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Coderre, Courval et chemin de fer


Le peuplement ordonné des Prairies dépendait dans une large mesure de la division des terres en unités de dimensions connues et uniformes. Dès le début des années 1880, plusieurs dizaines d'équipes d'arpentage s'éparpillaient dans les plaines chaque été pour dresser des cartes et élever les tumulus qui marquaient les coins des cantons, des sections et des carreaux. Ces tumulus permettaient aux colons de localiser avec sûreté leur homestead. Louis Poulin de Courval, arpenteur-géomètre, fut chargé par le gouvernement canadien de lever le plan d'un district situé au nord-ouest du lac La Vieille en 1885. On songeait à y établir une réserve indienne, projet qui ne fut jamais mis à exécution. À cette époque, seuls quelques ranchers habitaient le district et leurs troupeaux erraient encore librement. Son travail terminé, de Courval partit vers d'autres régions.

Vingt ans plus tard, à l'automne de 1906, il rencontre l'abbé Louis-Pierre Gravel qui lui suggère d'inviter des gens d'Arthabaska – ils sont tous les deux originaires de ce village québécois – à venir s'installer au confluent de la rivière La Vieille et du ruisseau Chaplin. L'abbé Gravel vient de fonder le village qui porte son nom, un peu plus en amont sur La Vieille. L'été suivant, de Courval vient en compagnie de quelques voisins explorer la région qu'il avait connue tout jeune homme. Il a maintenant plus de 50 ans.

L'occasion est belle car la fertilité de la terre ne fait aucun doute, même si le site se trouve un peu enserré entre deux allongements du Coteau du Missouri. Les visiteurs repartent pour le Québec et les préparatifs du déménagement les occupent tout l'hiver. C'est le jour de la Saint-Joseph, le 19 mars 1908, que les huit premiers colons se mettent en route; ils apportent avec eux quatre «chars» de chemin de fer remplis de machinerie agricole, de bois de construction, de meubles, de chevaux et d'autres animaux domestiques. Ils charroient ensuite tout le matériel jusqu'au lieu choisi pour l'établissement. Il n'y a apparemment pas lieu de se hâter de signer les entrées des homesteads, car les premières ne sont reçues au bureau des Terres du Dominion à Moose Jaw qu'à la fin du mois d'avril et les autres au cours des mois et des années suivantes.

Dans bien des districts, les nouveaux arrivants n'ont que quelques dollars en poche. Les débuts sont alors passablement difficiles, car il faut à cette époque entre 1000 $ et 3500 $ pour s'établir confortablement et lancer une exploitation agricole assurant d'emblée un revenu raisonnable. Les Arthabaskois, eux, sont plus à l'aise et la mise en valeur du canton avance de façon satisfaisante, quoique l'élévateur le plus proche est à Mortlach, sur la voie principale du Canadien Pacifique. C'est un trajet aller-retour de deux jours en chariot à boeufs sur une piste qui traverse une région accidentée. De Courval fait immédiatement l'acquisition d'un puissant tracteur à vapeur pour casser sa terre et celle de ses voisins avec une charrue à huit socs; la machine sert aussi à actionner la batteuse au temps des récoltes. Il se construit une vaste demeure qui servira longtemps d'église, de relais pour les voyageurs fatigués et de maison de convalescence. Cette année-là, le gouvernement accorde à la colonie un bureau de poste; l'endroit sera dorénavant connu sous le nom de Courval. Lors de ses déplacements entre Mortlach et Gravelbourg, l'abbé Gravel fait halte pour dire la messe à la résidence des de Courval. Des prêtres de passage y célèbrent aussi l'office divin de temps à autre.

D'autres colons arrivent pour prendre les homesteads avoisinants et le district est suffisamment peuplé pour y organiser l'arrondissement scolaire n° 2710 dès le mois d'octobre 1910. Mais la discorde sépare bientôt les colons des deux langues; l'unité, il faut le dire, n'est d'ailleurs pas faite au sein du groupe de souche française. Le curé tonne contre «les tièdes, les indifférents portés à la critique», pour qui «l'intérêt (matériel) prime tout». Afin d'assurer l'enseignement adéquat du français et de la religion, les franco-catholiques de la région décident de créer l'arrondissement scolaire séparé St-Charles n° 8 en novembre 1916.

Entretemps, d'autres colons de langue française du Dakota-Nord et du Québec s'installent à huit kilomètres à l'ouest au printemps de 1910. Ils ont eux aussi les moyens de s'installer confortablement; en plus, ceux du Dakota connaissent bien les méthodes de culture en terre sèche et ils possèdent la machinerie et les outils agricoles nécessaires. Ils obtiennent à l'automne un bureau de poste nommé Coderre en l'honneur du premier maître de poste de l'endroit et ils établissent un district scolaire public le 8 août suivant. Les signataires de la pétition auraient voulu l'appeler Hill Side, Valley View ou Dakota Valley. Comme le village porte un nom français, explique-t-on au sous-ministre de l'Instruction publique, il n'est que juste de choisir un nom anglais pour l'arrondissement scolaire! Celui-ci reçoit pourtant le nom d'Exeter n° 298, jusqu'à ce que l'appellation de Coderre devienne officielle en juin 1928.

En septembre 1912, l'évêque de Régina, Mgr Olivier-Elzéar Mathieu, se rend à la requête de citoyens en vue des deux colonies et il nomme l'abbé Charles Poirier curé de la nouvelle paroisse commune de Saint-Charles-Borromée. Même si les distances à parcourir pour se rendre aux offices religieux sont un peu longues, il ne serait guère prudent de songer à l'érection de deux paroisses, car on ne compte qu'une trentaine de foyers du côté de Courval. Les Courvalois joindront donc leurs efforts à ceux de leurs cousins de Coderre pour le financement et la construction d'un presbytère et d'une église. En attendant, les paroissiens se rassemblent alternativement à l'école du Coderre et à la résidence des de Courval pour entendre la messe dominicale.

Lors d'une assemblée générale à la mi-juillet 1913, les paroissiens se déclarent prêts à financer la construction d'un presbytère et d'une grande église de 25 mètres sur 11. Ils s'entendent sur le choix du site, une hauteur surplombant la vallée du ruisseau Chaplin, à l'endroit où un resserrement du cours d'eau a permis de jeter un pont que les gens du coin connaissent sous le nom de Narrows Bridge. Ils s'engagent aussi à effectuer gratuitement le charroi des matériaux de construction depuis Mortlach. Après quelques hésitations au sujet du mode de financement et après des retards dûs à la difficulté de trouver un prêteur, les travaux sont menés rondement et tout est terminé à temps pour la messe de minuit. Plusieurs années relativement paisibles s'écoulent ensuite. Certes, le curé se plaint de temps à autre du fait que bien peu de fidèles viennent à la messe du dimanche, même si «l'église est (...) bien chauffée». L'abbé Poirier part en 1915 et les abbés Bonny (c'est le fondateur de Bonnyville en Alberta), Riou et enfin Thibault lui succèdent. Ce dernier sera curé de 1918 à 1932.

Il devient de plus en plus évident que l'absence d'un chemin de fer ralentit le progrès de l'agriculture dans la région. Il faut encore livrer le grain à Mortlach ou à Gravelbourg. Toutefois, en 1924, le Canadien Pacifique lance un embranchement vers Coderre depuis Swift Current. Pour réduire les frais de construction et pour préparer la descente de la voie ferrée en pente douce vers les bas-fonds de Courval, la companie établit un tracé qui amène la voie à trois kilomètres au sud de l'église. Le centre de gravité de tout le district se déplace donc subitement et il paraît alors raisonnable de déménager l'église St-Charles au nouveau village de Coderre à l'automne de 1925. Pour les paroissiens du nord de la vallée, les distances sont devenues nettement trop grandes. Peut-être le temps est-il venu d'ériger une nouvelle paroisse? Mais Mgr Mathieu s'inquiète de l'état de la dette et il désire éviter que des questions d'argent viennent troubler la paix; il prie donc les Courvalois de continuer à appuyer l'église St-Charles-Borromée pendant encore deux ans, le temps de payer le coût du déménagement et d'amortir une partie de la dette.

La situation ne peut toutefois durer éternellement et, cédant à l'insistance des paroissiens, Mgr Mathieu accepte enfin le démembrement de Saint-Charles et l'érection de la nouvelle paroisse de St-Joseph de Courval. Le dimanche 28 août 1927, plus de 150 fidèles assistent à la grand'messe chantée à l'école séparée du village par le nouveau curé, l'abbé Aimé Giguère. Les paroissiens ont eu tout le temps voulu pour discuter de la construction d'une église et d'un presbytère. Ils ont calculé le coût total des deux édifices et ils se partagent l'ensemble de la dette. Des volontaires viennent, les uns avec une paire de chevaux, les autres avec un tracteur, d'autres encore avec leurs seuls bras et leur bonne volonté, creuser le sous-sol et poser les fondations. Les travaux avancent à grands pas et l'abbé Giguère chante la première messe dans sa nouvelle église au début de décembre 1927. L'intérieur sera achevé durant l'hiver. L'abbé Giguère est remplacé deux ans plus tard par l'abbé Charles Poirier, celui-là même qui avait été le premier prêtre desservant, quinze ans plus tôt.

Il y aura encore un déménagement. Lorsque le Canadien Pacifique décide de lancer en 1928 un tronçon entre Coderre et le hameau d'Archive, un peu au sud de Moose-Jaw, la voie ferrée passe à 800 mètres au sud de l'église de Courval. Le village se déplace petit à petit et l'église se trouve ainsi isolée. Il faudra attendre jusqu'en 1945 avant que les paroissiens prennent la décision de la déménager, en même temps que le presbytère. C'est d'ailleurs toute une aventure, entreprise au début d'août et terminée la veille même d'une tempête de neige en décembre.

Le chemin de fer a longtemps été un facteur dominant dans la vie des villages de la Saskatchewan. C'est le long de son tracé que se sont formés les premiers centres. C'est aussi sa construction qui a permis à certains villages de grandir aux dépens de leurs voisins. C'est enfin la décision fréquente et facilement explicable de poser les rails hors des limites d'un village déjà établi qui a forcé son déplacement ou tout au moins orienté son expansion. Et dans une large mesure, c'est le chemin de fer qui a déterminé l'histoire des villages de Coderre et de Courval.

(adapté de Pioneer Memories: a Historical Account of Courval and Districts Since 1908, s.é., Mossbank, 1974, pp. 1-5, 63-70, passim; Codex historicus, aux Archives provinciales)

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