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Cinéma, religion et vie française


Le clergé catholique de l'Ouest surveillait d'un oeil inquiet la popularité croissante du cinéma dès la première décennie du siècle. En attendant l'aménagement de véritables salles de théâtre et de cinéma dans les gros villages, l'opérateur ambulant de «machines à vues» venait régulièrement faire son tour, même dans les villages les plus petits et les plus reculés. Le sujet et le contenu des films - muets et en noir et blanc de surcroît - paraîtraient bien innocents au spectateur d'aujourd'hui; mais à cette époque, le cinéma était, selon le clergé, «l'apothéose du vice» et une «savante exploitation des instincts les plus dépravés de la nature humaine». Il s'alarmait tout particulièrement de son influence pernicieuse sur la santé morale de la jeunesse, car les films tendaient «à donner une conception artificielle de la vie et à créer des illusions dangereuses».

La rédactrice des pages féminines du journal Le Patriote de l'Ouest, Annette Saint-Amant, crut nécessaire de mettre ses lectrices en garde contre ce danger à la veille des vacances scolaires de 1918:

«Au nombre des influences pernicieuses contre lesquelles il nous faut à tout prix réagir si nous voulons rester ce que nous devons être, catholiques et français, j'ai nommé le cinéma.

«C'est un sujet sur lequel il importe de revenir. Trop de périls guettent l'âme des enfants surtout pendant les vacances pour que chacun ne s'efforce pas de diminuer au moins un peu les chances du mal.

«Il me souvient d'une bien belle parole de M. René Bazin. Un étranger proposait à une pauvre veuve de placer son fils, infirme, dans un sanatorium. «Je le voudrais bien, monsieur, avait répondu sa mère, mais je ne le peux pas: qui est-ce qui lui ferait son âme?»

«Bien des petits Canadiens, bien des petites Canadiennes qui ont pourtant de bonnes et pieuses mamans ne semblent pas être l'objet d'une si chrétienne sollicitude. Leur âme, c'est le cinéma qui la fait! Quelles loques intellectuelles et morales, quelle déformation de notre mentalité il en résulte, tous ceux que préoccupent notre avenir religieux et national le savent, et ne le déplorent que trop, hélas!

«Pourrait-il en être autrement? L'influence de l'exemple est déterminante dans l'éducation de l'enfant, et nul enseignement n'égalera jamais, en puissance et en efficacité, celui de l'image qui, par les yeux, entre dans l'âme et s'y fixe.

«Comment donc le goût de la piété et des choses sérieuses fleurirait-il dans un coeur où foisonnent mille sentiments prématurés et factices, dans une intelligence pleine de fantasmagories qui se déroulent sur l'écran lumineux? Comment l'amour du devoir se développerait-il dans une conscience familiarisée avec les scènes de libertinage et de vol qui sont le menu ordinaire des représentations cinématographiques?

«Peut-être ne songe-t-on pas assez non plus aux dangers qui menacent la santé des petits dans ces salles mal aérées où pullulent les microbes. Ils subissent inévitablement un fort ébranlement nerveux. L'affaiblissement de la vue est aussi provoqué par la perpétuelle trépidation des figures sur la scène. Que nos chers écoliers profitent des beaux jours de notre court été pour s'amuser au grand air et à des jeux qui soient de leur âge. Ils grandiront plus robustes. Ils garderont vigoureuses et saines, pour la joie de leurs parents, pour leur propre bien et pour l'honneur de la race, toutes leurs jeunes énergies intellectuelles et morales.»

L'épiscopat franco-catholique et son clergé se rendaient bien compte qu'ils allaient devoir composer avec ce nouveau mode de communication, qu'ils ne pouvaient d'ailleurs interdire tellement il fascinait les foules. Le meilleur parti à prendre, c'était d'en tirer profit en offrant à la population, par l'image, une nourriture intellectuelle substantielle, comme le rapporte l'Hirondelle de Ponteix à l'été de 1920:

«L'inauguration du Pathéscope-Cinéma a été dans le soubassement de l'église, les 14 et 15 août, en présence de Mgr Mathieu, par la représentation de la Passion de N.S. Jésus-Christ.

«Dorénavant, tous les samedis soirs à la tombée de la nuit et les dimanches autant que possible, nous aurons ainsi au soubassement des représentations de vues animées les mieux choisies, avec un programme différent chaque semaine et les explications nécessaires.

«Voici les sujets, demandés pour les prochaines séances:
Samedi 28 août: Le Port de Marseille - Le Jugement de Salomon - Le général Joffre en Alsace - Oiseaux et animaux du Brésil - Rosalie et la maladie du sommeil.
Samedi 4 septembre: La Fève de Cacao - Caïn et Abel - La Tuberculose - Bataille de la Marne - Ma Servante est Somnambule.»

À la lecture de cette rubrique, il est clair qu'un problème fondamental se posait: comment faire concurrence aux films plus attrayants et distrayants offerts ailleurs? La fève de cacao, il faut bien le dire, n'exerçait pas la même fascination qu'une Mary Pickford ou qu'un Rudolf Valentino...

(tiré du Patriote de l'Ouest, 26 juin 1918, p. 5 et 25 août 1920, p. 7; citations supplémentaires, 26 juin 1918, p. 4)

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