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Viscount et les chevaux du Québec


Le village de Viscount s'élève aujourd'hui le long de la route de la Tête-Jaune, à une soixantaine de kilomètres à l'est de Saskatoon. Le terrain moutonnant est parsemé de bas-fonds où s'accumule l'eau de la fonte des neiges. La terre brune est néanmoins fertile et quelques colons, dont le premier est un rapatrié, M. Marcoux, s'y installent dès le début du siècle. Le Canadien Pacifique termine son importante ligne Winnipeg-Saskatoon entre 1905 et 1908. Toute une vaste zone du centre de la province s'ouvre ainsi plus facilement à la colonisation. Un grand nombre de Hongrois, d'Allemands, de Scandinaves et d'Anglais, ainsi qu'une poignée de Canadiens français viennent alors prendre des homesteads de part et d'autre de la voie ferrée dans le district de Viscount.

On ne saura jamais les raisons profondes qui ont amené des familles et des jeunes gens du Québec à venir prendre une terre dans cette région de l'Ouest canadien. Était-ce le besoin d'un changement, le goût de l'aventure, l'attrait d'un profit vite réalisé ou bien la recherche d'une sécurité matérielle que représentait la possession d'une grande terre? Peut-être était-ce tout cela à la fois. Mais pour une bonne vingtaine de colons de la première heure, la décision dépend en partie d'une «histoire de chevaux».

À l'époque où les terres de l'Ouest accueillent les premières grandes vagues d'immigrants, le cheval fournit encore une grande partie du travail. Sur les fermes, les tracteurs à vapeur ou à kérosène demeurent trop chers pour l'agriculteur moyen, et les boeufs sont trop lents et difficiles à mener. En même temps, on construit des centaines de kilomètres de voies ferrées et les travaux de terrassement exigent des milliers de chevaux. Comme les compagnies de chemin de fer offrent une rémunération intéressante à ceux qui possèdent des «timmes» de chevaux, bien des fermiers ne font que l'absolu nécessaire pour obtenir les lettres patentes de leur homestead et ils passent une grande partie de la belle saison à travailler pour le chemin de fer.

Les chevaux de ferme et de travail viennent pour une bonne part du Manitoba et de l'Est du pays. Les chevaux de promenade, plus légers, naissent et grandissent à l'état sauvage sur les ranches de l'Alberta. La demande dépasse de loin l'offre et les marchands de chevaux font de belles affaires.

Pascal Clavelle, un jeune agriculteur de la région de Saint-Jérôme, au nord de Montréal, entend parler de cette pénurie par ses frères Jérôme et Charles, de passage à Esterhazy en 1905. On ne sait trop ce qui avait attiré les deux frères vers le district de l'Assiniboia. Ils faisaient peut-être partie d'une équipe de construction de la nouvelle voie du Canadien Pacifique. On pourrait aussi supposer qu'ils étaient venus rendre visite à leur frère Arthur, qui possédait un homestead dans la région depuis janvier 1903.

Quoi qu'il en soit, Pascal Clavelle prend alors une sage décision. Il achète plusieurs dizaines de chevaux au printemps de 1906. Comme la saison de la coupe du bois dans les chantiers des Laurentides est terminée, leur prix vient d'enregistrer sa baisse coutumière. Il loue un char de chemin de fer, en barricade une extrémité avec des madriers solides pour se réserver un coin où dormir et y fait monter les chevaux. Il les accompagne pour pouvoir les nourrir et les soigner. Après un trajet de plusieurs jours, il rejoint ses frères Jérôme et Charles, qui se sont entre-temps réservés des homesteads adjacents dans la région de Viscount. Les chevaux sont vite vendus et les profits se révèlent intéressants. Il n'y a pas à en douter: de très belles possibilités s'offrent dans ce nouveau pays aux gens débrouillards, vaillants et habiles de leurs dix doigts, surtout s'ils ont un pécule à faire fructifier.

Pascal repart vers l'Est et il y a lieu de croire qu'il répète l'opération au cours des années suivantes. En 1908, d'autres Clavelle, oncle et cousins, arrivent à Viscount: Honoré, Charlemagne et Euclyde. L'année précédente, Arthur Clavelle, lui, s'est pris une concession tout près. Est-ce le même individu qui avait obtenu les lettres patentes d'un homestead près d'Esterhazy? La confrontation des signatures sur les demandes d'inspection ne laisse guère planer de doutes et, dans ce cas, la seconde terre a été obtenue par des moyens pour le moins irréguliers. Mais qu'importe! D'autres frères s'installent pour de bon en 1909: Pascal, Albert et Archélaüs. C'est déjà un bon début de colonie.

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Les chevaux d'Edmond Dhuez, Duck Lake (Université d'Ottawa) 23.4 Kb

Comme beaucoup d'autres Canadiens français en quête de travail en ce début de siècle, un autre groupe de la région de St-Jérôme s'aventure jusqu'aux riches mines de cuivre du Montana vers 1905. Des Clavelle, des Normandeau, des Ricard et des Daoust sont du nombre. Le travail paie bien, mais la vie est chère et les ouvriers n'arrivent pas à faire des économies. D'ailleurs, l'existence rude dans les camps de travail ne leur plaît guère. À l'automne de 1907, ils prennent la décision de venir à Viscount. Au moins trois d'entre eux, Henri Normandeau, Arthur Ricard et Omer Daoust se réservent eux aussi un homestead au printemps et à l'été de 1908. La colonie continue à grandir.

Les parents par alliance viennent tenter fortune. Alphonsine Clavelle, mariée à un Credgeur, arrive en juin 1907. Une autre Clavelle, qui porte maintenant le nom de Lefebvre, arrive vers 1910, à peu près à la même époque que le ménage formé par Donat Riendeau et Albertine Clavelle.

Ils sont maintenant une bonne quinzaine de familles, parentes et alliées. D'autres viendront au cours des années suivantes: au moins trois Daoust, trois Lefebvre et un dernier Clavelle, Daniel. Ils ne s'installeront pas tous de façon permanente et les liens avec la vieille province ne seront jamais brisés. Ces liens se renforcent avec le retour au Québec de Pascal Clavelle vers la fin de la Première Guerre mondiale. Plusieurs jeunes gens de la colonie en Saskatchewan trouvent époux ou épouse dans les environs de St-Jérôme lors de voyages plus ou moins réguliers. Puis, comme chez la plupart des autres familles de sang français en Saskatchewan, les générations subséquentes se dispersent à la grandeur de la province et la vitalité de la colonie française de Viscount en souffre.

Il est raisonnable de supposer que plusieurs familles de Clavelle, de Daoust et de Lefebvre seraient venues s'établir dans la province même si le commerce des chevaux avec le Québec n'avait été si rémunérateur. Néanmoins, il est certain que le profit tiré de cette entreprise a servi à encourager la migration depuis les Laurentides jusqu'aux plaines de la Saskatchewan.

(adapté de Footprints in Time, Viscount Area History Book Committee, Viscount, 1985, pp. 394-400; renseignements supplémentaires, Registre des Homesteads, Gouvernement de la Saskatchewan; Homestead Files, Archives provinciales)

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