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Propos d'artistes sur la collection
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Les grille-pain



nous racontent...



par Jacques Viens
collectionneur et muséologue



Un objet sensationnel !
Les grille-pain rappellent le matin,
le bonheur, le soleil !


Depuis ma petite enfance, ils m'ont toujours fasciné. Je collectionne les grille-pain car je les aime en tant qu'objets, mais ce qu'ils racontent m'importe bien davantage ! C'est pourquoi je les analyse et continue de les analyser sous tous les angles. Chaque détail m'amène à décrouvrir des bribes insoupçonnées de notre petite histoire

On peut aborder l'objet «grille-pain» selon trois points de vue : par ce qui est grillé, généralement le pain, par la source d'énergie et par les matériaux qui composent l'appareil.

Tout d'abord, le pain. Il y a très longtemps qu'on le grille, c'est-à-dire qu'on le soumet à une seconde cuisson qui modifie sa texture et son goût. Le pain devient croustillant, plus sucré, plus léger, ce qui en facilite la digestion, nous expliquait il y quelque temps le magazine Québec-Science.



Dans le dictionnaire, on y lit que le mot toast vient du latin torrere, qui veut dire griller -- d'où le mot «torréifier» quand on parle du café -- donc tostus, du latin, qui nous amène à l'ancien français toster, pour griller, puis à l'anglais en 1750 avec tost, pour pain grillé, puis au XIXe siècle à toste, et au XXe à toast.

Depuis les supports en fonte ou la longue fourchette servant à tenir une tranche de pain près du feu jusqu'au grille-pain que l'on connaît aujourd'hui, le monde s'est transformé. Le feu dans l'âtre, première source de chaleur, s'est peu à peu caché dans des poêles en fonte. Ensuite, on est parvenu à contrôler son intensité grâce à la combustion du gaz naturel. Plus on avance dans le temps, plus la source de chaleur devient ponctuelle. Aujourd'hui, le feu court dans nos maisons par la «fée de l'électricité» !

L'histoire du grille-pain demeure indissociable de la domestication de l'électricité. Les premières centrales sont actionnées au charbon et alimentent les maisons dans un périmètre extrêmement limité par la résistance des fils et les contraintes du courant continu. La découverte du courant alternatif permettra ensuite de distribuer l'électricité avec plus de souplesse et beaucoup plus loin. Chaque fournisseur développe alors son propre réseau et distribue des appareils électriques en fonction du type de courant émis.

Turnover Toaster Type T.P.2
Canadian Westhinghouse Co. Ltd
H.E.P.C. App. 6113



Au Québec, plusieurs compagnies se partagent le marché, dont la Saint-Jean-Baptiste Electric & Power, qui fournissait le village de Saint-Jean-Baptiste, l'actuel Plateau Mont-Royal ; ou la Royal Electric & Power installée aux deux extrémités de la ville de Montréal et dont la génératrice de l'est, tout juste à côté du parc Summer, constellait le parc d'ampoules ; ou la Shawinigan Light Heat & Power Company ; ou la Montreal Light Heat & Power (M.L.H.P.), la plus importante de toutes, dont le siège social était situé au coin des rues de la Montagne et Sainte-Catherine.



Toutes ces compagnies ont véritablement pris leur essor au début du XXe siècle et les appareils électriques portent alors un sceau différent selon les réseaux.

Les problèmes de compatibilité deviennent de plus en plus préoccupants. Déjà, la Hydro Electric Power Commission (H.E.P.C.) vérifiait depuis 1917 le bon fonctionnement des appareils électriques. Les lettres «H.E.P.C. App #» signifiaient la mise à l'essai de ces appareils.

En 1919, au Canada, des ingénieurs se regroupent au sein de la Canadian Engineer Standard Association (CESA), un organisme sans but lucratif, afin de décréter certaines règles de normalisation auxquelles les compagnies sont invitées à souscrire. En 1944, la CESA devient la Canadian Standard Association (CSA) que l'on connaît aujourd'hui et dont le sceau garantit la compatibilité et la sécurité des appareils électriques.

L'électricité comme source de chaleur ne peut toutefois exister véritablement sans la découverte de l'élément chauffant fait de nickel-chrome, en 1906 (YARWOOD, Doreen, Five Hundred Years of Technology in the Home, B.T., Batsford Ltd, London, 1986, p. 122). Les appareils antérieurs à cette date utilisaient le fil d'argent ou le fil de fer, qui avaient toutefois la malencontreuse caractéristique de s'oxyder et de se consumer en chauffant. Avec l'élément chauffant au nickel-chrome, le grille-pain comme source autonome de chaleur devient réalité.

Eaton Beauty (1916)Hotpoint
C.G.E. no T12, H.E.P.C. Approval no. 336
Le fil d'alimentation est absent sur la photo.



Dans le catalogue Eaton, une source inépuisable d'informations, on voit apparaître le premier grille-pain électrique en 1916. On parle du Eaton Beauty Electric Toaster.

Le fil d'alimentation (absent sur la photo) est alors doté d'un culot à vis, un type de connexion inventé par l'Américain Thomas Edison. Ce grille-pain vertical, l'une des nombreuses variantes du Eaton Beauty, repose sur de petites pattes supportant une lourde base, ce qui en assure la stabilité. Sur le dessus, un plateau permet de réchauffer les rôties. Ces caractéristiques formelles ne disparaîtront que beaucoup plus tard avec l'arrivée du grille-pain à insertion, à la fin des années 1930.

Avec le grille-pain vertical muni de portes, on doit retourner la tranche pour en griller l'autre côté. La question de la manipulation du pain demeure préoccupante. Déjà, à l'époque du grille-pain en fer forgé déposé devant la cheminée, on a tenté de résoudre ce problème en proposant un support doté d'une plaque tournante permettant de retourner le pain avec une simple petite poussée.

L'analyse du grille-pain vertical muni de portes basculantes soulève une autre question d'importance : l'épaisseur de la tranche. Depuis toujours, le pain se présente sous de multiples formes. Pour griller convenablement, la tranche doit être uniformément parallèle et d'une épaisseur constante avant d'être présentée devant la source de chaleur. En 1919, le Bread Slicer and Knife propose une solution intéressante, une planche à pain munie d'un guide permettant quatres épaisseurs de coupe pré-déterminées. Ainsi, les mauvaises coupes deviennent choses du passé.



Ce problème de la tranche ne se pose toutefois pas de la même façon pour les moins fortunés. Posséder un appareil ne servant qu'à griller le pain demeure un objet de luxe ! On propose donc sur le marché, à la même époque, le grille-pain horizontal faisant aussi office de poêle, à l'occasion.

The Brock Snyder Mfg Co
Cat. no 115, H.E.P.C. no 348
Grimsby, Ontario



Les premiers grille-pain verticaux n'ont pas de portes. Ce n'est que plus tard que les fabricants le dotent de supports latéraux afin de retenir la tranche contre l'élément. Ces supports fixés vers le haut de l'appareil seront remplacés successivement par une grille à ressorts puis par une véritable porte pouvant s'ouvrir entièrement et munie de poignées en bois permettant de retourner la tranche de pain sans se brûler les doigts. On compte une multitude de variations sur le thème du retournement de la tranche. Certains modèles plus sophistiqués permettent même d'ouvrir les deux volets en même grâce à la rotation d'une seule poignée.


The Dandy Appliance co.
Model A-100, CSA App. no L.R. 7772
Hormis la poignée, le boîtier
est entièrement fait d'aluminium.






En 1946, le turnover toaster atteint son apogée. Celui de Westhinghouse sera l'un des derniers véritables grille-pain à volets ayant fait l'objet d'une recherche formelle sérieuse.

Steel turnover toaster (1946)
Model # TT-2s*H50185 by staff designers of
Canadian Westhinghouse Co. Ltd., Hamilton.




Déjà, depuis 1930, le grille-pain à insertion prépare son entrée. Au lieu de placer un élément chauffant entre deux tranches de pain, LeToastmaster Model 1B1 de la compagnie Waters-Genter dispose deux éléments chauffants de chaque côté de la tranche. Il règle une fois pour toutes le problème de la manipulation qui hante les modèles à volets latéraux. Son principal handicap, qui sera toutefois très vite surmonté, est de taille : il ne grille qu'une seule tranche à la fois !

Toastmaster Model 1A1
Waters Genter Co. Minneapolis, U.S.A.



Esthétiquement parlant, le fabricant prend soin de conserver le plateau supérieur au dessus du grille-pain pour réchauffer les rôties. Il imite aussi l'apparence de son contemporain à volets en conservant deux poignées qui sont en fait deux manettes de chaque côté du corps de l'appareil. La première fait descendre la tranche alors que l'autre introduit une nouvelle fonction : le réglage de l'intensité. Ces manettes se fusionneront par la suite. Ainsi, le modèle suivant intégre en une seule manette le contrôle de la chaleur et de l'éjection.

Sunbeam #T9
Cet appareil compte parmi
les plus représentatifs des années 1950.



Dans les années 1940, les modèles à insertion entrent en force dans le paysage des cuisines. La forme du grille-pain évolue, elle s'arrondit peu à peu. Les concepteurs dissimulent la base en glissant les pattes sous le grille-pain. Autrefois utilisé pour ses qualités anti-corrosives, le chrome est maintenant exploité pour son lustre. D'objet strictement utilitaire qu'il était au début du XXe siècle, le grille-pain devient cadeau de mariage. On le conçoit donc comme tel, rutilant et prometteur, à l'image du statut du donateur comme de son propriétaire et, pour nous, de son époque.



Le grille-pain à insertion soulève encore une fois le problème de la forme du pain. En effet, la tranche doit pouvoir s'introduire dans la fente. Alors, le pain, était-il vendu tranché avant l'apparition du grille-pain à insertion ou le grille-pain à insertion a-t-il forcé la vente du pain tranché ? Comme avec la poule et l'oeuf, qui est arrivé en premier ? Après certaines recherches auprès des fabricants d'appareils tout comme des fournisseurs de pain, cette question est demeurée sans réponse.



Le savez-vous?

lac@pandore.qc.ca


General Electric
Modèle #55T83



Après le pain tranché apparaît autour de 1958 le Pop Tart, suivi par d'autres aliments prêts à être grillés tels que les Eggo et des pizzas... La verticalité immuable du grille-pain se renverse à l'horizontal pour accueillir ces nouveaux aliments. Un hybride entre le four et le grille-pain est né. Adoptant le style des grosses automobiles de l'époque, General Electric offre un appareil combinant le grille-pain vertical et le petit four installé sous le grille-pain vertical. Un unique élément chauffant sert pour les deux, une manette permettant de l'orienter vers le haut ou vers le bas.

Au rythme trépidant de ces années fastes, l'évolution technologique suit son cours. Avec le Sunbeam, en 1959, la descente comme la remontée de la tranche deviennent automatiques.

Ensuite, on abandonne la forme courbe pour adopter des formes plus anguleuses La forme du grille-pain à insertion est à l'image des années 1970.

Proctor-Silex



Depuis l'apparition de l'élément chauffant, du nickel-chrome, du thermostat et de la calorimétrie, du baccélite, du mica, de la céramique, de l'amiante, du plastique ou de la lame bi-métallique qui fait déclencher l'éjection de la tranche, le grille-pain a bien changé. Il est maintenant bien de son temps, avec des diodes et mécanismes électroniques qui viennent réguler le temps de cuisson.



Le grille-pain a évolué, certes, mais il demeure encore un appareil technologique à la jonction des différents aliments, des sources de chaleur, et des matériaux qui le composent. Mais bien plus, il demeure un objet de prestige, intimement lié aux conditions économiques et sociales.




Propos recueillis par Michel Lefebvre



Crédits


* Jacques Viens lors de sa conférence, 27 janvier 1993 ; photo Danielle Binet.
* Les photos de la collection de Jacques Viens sont de lui.
* Les tirages vidéo puisés dans la vidéo de la conférence sont de Daniel Bergeron.



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