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Grippe espagnoleLa tuerie sur les champs de bataille durait encore en 1918 lorsqu'un fléau pire encore frappa l'humanité. Environ 24 millions d'êtres humains (certains parlent de 30 ou même de 50 millions) succombèrent lors de la pandémie de grippe espagnole. La Saskatchewan ne fut pas épargnée, comme le racontent des pionniers et des pionnières de langue française: «En 1918, il y a eu la grippe espagnole. Il en est mort 52 à Willow-Bunch. C'était un grand territoire: Saint-Victor était avec, ceux du sud aussi.» «Alentour de Ferland, il en est mort une douzaine... c'était beaucoup... dans une semaine. Ils les enterraient et puis ils chantaient le service plus tard, parce que c'était tellement contagieux». «Le monde était tout découragé... ils savaient pas qui serait le premier. À Ferland, ils en ont enterré douze; à Meyronne, ils en ont enterré plus que ça encore... le monde était bouleversé!» L'épidémie avait débuté à l'automne de 1918 et elle dura jusqu'à l'été suivant. «Je me rappelle bien. Ça a commencé à la fin de septembre et puis il y en a eu un peu tout l'hiver. Mais pendant deux, trois mois, ça a été bien mauvais. On ne l'a pas eue, la grippe, cette année-là; on l'a eue l'année suivante. Elle était pas si forte». «Dans le printemps, il y en a qui mouraient encore... pas autant, mais il en mourait. La plus vieille de nos filles avait 17 ans. Elle commençait à travailler. C'est elle qui est morte la première. On en a perdu trois... trois filles; elles sont mortes dans deux semaines de temps.» Les familles isolées sur leur ferme avaient quelque chance d'échapper à la maladie. Mais dans les villages, à cause de la contagion, la majorité des familles étaient frappées. Quelques-unes jouèrent de malheur, car elles se préparaient à venir passer l'hiver au village, après la récolte, au moment même où la maladie frappait. «Un nommé Jacques, un forgeron, avait une maison en ville. J'ai dit à ma femme: «On va s'en aller en ville, ça serait bien plus commode pour les enfants.» Ça fait que j'ai fait un marché avec Jacques, et puis on s'est en venu... ç'a pas pris un mois... la grippe... le monde s'est mis à mourir.» La maladie ne faisait pas de quartier: nouveaux-nés, enfants, adolescents, jeunes gens et jeunes filles, hommes et femmes dans la fleur de l'âge, vieillards, personne n'était épargné. Elle frappait encore plus impitoyablement les adolescentes et les femmes enceintes. «C'était encore pire chez les dames... les femmes qui attendaient un bébé ou bien donc si une jeune fille était avec ses menstruations... si elle avait la grippe, c'était fatal, presque toujours.» La science médicale semblait impuissante. «C'était le Dr Godin... qui savait pas trop quoi faire. Personne ne connaissait ce que c'était. Tout ce qu'il a fait... il est allé chercher de l'alcool et il disait au monde de rester au chaud, puis de prendre des ponces pour se réchauffer. C'était la seule chose à faire aussi...» On tentait au moins de respecter les règles élémentaires de propreté et de ralentir la contagion. «Le Dr Soucy nous avait donné du désinfectant et puis mon père en mettait, et puis il se mettait un masque.» Plusieurs vantaient les vertus préventives et curatives du home-brew, de l'alcool-maison: «il y en avait un... un bon remède... celui qui buvait bien de la bagosse, il passait à travers.» Comme il existait à cette époque très peu d'hôpitaux et que, de toute façon, le nombre de malades dépassait de loin le nombre de lits disponibles, on improvisait. Ainsi, «à Willow Bunch, on avait la salle Saint-Jean-Baptiste, et puis c'est ça qui servait d'hôpital. Et puis ils mettaient tous les malades là. Dans ce temps-là, on n'avait pas d'oxygène, voyez-vous. Les gens prenaient des gros rhumes et puis ils étouffaient... ils mouraient comme des mouches. En dernier, il y en a eu un peu d'oxygène. Mais il y avait tellement de monde de malade qu'ils ne pouvaient pas tous avoir de l'oxygène.» Face au fléau, la communauté se serrait les coudes. Ceux qui n'avaient pas été frappés, ou ceux qui s'étaient déjà remis, allaient à gauche et à droite, prendre soin des malades. «On avait été aidé chez ma belle-mère... puis ses garçons... ils étaient quatre, et tous les quatre au lit. Alors, on y est allé. Et puis quand ils ont été mieux, on s'est en revenu et puis un de mes frères, Alcide, a téléphoné et il a demandé de l'aide. Ça fait qu'on y est allé. Quand on est arrivé chez papa, c'était tout un choc. Ils étaient neuf, ils étaient tous au lit. Et puis papa, lui, il était venu passer trois semaines à Ferland pour aider à soigner les malades. Là, il en avait enterré trois: 2 Chagnon et puis Joseph Fournier, marié à une demoiselle Chagnon. C'est papa qui leur a fermé les yeux, qui en a eu soin. Il s'est en revenu à la maison et il a pris le lit.» Finalement, après une dizaine de mois, la maladie disparut et les survivants se remirent à la tâche. Toutes les familles ou presque avaient été touchées, les unes plus lourdement que d'autres. (assemblé à partir d'entrevues enregistrées, projet «Francophones», collection des Archives provinciales; citations en ordre consécutif de Mme Pierre Campagne (Willow Bunch), Mme Alex Roberge (Ferland), Mme Alma Brisebois (Ferland), Mme Campagne, M. Armidas Boutin (Gravelbourg), ce même M. Boutin, Mme Roberge, Mme Campagne, Mme Laure Poisson (Gravelbourg et Coderre), M. Alex Roberge (Ferland), Mme Jean Bonneau (Willow-Bunch), Mme Brisebois) |