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Journée de la boucherie


Les familles agricoles de la Saskatchewan ont longtemps tiré de la nature et de la ferme elle-même une bonne partie de leur alimentation. Un grand jardin produisait une abondance de légumes, les baies sauvages venaient de «talles» situées dans une coulée ou un bosquet avoisinant, la basse-cour fournissait les oeufs, les poules à pot et les dindons, quelques vaches donnaient le lait et la viande. Un grand nombre de familles gardaient aussi des porcs, en partie parce que la viande était appréciée, mais aussi parce que les portées nombreuses permettaient d'augmenter rapidement le troupeau. Depuis les débuts de la colonisation jusqu'à une époque toute récente, la boucherie des porcs était un rituel annuel, où chaque membre de la famille avait sa tâche.

On fait habituellement boucherie à l'automne, après quelques gelées blanches et par une journée fraîche et sans mouches. Un parent ou un voisin vient souvent prêter main forte; lorsque deux familles décident de faire boucherie ensemble, tout le monde est à l'appel et on ne manque pas de bras. Lorsqu'il faut nourrir une grande famille, on a besoin de trois ou quatre porcs; lorsque les bouches sont moins nombreuses, deux suffisent. Les préparatifs sont simples, mais il faut procéder sans perdre un instant si l'on veut terminer avant la noirceur. On fait d'abord bouillir une bonne quantité d'eau dans une grande marmite en fonte ou en tôle épaisse, noircie par le feu et normalement réservée à cet usage. Puis, on assemble trois fortes perches de 6 ou 7 mètres de longueur, liées à leur extrémité supérieure, pour former un grand trépied. Enfin, on lave à grande eau la table de bois où les animaux doivent être dépecés.

Les porcs sont abattus un à un, d'une balle de carabine ou d'un coup de masse au crâne. Ils sont ensuite pendus par les pattes arrières au trépied; un palan facilite le hissage et les pattes sont écartées par une pièce de bois. On saigne immédiatement l'animal, en lui tranchant la gorge avec un couteau effilé. Un des enfants recueille le sang dans un grand plat, tout en l'agitant doucement avec une cuillère de bois jusqu'à ce qu'il soit froid pour éviter la formation de grumeaux; on s'en sert pour la cuisson du boudin. Le porc est ensuite échaudé, c'est-à-dire trempé quelques instants dans l'eau bouillante, à laquelle on ajoute quelques poignées de cendres. Il est alors plus facile d'enlever les poils en grattant soigneusement la peau avec un couteau.

On ôte ensuite l'intestin de l'animal et on l'apporte à la cuisine. Pendant que les hommes continuent leur travail, les femmes de la maisonnée vident le viscère (qu'on appelle plus couramment «des boyaux») de son contenu, en prenant soin de ne pas en percer la paroi, le nettoyent dans un baquet d'eau et le retournent à l'envers.

On interrompt le travail vers midi pour un repas copieux et quelques minutes de repos. Lorsque les carcasses sont suffisamment refroidies, il est temps de procéder au dépeçage. On ne gaspille absolument rien. La tête est coupée et diverses parties servent à la préparation du boudin et de la «tête en fromage». Le gras est découpé et mis à fondre dans la grande marmite vide. On découpe ensuite les jambons, les côtelettes, le bacon et les autres morceaux. Une partie de la viande maigre et du gras est passée au hachoir et assaisonnée; le mélange est alors placé dans un contenant se terminant par un long cylindre creux sur lequel on a enfilé l'intestin, comme une chaussette sur un pied. En pressant un levier ou en tournant une manivelle, la viande est poussée dans les boyaux; à chaque dix ou douze centimètres, on donne un tour pour former une saucisse. Il existe plusieurs façons de conserver les saucisses: on peut les placer, crues ou légèrement cuites, dans un pot de grès que l'on remplit ensuite de gras fondu; on peut aussi les laisser congeler à l'extérieur, tout comme les morceaux plus gros. Quelques familles possèdent un fumoir où les morceaux sont suspendus pendant six à dix jours au-dessus d'un feu doux dégageant de la fumée. Les morceaux, fumés ou non, peuvent être enveloppés de mousseline ou de papier d'emballage et placés dans une grainerie d'orge, de façon à ce que les mouches et les vers ne puissent les atteindre. Enfin, le lard salé sert à la cuisson de la soupe au pois traditionnelle, tandis que les pattes sont apprêtées dans le «ragoût de pattes de cochons». Maintenant que les provisions de viande sont faites, on craint moins l'hiver qui approche.

De nos jours, il n'est plus nécessaire d'assurer son autosuffisance sur la ferme, car les revenus plus élevés permettent d'acheter une bonne partie des aliments au magasin du village. La plupart des agriculteurs préfèrent donc s'éviter la besogne de la boucherie des porcs à l'automne.

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