.»

Cet automne-là, deux autres membres de la famille Sylvestre, l'un venant tout juste de terminer son service militaire et l'autre à la tête d'une jeune famille, arrivèrent à Saint-Maurice. Ce dernier prit une concession auprès de celles de son père et de ses frères.

«L'année suivante, 1894, nous partîmes de nouveau de Grande-Clairière avec l'outillage nécessaire, munis, en plus, d'une petite herse avec morceau de rail comme enclume. Nous réussîmes facilement à casser une trentaine d'acres. En 1895, nous allâmes ensemencer notre cassage de l'année précédente, et casser de nouveau une quarantaine d'acres ainsi que bâtir trois petites maisons de tourbe sur nos lots. Enfin, nous emménageâmes pour de bon à Saint-Maurice. Ces maisons de tourbe étaient certainement les plus pratiques pour les premières années, ne coûtant rien qu'un peu de travail et quelques pièces de bois rond pour la charpente; elles étaient surtout très chaudes et confortables, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de faire du feu dans l'unique poêle de cuisine à partir du souper jusqu'au lendemain. Seulement cette dite tourbe étant de peu de consistance, il fallait faire attention que vos bêtes fussent tenues à l'écart, car elles avaient vite fait de vous démolir les coins avec beaucoup de plaisir, en y enfonçant leurs cornes... Vers 1898-1899, les colons commençant à prendre le dessus, se mirent à bâtir des maisons plus substantielles, en pierres mais surtout en planches.»

Encore à cette époque, il fallait charroyer le blé et aller chercher les provisions à Reston, à une trentaine de kilomètres à l'est, de l'autre côté de la frontière manitobaine. Cette situation ralentissait considérablement le progrès de la colonie de Saint-Maurice de Bellegarde. En 1899, le chemin de fer atteignait Antler, à moins de dix kilomètres vers le nord-est. Malheureusement, Cyrille Sylvestre ne fut pas témoin de cet heureux développement.

En effet, lui et ses fils reçurent les lettres patentes de leurs homesteads en 1897 et 1898, mais à 66 ans, il était usé par les durs travaux de la ferme et les soucis de l'installation de sa famille dans l'Ouest canadien. Il déclina rapidement au cours de l'été 1898 et il mourut à l'hôpital de Saint-Boniface cet automne-là.

(citations: notes manuscrites du frère Charles Sylvestre, collection S.h.S.)

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