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Crank


Parfois, il faut quitter la Saskatchewan pour venir à découvrir les trésors de cette province. Le docteur Rosario Morin, autrefois de Gravelbourg et maintenant au Québec, est un de ces anciens résidents qui prend maintenant beaucoup de plaisir à rechercher la beauté de la Parlure fransaskoise. C'est la deuxième fois qu'il m'écrit pour me suggérer des mots et je le remercie du fond du coeur.

Il écrit: «Comme fils de fermier en Saskatchewan, on employait le mot crank et le verbe cranker. Crank est l'anglicisme pour manivelle.» Selon mon Petit Robert, manivelle est un nom féminin du XVIe siècle. «C'est une pièce mécanique constituée par un bras perpendiculaire à un arbre, auquel elle peut imprimer un mouvement de rotation.» On se servait de la manivelle pour démarrer l'automobile ou le tracteur avant l'invention des démarreurs automatiques.

Léandre Bergeron, dans son Dictionnaire de la langue québécoise nous dit que crank est un nom féminin prononcé crinque. L'abbé Étienne Blanchard dans son Dictionnaire du bon langage suggère deux mots qu'on devrait utiliser au lieu de crank, soit manivelle ou démarreur.

Le docteur Morin ajoute: «Manivelle n'a pas de verbe. On crankait donc le Model T d'autrefois, ou encore l'ancien tracteur. L'automobile et le tracteur d'aujourd'hui démarre sans l'utilisation de la crank Il est vrai qu'on ne peut pas dire: «Le bazou veut pas partir! Va donc maniveller un petit peu.» D'où vient le verbe cranker prononcé crinquer.

L'abbé Blanchard suggère de dire démarrer, mais ce verbe n'a pas le sens coloré de cranker. Démarrer est un verbe plutôt neutre, tandis que cranker nous fait suer même si on ne fait qu'imaginer le travail que l'action de faire partir le fichu de bazou va nous occasionner. C'était tout un art que d'être un habile crankeur. Les moins habiles avaient sûrement une ou deux orteils de fracassées après avoir sacré des coups de pied au torrieu de Model T Ford qui ne voulait pas démarrer.

C'est peut-être la raison pour laquelle crank a pris un autre sens. Albert Dubé me rappelait l'autre jour que le mot veut aussi dire «une personne écervelée», c'est-à-dire une personne sans cervelle ou sans jugement. Qui aurait encore un bon jugement après avoir cranké le Model T Ford toute la journée sans parvenir à le faire démarrer.

L'abbé Blanchard vient au secours. Selon lui, au lieu d'appeler un individu un crank, il vaut mieux l'appeler «un détraqué, un toqué (ça c'est celui qui a vargé à grand coups de pied sur sa voiture), un maniaque, un timbré, un irresponsable, un crétin, un idiot, un mal équilibré, une personne qui a la tête à l'envers, qui bat la campagne, qui bat la breloque, qui a perdu la boussole, un braque, un dément, une personne qui a un coup de marteau, qui a une araignée au plafond, une tête fèlée, un cerveau brûlé, un échappé de Beauport, de Longue-Pointe, un hypocondriaque, un lunatique, un zéro, une buse, un sot de 24 carats, une personne qui a perdu la tramontane ou qui a une chambre à louer.» Il faut y penser, n'est-ce pas! L'abbé Blanchard avait certainement les moyens à sa disposition pour insulter ses paroissiens sans qu'ils le sachent!

Je me demande si ça marcherait; si j'entrais au bureau lundi prochain et je flattais le patron en lui disant: «Eh, boss! Merci beaucoup. T'es un bon hypocondriaque. Est-ce que je peux prendre deux semaines de vacances?»

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