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Ultime sursaut


Le soulèvement des Métis à Batoche a fait couler et continue de faire couler des flots d'encre. Les historiens appartenant aux différentes écoles ont creusé leurs tranchées et ils se canardent allègrement. «Riel était sain d'esprit», avancent les uns, «en proie à la mégalomanie», ripostent les autres. «La cause des Métis était juste», soutiennent les uns, «absolument pas», rétorquent les autres. Les Métis se sont soulevés parce que ceci, non, à cause de cela. On avance de belles théories sur lesquelles on tire aussitôt à boulets rouges! Mais a-t-on seulement pensé à leur demander, à ces Métis, pourquoi ils ont pris les armes?

L'un de ceux qui est le mieux placé pour répondre est Louis Schmidt, le secrétaire de Louis Riel lors de la première rébellion à la Rivière-Rouge en 1869-1870; il s'était établi près de la traverse de Saint-Louis, dans le district de la Saskatchewan, où il vécut les événements de 1885. Son explication est toute simple. Les Métis se sont soulevés pour la bonne raison qu'ils vivaient encore selon la loi de la Prairie: tout tort demande rétribution. Et ils n'avaient pas oublié les événements de 1870 au Manitoba; le soulèvement ne serait donc autre chose qu'un ultime sursaut d'amour propre...

«On a généralement donné pour cause principale de ce soulèvement l'apathie et la mauvaise volonté du gouvernement canadien, qui ne voulait pas accéder aux justes demandes des Métis du Nord-Ouest pour ce qui regarde l'octroi des scrips. À mon avis, ces griefs, bien que fondés, étaient bien anodins. Nous en avons de bien plus sérieux aujourd'hui sous le rapport scolaire et de la langue française. Non, la principale cause de l'insurrection était le ferment d'animosité, sinon de haine, qui couvait dans tous les coeurs des Métis, à la suite, premièrement, du reniement, par le gouvernement fédéral, de ses promesses solennelles à Mgr Taché et au Père Ritchot, pour ce qui regarde l'amnistie aux prétendus rebelles de la Rivière-Rouge en 1869-70; et, secondement à cause des mauvais traitements infligés à beaucoup de Métis par les volontaires de l'Ontario, comme la noyade d'Elzéar Goulet*, et d'autres sévices.

«Et puis, qui sait? La présomption de pouvoir résister aux forces du gouvernement ne pouvait-elle pas entrer dans l'esprit de ces braves chasseurs de la prairie, tous cavaliers consommés et chasseurs émérites, la terreur des tribus sauvages? Quoi qu'il en soit, la grande majorité, emportée par les discours enflammés des chefs, de Riel excepté, resta sourde aux avis et aux objurgations des bons Pères Oblats qui étaient avec eux, les PP. Fourmond, Moulin, Végreville, et courait aux armes avec un fol enthousiasme.

«On connaît les tristes résultats de cette échauffourée malheureuse. Les pauvres Métis firent sans doute des prodiges de valeur dans leurs divers engagements avec l'armée canadienne, mais avec leur petit nombre, leur manque de munitions et de ressources de toutes sortes, la folle entreprise devait inévitablement finir par une catastrophe.»

* Membre respecté de la nation métisse, Elzéar Goulet fut assommé à coups de pierres par des soldats d'un bataillon ontarien alors qu'il tentait de traverser la Rivière-Rouge à la nage pour leur échapper. Les coupables étaient connus de tous, mais aucun mandat d'arrestation ne fut jamais émis, pas plus que dans le cas des meurtres de James Tanner, de Baptiste Lépine, de Guillemette, de Letendre, de Hallett, de O'Lone, de Jolibois et de combien d'autres encore...)

(tiré du Patriote de l'Ouest, 15 août 1923, p. 5)

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