Un texte critique sur la performance de Sylvie Tourangeau,
Excès/Accès : L'Autre
© Nicole Blouin, revue culturelle de Lanaudière L'Artefact,
vol. III no 4, décembre 1994, janvier-février 1995 p. 29-30.
Une artiste de Lanaudière
participe au Festival de poésie de Trois-Rivières
«Il faut toujours vivre comme si on allait mourir exactement.»
Josée Yvon, Manon la nuit
Chaque automne à Trois-Rivières, des envolées
poétiques retentissent dans la ville. En effet, le Festival
international de Trois-Rivières permet d'entendre la parole de
poètes venant d'Europe, d'Afrique, des pays de l'Est et
d'Amérique.
C'est dans ce cadre que Sylvie Tourangeau, connue comme artiste et membre des
Ateliers convertibles, s'est vu confier la création d'une performance
pour lancer le numéro d'hiver du magazine Le Sabord.
Sylvie Tourangeau s'est inspirée des textes de ce numéro. Ils
traitent tous de l'excès. Ces textes de Réjean Bonenfant, Claude
Beausoleil, Denis Vanier, Josée Yvon, Pierre Justin-Déry
deviennent autant de cicatrices, de brèches où se manifeste
l'urgence du corps et de l'âme à se déposséder de
cet excès, à l'évacuer par le pouvoir des mots, qui peu
à peu, nous conduisent au degré zéro de
l'écriture.
Sylvie Tourangeau définit cette performance comme une
«poésie d'actions». Madame Tourangeau les juxtapose pour
forger une nouvelle écriture répondant à la
nécessité de révéler l'inavouable. Des attitudes
corporelles relevant non d'un jeu théâtral mais de
«l'énergie» des textes poétiques forment, pour un
bref moment, l'anatomie de l'être qui nomme, dans cet état
d'urgence, l'excès de la douleur, l'excès de la violence.
La représentation visuelle est caractérisée par
l'utilisation d'objets qui ne sont ni des artifices de scène, ni des
faire-valoir mais plutôt des objets révélateurs. Le travail
de Madame Tourangeau consiste à jouer non seulement sur la symbolique
des objets mais également à travailler la présence, comme
pouvoir d'évocation du corps. Ces actions interagissent avec la
quotidienneté des objets et la simplicité de leur transformation
: ici, un sac en papier, là, enfiler des bottes en caoutchouc, porter
une carabine dans le dos, ou encore, se servir d'un porte-mines en guise de
seringue, et... enfin s'abandonner au vide, en portant en équilibre
fragile sur sa tête un bol d'où surgit un chinois peint en bois
dont la tête est constamment mobile. Cet équilibre fragile
évoque la force du rêve qui permet de se
regénérer.
Cette avancée, ponctuée de bulles de savon produites par un
fusil-jouet crée un contraste avec la carabine et confronte le pouvoir
de la violence avec celui de l'imaginaire.
Madame Tourangeau a toujours mené, en parallèle, une
démarche d'écriture que ce soit en tant que critique ou
théoricienne. Dans ses performances, la narration y est toujours
présente. L'écriture même de ses performances est
caractérisée par le pouvoir d'évocation, voire même
d'incantation. Madame Tourangeau cherche à faire ressurgir par
l'évocation les momentums d'une écriture poétique. Sylvie
Tourangeau joue avec l'énergie concentrée d'un texte pour le
poser là, en substance, afin que le spectateur assiste à une
incarnation de ce souffle poétique.
La poésie n'est pas qu'effet de style, elle porte en soi cette sanction
qui rythme le regard du poète. Sa temporalité est celle de la
mémoire, d'une expérience réinscrite dans le geste
poétique. Et c'est à cette notion de temporalité qui
relève à la fois de l'immédiateté et de la
fugacité que la performance rejoint l'écriture poétique.
Les moments visuels de cette performance sont autant de graphies dans l'espace
virtuel pour rendre encore plus signifiant la force du texte qui s'efface au
fur et à mesure qu'il se révèle pour ne laisser qu'un
temps suspendu, exprimé par le défilement continu de phrases,
dans une unité électronique, tout comme la vision soudaine de la
mort, visible par la ligne continue d'un arrêt cardiaque qui
défile sur un moniteur.
|