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GarrocherLa semaine dernière, la fête de la St-Valentin est passée inaperçue dans cette chronique. Il fallait remédier à cette situation, même si on le faisait avec une semaine de retard. Au temps de nos ancêtres canadiens français, il ne semble pas que la St-Valentin ait été célébrée; certainement pas sur un pied d'égalité avec la St-Jean-Baptiste, la Fête-Dieu, la Ste-Catherine, Noël et le Jour de l'An. Nos ancêtres ne faisaient pas comme nous. Ils ne se garrochaient pas tous vers les boutiques de fleurs pour acheter quelques roses pour celui ou celle qu'ils (elles) aimaient. Dans la tradition épique des gangsters américains, la St-Valentin était la journée où on enlignait les membres de la gang opposée le long d'un mur de garage pour leur lancer des fleurs de la bouche des canons (dans ce cas des mitrailleuses). Chez nous, dans le beau monde francophone, la St-Valentin, comme journée des amoureux, est une fête relativement nouvelle. Nous avons adopté la tradition américaine des petites boîtes en coeur remplies de bonbons et des cartes en petit coeur. Et, comme les Américains, on se garroche vers les boutiques de fleurs pour quelques roses pour celui ou celle qu'on aime. Le verbe garrocher a deux sens dans le langage canadien français. Premièrement, le verbe intransitif, garrocher, veut dire lancer quelque chose. Léandre Bergeron, dans son Dictionnaire de la langue québécoise, nous donne les exemples suivants: «Arrête de garrocher des pierres au chien. Garrocher une job. Garrocher ça à quelqu'un ou encore garrocher un look.» Le deuxième sens qu'on donne à garrocher c'est comme verbe pronominal se garrocher, se hâter, aller vite, se donner des airs ou chercher à attirer l'attention de quelqu'un par un comportement pas ordinaire. Comment ces deux sens du verbe garrocher sont-ils entrés dans notre vocabulaire? Pour la réponse, allons consulter le Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada (Dagenais). Selon lui, «le verbe transitif (garrocher) au sens de lancer et le verbe pronominal (se garrocher) au sens de s'élancer, se précipiter, que le langage populaire emploie couramment au Canada sont des vieux mots dialectaux. On a noté l'existence de garrocher dans les patois d'un certain nombre de régions de France depuis le Poitou jusqu'au Massif central. Ce vocable est évidemment une altération de l'ancien verbe dialectal garroter, dérivé de garrot, nom emprunté au francique et qui a été usité jusqu'au XVIe siècle pour désigner le bois d'une flèche et un trait d'arbalète. De l'idée de lancer, le glissement était facile. Il ne faut pas dire garrocher, mais lancer, non plus que se garrocher à la place de se précipiter. Au lieu de garrocher des pierres, il faut dire lancer des pierres.» Bélisle peut nous conseiller de ne plus dire «se garrocher à la boutique de fleurs à l'occasion de la St-Valentin», mais ce verbe pronominal semble avoir tellement plus de caractère que si nous disions simplement «se précipiter vers la boutique.» David Rogers, dans son Dictionnaire de la langue québécoise rurale, a relevé le passage suivant dans le roman Marie-Didace de Germaine Guèvremont à la page 65: «Après, aussitôt qu'il y arrivait malheur, ho donc! elle se garrochait dehors, toute seule, le yâble était pas pire!» Donc, si vous avez oublié de donner des roses à votre bien-aimé(e) à la St-Valentin et que vous ne voulez pas que le yâble se mette à votre piste et vous garroche dehors, garrochez-vous à la boutique de fleurs. Il n'est jamais trop tard! |