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Nédélec et Giscard, pêcheurs sous la glace


Nous avons déjà fait la connaissance du jeune Gaston Giscard qui s'était improvisé traiteur de fourrures et marchand général. Après un premier été passé à travailler pour des voisins et sur son homestead, il s'associe à deux frères bretons, Thomas et Corentin Nédélec, qui avaient l'habitude de tendre des filets sous la glace du lac Jackfish en hiver. La méthode utilisée pour pêcher le corégone ou «poisson blanc» était d'une ingéniosité remarquable, comme le raconte Giscard dans ses mémoires intitulées Dans la prairie canadienne:

«Nous dressons une petite cambuse en toile, faite d'une petite tente amovible, sur patins, avec un minuscule poêle à l'intérieur, fixé sur deux traverses. On la déplace d'un trou de visite à l'autre.

«Le poêle ronflant toute la journée dans la cambuse, visiter les filets n'est plus aussi pénible, surtout quand le vent souffle fort. Néanmoins les doigts deviennent vite gourds au contact de l'eau glacée et il faut les approcher vite du poêle rouge pour les dégourdir. Une fois la cambuse en place sur un trou de visite, on ne sort plus que pour aller tirer la corde qui permet de rentrer le filet sous la glace.

«Pour poser les filets sous la glace, la première fois, on fait d'abord un trou carré central, avec la hache, d'un mètre de côté, qui sera le trou de visite journalier. Lorsque la glace devient plus épaisse, on fait quatre entailles profondes jusqu'à l'eau, avec la hache, afin de détacher un gros bloc. Comme il serait trop lourd pour le sortir, on appuie dessus avec un bâton, pour le faire glisser sous la couche de glace.

«On prend ensuite une perche, la plus longue possible, à laquelle on attache un cordeau. On passe cette perche par le trou, dans la direction du filet à poser. Celle-ci flotte sur l'eau, sous la glace, et par transparence on aperçoit une ligne noire, indiquant la position de la perche. En faisant un petit trou triangulaire à son ' extrémité, on fait avancer la perche d'une longueur sous la surface, et ainsi de suite jusqu'à la longueur du filet à poser. À cet endroit, on fait un trou de 50 centimètres, pour permettre d'attacher le filet à une longue perche piquée au fond du lac, dans la vase.

«On revient au trou central; on attache au cordeau, qui a suivi la perche, le filet à poser. Pendant que l'un de nous guide le filet vers le trou central, un autre tire la corde à l'autre extrémité, au trou de 50 sur 50. Le filet posé, on prend deux longues perches de 3 à 4 mètres, suivant la profondeur, auxquelles on attache les deux extrémités de l'engin. Afin de bien utiliser le trou central de visite, travail assez long, on fait partir de ce trou quatre filets, dans les quatre directions opposées. Il faut attacher les filets aux perches un peu au-dessous du niveau de la glace, sinon ils se prennent à la surface et sont perdus.

«Pour la visite du filet, le lendemain, nous enlevons avec la hache et une pelle la glace qui s'est formée pendant la nuit. Nous sortons alors la perche du trou opposé au trou de visite, et nous détachons le filet auquel nous nouons le cordeau qui a servi à le poser et qui suivra le filet. Nous tirons alors par le trou central le filet, dont nous détachons, au fur et à mesure qu'ils se présentent, les poissons pris. Nous les jetons sur la glace par la porte de la cambuse entr'ouverte. Une fois l'opération terminée, l'un de nous va au trou de 50 sur 50 pour tirer le cordeau qui a suivi le filet pendant la visite. Le filet se trouve ainsi replacé.

«Les pêcheurs font ordinairement deux repas par jour, un le matin avant de partir, et un le soir en rentrant. Nous faisons le repas du midi dans la cambuse. Au moment du déjeuner, nous prenons le premier poisson qui se présente au filet. L'un de nous l'écaille, le vide, le rince dans le trou de visite et le voilà dans la poêle sur le feu.

«Lorsque nous avons fini de visiter les quatre filets d'un trou, nous faisons glisser la cambuse jusqu'au trou suivant. Chaque permis de pêche donne droit à quatre filets de 100 yards. Nous avons donc posé douze filets. Nous sommes les mieux outillés, certains devant faire la pêche avec des moyens de fortune rudimentaires.

«Dès les premiers jours, la pêche s'annonce bonne, en trois jours, nous prenons 300 poissons, dont la moyenne est de 3 à 4 livres pour le whitefish. Il vaut 20 centimes la livre, la perche 15 centimes et le brochet n'a pas de valeur. On le donne aux voisins qui le feront dégeler au printemps et le donneront aux poules pour activer la ponte.

«Après une semaine, nos prises s'élèvent à 1400; résultat très satisfaisant. Le lundi, les filets étant restés deux jours sans être visités, nous retirons 400 poissons, dont certains brochets de 20 à 25 livres.

«Les places sont plus ou moins bonnes. Si un filet ne rend pas, nous le changeons de place, et nous devons recommencer la longue opération de la pose. Elle devient d'autant plus dure que la glace épaissit tous les jours. Pendant que deux de nous visitent les filets, l'autre fait de nouveaux trous pour les filets à changer. Dès que nous trouvons une place d'un bon rendement, nous y restons jusqu'à épuisement du poisson. Après janvier, on ne peut guère les changer, la glace atteignant 1 m 50 à 2 m d'épaisseur.

«Nous apportons une charge de bois mort sur le lac pour alimenter le petit poêle de la cambuse. Nous arrivons sur le lac au lever du jour, vers 7 heures et demie, et en repartons à la nuit, à 17 heures. Chaque jour nous portons le poisson pris à l'ancien presbytère, où nous logeons tous les trois. Si nous le laissions sur place, les loups risqueraient de le manger. Nous l'empilons comme du bois scié, contre le mur de la maison. Le tas fait déjà un mètre de hauteur trois mètres de large et de long. Pour pouvoir bien l'entasser, nous faisons en sorte, quand nous sortons le poisson de l'eau, qu'il se gèle bien à plat. Quelques minutes après la prise, il commence à se congeler et il lui arrive parfois de geler tout replié dans un dernier coup de queue. Nous le redressons aussitôt; une fois gelé, si on veut le redresser, il casse comme du verre. Le thermomètre descend fréquemment à moins 30 degrés et nous trouvons moins 20 degrés sans vent très supportable. Il est vrai que, pour pêcher, nous chaussons des bottillons en caoutchouc, dans lesquels nous mettons des mocassins fourrés de laine.

«En décembre, nous arrivons à 3000 poissons. Aussitôt après Noël, le thermomètre descend à moins 40 degrés; nous allons visiter nos filets pour une dernière fois. Il n'est plus question de pêcher, la glace ayant atteint une épaisseur trop considérable.

«La pêche est terminée. Il ne nous reste plus qu'à charroyer tout ce poisson gelé, environ 15 000 livres: des whitefish, des dorés, des perches. Nous le portons à la station de chemin de fer à Méota, où des marchands l'achètent et l'expédient dans les grandes villes du Canada et des États-Unis. Nous devons faire plusieurs voyages avec deux chevaux. Ce n'est pas que le poids soit énorme: 8 tonnes; les chevaux pourraient aisément les traîner en deux voyages; mais du poisson, même bien rangé, fait du volume.»

(tiré de Gaston Giscard, «Dans la prairie canadienne», Canadian Plains Studies, CPRC, Regina, 1982, pp. 25-29)

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