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Bombardier, écoliers et bidons de crème


Lorsque le Québécois J.-Armand Bombardier mit au point une machine capable de transporter douze soldats à l'abri du froid et sur tous les terrains durant la Seconde Guerre mondiale, il ne pouvait savoir que son invention faciliterait l'éducation de milliers d'écoliers dans les provinces de l'Ouest. Au printemps et à l'automne, le ramassage scolaire s'effectuait en autobus, mais la neige épaisse durant l'hiver et la boue glissante durant le dégel interdisaient le passage. On avait alors recours à un étrange véhicule de deux mètres de hauteur et de trois mètres et demi de longueur, laid et inconfortable à souhait, bruyant de surcroît, muni de deux larges skis à l'avant et de quatre paires de roues arrières ceintes d'une courroie articulée, elle-même entraînée par deux roues dentées. Il avait reçu le nom de son inventeur, Bombardier, que les Anglais massacraient allègrement en un «bomb-ba-deer» guère euphonique. Propulsé par un moteur à six cylindres, l'engin ne servait pas seulement au transport scolaire; plusieurs particuliers et de nombreuses compagnies comptaient sur son agilité pour assurer la liaison entre les villes et les villages d'une région. À Saint-Front, par exemple, un bombardier servit fidèlement le village pendant plusieurs années à partir de 1948. Dans l'album historique de la paroisse, «il» livre ses souvenirs:

«Je suis arrivé dans le district en 1948, tout droit de l'atelier Bombardier; mes patrons étaient Louis LeStrat, Laurent Plamondon et P.-H. Proulx. Je transportais deux fois la semaine le courrier de Sa Majesté entre Saint-Front et Archerwill, faisant escale en chemin à Dahlton et au lac Barrière. Mon conducteur ramassait en passant les bidons de crème et les passagers. Une fois, au printemps, les chemins étaient si mauvais que je dus zigzaguer entre champs et fossés de chaque côté, de telle sorte qu'à l'arrivée à Archerwill, le manteau de ma passagère était tout taché de crème. Le maître de poste n'était guère content lui non plus, car son précieux courrier avait été copieusement aspergé de liquide blanc!

«Un de mes patrons eut un jour la brillante idée d'atteler un grand traîneau auquel il avait fixé une boîte, afin que je puisse transporter plus de marchandises. On y faisait même monter des cochons! Une autre fois, une vingtaine de jeunes gens en route pour une partie de hockey à Naicam s'entassèrent à bord. Mais arrivé à Spalding, d'autres voulaient les accompagner. On a alors attaché une cabouze à l'arrière. Celle-ci dansait follement sur le chemin, tous ses occupants victimes du mal de mer. Ils se promirent bien de ne pas tenter l'expérience une seconde fois...

«Mais je m'essouflais à tirer des charges aussi lourdes et il fallut bientôt me donner une «greffe de moteur». Durant mon séjour à Saint-Front, j'ai aussi eu besoin de quatre jeux de chenilles. Quelques années après mon arrivée, Laurent Plamondon a racheté les parts de ses deux associés, de telle sorte que je lui appartenais en propre. J'ai fait de nombreux voyages à Rose Valley, à Spalding, à Naicam, à Archerwill et même à Quill Lake, jusqu'à trois par semaine.

«En plein milieu de la nuit, mon patron me faisait démarrer pour amener un malade à l'hôpital. J'ai aussi ramené plusieurs nouvelles mamans, tenant fièrement dans leurs bras l'enfant qui faisait leur joie. Je menais les voyageurs au train ou à l'autobus, les uns tristes, en route vers un parent souffrant, les autres heureux, à la première étape d'un voyage de vacances.

«En plusieurs occasions aussi ont pris place à bord des passagers venus des villages avoisinants rendre un dernier hommage à une connaissance décédée. Il a même fallu que je ramène une fois la dépouille d'un résident âgé, mort à l'hôpital de Spalding.

«Je me rappelle aussi une course «avec la cigogne». C'était la journée du courrier et la seule fois où le courrier ne quitta pas Saint-Front à l'heure prévue. Je suis parti avec une passagère, mais arrivé avec deux! Une autre fois, un passager, tout occupé à gesticuler alors qu'il discutait ferme sur un sujet quelconque, avait négligé de se tenir solidement sur son siège et fut précipité à l'extérieur lorsque la portière s'ouvrit soudainement alors que je descendais un banc de neige. Heureusement, il ne fut pas blessé.

«Je fus alors remisé pour quelques années, puis expédié à une compagnie de machines aratoires du Manitoba et échangé – quelle ignominie! – contre une herse.»

(adapté d'un article de Mme C. Basset, St. Front & District Memoirs, St. Front History Book Committee, Humboldt, 1981, p. 346)

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