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Gaudet, le chaufournier


À l'occasion du soixante-quinzième anniversaire de la paroisse Saint-Isidore-de-Bellevue, le Club de l'Âge d'Or de l'endroit lança le projet de recueillir sous forme écrite les souvenirs de quelques pionniers et pionnières. Le tout fut présenté sous forme d'une plaquette sans prétention, d'une lecture fort agréable. On y parle des débuts de Garonne – l'ancien nom de la paroisse –, de la construction de l'église, des bazars, des bureaux de poste, de la caisse populaire, des écoles; on y traite aussi de «calcination», c'est-à-dire de la transformation de pierres calcaires en chaux sous l'action d'un feu intense dans un four entouré de glaise. Cette activité artisanale remonte à un passé fort lointain, car de tels fours existaient dès le haut Moyen-Âge. La technologie moderne a révolutionné la production de la chaux et la méthode utilisée par Camille Gaudet, il y a moins d'un siècle, paraît aujourd'hui d'une inefficacité quasi risible. Mais à cette époque, c'était un moyen ingénieux de tirer profit d'une «richesse naturelle» de la région:

«La chaux était en grande demande dans ce début de colonie; nous sommes avant le siècle. On s'en servait pour rendre le mortier plus dur et résistant à la pluie. Le solage des maisons en prenait beaucoup. Ensuite, l'intérieur des maisons était crépi à la chaux. Ce crépissage devait se répéter de temps à autre. «Faire de la chaux», comme on disait, devenait une petite industrie qui rapportait un peu d'argent. À ma connaissance, on a fait de la chaux à deux places : une au nord-ouest de Duck Lake et l'autre à Bellevue, celle faite par Camille Gaudet. Voici comment il s'y prenait:

«Dans le pied de la montagne, au versant ouest, un nommé Georges Ouellette, un Métis du nord de Bellevue, avait creusé une espèce d'alcove, en face de chez Walter Houle, et y faisait de la chaux. Après quelques années, ce Ouellette avait abandonné la place. C'était un terrain vague; personne ne l'avait pris comme homestead.

«Camille recreusa l'alcove plus profondément et fit une devanture pour y pénétrer. Dans ce trou ouvert, il placerait les pierres pour les faire cuire. L'opération durait un mois. Le trou terminé, Camille ramassait la pierre abondante dans les environs. Il fallait la distinguer des autres qui ne cuisaient pas. Les grosses devaient être cassées pour faciliter la cuite et aussi le placement dans le four; ceci était tout un art: la chaleur doit pénétrer entre les pierres pour les chauffer, sans quoi elles ne pourront pas être écrasées en poudre après la cuisson. Camille place donc les pierres en rond dans le four, laissant au milieu une ouverture pour placer le bois. À deux pieds de terre, il y fait une porte en forme d'ogive; le pourquoi des deux pieds de terre est de permettre au chauffeur d'approcher le four lorsque la chaleur devient intense vers le deuxième jour. Ensuite, on place les pierres toujours en rond jusqu'à la hauteur de huit pieds. Cette installation finie, Camille est prêt à chauffer.

«Le bois était abondant dans les parages. C'etait facile pour Camille d'en ramasser. Une fois le four allumé, il n'y avait plus à arrêter. Les premières fois que Camille s'essaya à ce métier, ça lui prenait huit jours pour cuire la pierre. À mesure qu'il apprenait, ça lui prenait moins de temps, trois jours peut-être. Le premier jour, la chaleur n'était pas assez intense et le bois fumait, mais le lendemain, la braise était tellement chaude qu'il n'y avait plus de fumée. Alors on commençait à renchausser la pierre. Ceci explique la raison du trou dans le flanc de la montagne: c'était plus facile de mettre la terre entre le mur du four et la pierre. Jour et nuit, on chauffait. Le soir, c'était beau de voir la chaleur sortir entre les pierres, couleur rose pâle. Le dernier jour, toute la pierre était enterrée, excepté le trou d'en haut qui servait de cheminée. Soit dit entre parenthèses que Camille y plaçait sa marmite pour faire cuire son dîner. Camille, une fois satisfait de la cuisson par la couleur de la pierre et par l'intensité de la chaleur, refermait le trou d'en haut et celui du bas. On laissait le tout refroidir pendant huit jours. On pouvait être certain que la chaux serait de bonne qualité.

«Une fois le four refroidi, Camille enlevait la terre qui recouvrait la pierre; il ramassait la pierre devenue chaux, la réduisait en poudre, prête à être utilisée. Chaque cuisson lui donnait environ trois cents minots qu'il allait vendre à Duck Lake chez Poser. Il recevait vingt sous du minot. Quelle fortune pour un grand mois d'ouvrage!»

(tiré de M. l'abbé Roland Gaudet, Saint-Isidore-de-Bellevue, 1902-1977, s.é., Saint-Isidore, 1977, pp. 24-25)

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