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Y croyait pas ça!


Les agriculteurs de la Saskatchewan ont eu à lutter contre plusieurs fléaux, mais les invasions de sauterelles ont probablement été les plus destructrices. Il y en eut plusieurs durant le dernier quart du siècle dernier et on a beaucoup écrit sur celles des années 1930, quoique beaucoup moins sur la première invasion massive à laquelle les agriculteurs arrivés durant la grande période de colonisation furent confrontés. Il semble bien que ces insectes aient été relativement rares entre 1900 et 1918 et qu'ils aient causé peu de dommages. Le ministère de l'Agriculture fut par conséquent pris au dépourvu lorsque, à l'été de 1918, certains rapports en provenance du sud-est de la province faisaient état d'un nombre anormalement élevé de sauterelles. En mai 1919, les rapports étaient alarmants et le ministère s'attacha à trouver de toute urgence les meilleures méthodes de contrôle. Mais comme les fermiers autant que les agronomes n'avaient jamais fait face au fléau, les mesures furent inefficaces ou peu s'en faut. On mélangea quelque 200 tonnes de poison «Kansas», mais bon nombre d'agriculteurs refusèrent obstinément de l'épandre dans leurs champs; 350 000 acres le long d'un ligne imaginaire entre Oxbow et Saskatoon furent touchés et plus du cinquième de la récolte détruite. On utilisa au moins 175 hopperdozers, machines rudimentaires faites de grands tabliers en toile et conçues pour cueillir les sauterelles avant que leurs ailes poussent et qu'elles puissent s'envoler pour échapper à la machine.

Tout laissait présager que l'invasion allait se poursuivre et, même, s'aggraver. On commença donc à dresser les plans de bataille dès août 1919. Des dispositions inclues sous la Loi des municipalités rurales obligeaient dorénavant les fermiers à épandre du poison. Dès la mi-avril de l'année suivante, des rapports faisaient état de l'éclosion de nuées de sauterelles. Le temps pressait et le gouvernement provincial offrit aux municipalités rurales les produits nécessaires pour mélanger le poison, à la moitié du prix coûtant. Il passa une commande de 2500 tonnes de son, 200 tonnes de bran de scie, un demi-million de litres de mélasse, 2800 caisses de citrons, 150 tonnes d'arsenic et 30 tonnes d'autres composés à base d'arsenic. En tout et pour tout, on épandit 6500 tonnes de poison... en vain ou presque, parce que les sauterelles dévastèrent plus de 90 000 acres dans 46 municipalités rurales.

L'année suivante, deux fois plus de municipalités se joignirent à la lutte contre les sauterelles et les pertes diminuèrent de moitié; on croyait avoir gagné la guerre. Mais en 1921, les insectes détruisirent les récoltes sur 93 000 acres et un grand nombre de fermiers tombèrent dans la misère; la Croix-Rouge organisa des campagnes de distribution de layettes et de vêtements. Le cycle naturel avait toutefois atteint son point culminant et les deux années suivantes, les pertes annuelles retombèrent à 23 000 acres. Les responsables du ministère de l'Agriculture avaient modifié petit à petit la composition du poison de telle sorte qu'il était devenu plus efficace et moins dispendieux. En 1924, la mise sur pied d'une campagne était de toute évidence inutile. On avait utilisé depuis six ans, et sans égard à la santé de ceux qui l'épandaient, près de 32 500 tonnes de poison. Il n'est pas possible de dresser un bilan précis des empoisonnements, des maladies et des morts prématurées causés par l'emploi d'une telle quantité de poisons à base de cyanure, mais il a dû être terrible.

Après des années exceptionnellement prospères entre 1924 et 1928, les sauterelles revinrent en force durant les années 1930, accompagnées cette fois de la sécheresse. Avec la baisse générale du prix du blé, il ne valait même plus la peine dans bien des cas d'avoir recours à des produits chimiques dispendieux pour protéger les récoltes.

Il ne restait que l'espoir d'une intervention divine. La foi catholique avait de tout temps été l'un des piliers du groupe franco-canadien de la Saskatchewan, et on voyait souvent la main de Dieu dans un événement inusité ou difficilement explicable, comme le rapporte Mme Henri Cayer, de la région de Willow-Bunch:

«C'est Henri qui voyageait le curé Ménard pour aller dans les missions. Le curé Ménard avait pas de char, et Henri avait un petit Ford. Il y avait des sauterelles, alors il dit au curé Ménard: «Moi, je peux pas y aller, il faut que j'empoisonne les sauterelles... ils sont après de manger mes récoltes!». Le curé Ménard dit: «Viens avec moi! Ce soir, je vais coucher chez vous, et puis ils ne feront plus de dommage à ta récolte.»

«Henri, y croyait pas ça... qu'il pouvait conjurer les sauterelles. Moi, je le savais, parce que par chez nous, dans l'Est, le prêtre avait conjuré les chenilles. Alors il a couché à la maison, puis il a chanté sa messe... Ça fait qu'il est allé faire le tour du champ avec Henri. Il dit: «Je les envoyerai pas, mais ils feront plus de dommages.» Henri voulait pas le croire. Alors il a fait le tour... il avait de l'eau bénite... ils ont des prières, eux autres, qu'ils font pour ça... Et puis toutes les sauterelles se tenaient dans la tête, dans la tête du blé et puis ils coupaient, vous savez, «dret» en bas de l'épi et puis dès qu'il venait des gros vents, l'épi tombait... ça faisait une grosse perte pour la récolte ça.

«Henri a dit: «J'ai plus eu besoin de les empoisonner... le curé les avait conjurés. Ils se tenaient à terre, ils mangeaient la tête du blé à terre, alors ils faisaient pas de dommage au grain.»

(tiré d'une entrevue enregistrée de Mme Henri Caver, projet «Francophones», collection des Archives provinciales; renseignements supplémentaires, rapports annuels du ministère provincial de l'Agriculture, 1918-1935)

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