Titre : Le capitaine Joseph-Elzéar Bernier posant une plaque à Parry's Rock

Lieu : Havre Winter (Territoires du Nord-Ouest)

Date : 1er Juillet 1909

Photographe inconnu

Archives nationales du Canada, n° de négatif C-029604

En annonçant la création du nouveau ministère des Affaires du Nord canadien et des Ressources nationales, le 8 décembre 1953, le premier ministre Louis St-Laurent admit que jusqu'ici le Canada avait « administré ces vastes territoires du Nord dans un état de distraction presque continue ». En effet, lorsque la Grande-Bretagne proposa pour la première fois de transférer ses droits sur les îles de l'Arctique au Dominion du Canada nouvellement créé, le gouvernment du Canada fit preuve d'une certaine tiédeur à l'égard de cette offre.

Au cours des trois siècles qui précédèrent les années 1870, les voyages d'exploration dans l'Arctique avaient été entrepris dans l'espoir d'y découvrir l'insaisissable passage du Nord-Ouest. L'exploration de l'Arctique, d'abord stimulée par les ambitions de l'Angleterre, marqua l'âge d'or des explorations polaires : mentionnons notamment les noms de Hudson, Foxe, Frobisher, Baffin, Ross, Parry, Franklin et McClure.

Le gouvernment britannique se trouva néanmoins pris dans un dilemme lorsqu'en 1874 un sujet britannique sollicita la permission d'établir une station de baleiniers à la terre de Baffin (île Baffin), et davantage lorsqu'un Américain demanda l'autorisation d'exploiter une mine de mica dans cette région.

Lord Carnarvon, secrétaire du Colonial Office, écrivit donc le 30 avril 1874 à Lord Dufferin, gouverneur général du Canada, pour lui demander si les territoires contigus à ceux des dominions du continent nord-américain, territoires dont on avait pris possession au nom de la Grande-Bretagne, mais qui jusqu'ici n'avaient été annexés à aucun des colonies, ne devraient pas être officiellement annexés au Dominion du Canada. Irrité, Carnarvon revint à la charge le 26 août 1874 en exigeant cette fois une réponse. Finalement, le 10 octobre 1874, le gouvernment canadien publia un décret du conseil stipulant que le Canada était désireux d'inclure à l'intérieur des frontières du Dominion les territoires mentionnés et les îles avoisinantes. Le 6 janvier 1875, lord Carnarvon demanda conseil sur la formule à adopter pour procéder à l'annexion des territoires. L'administration canadienne lui répondit, le 30 avril 1875, par une ordonnance du conseil déclarant qu'on aurait tout intérêt à ce que ce transfert se fasse par la voie d'une loi britannique de façon à prévenir toute ambiguité au sujet des droits de propriété, mais pas avant la reprise de la prochaine session du parlement canadien.

L'étroitesse d'esprit du gouvernment libéral des années 1873-1878, qui n'a pas su mesurer la rentabilité de cette dépense, ne cesse de nous confondre. Pendant deux ans et demi, les Libéraux ne firent strictement rien à ce propos. Enfin, pour apaiser l'exaspération grandissante de Carnarvon, le gouvernment publia le 29 novembre 1877 un autre décret du conseil où l'on déclarait que jusque-là rien n'avait été fait dans ce sens parce qu'on n'en avait pas vu la nécessité immédiate, mais que la situation actuelle militant désormais en faveur d'une conclusion rapide de l'affaire, une résolution appropriée serait présentée à la prochaine session du parlement canadien. Enfin, le 3 mai 1878, le parlement canadien remit officiellement une adresse à Sa Majesté la reine pour obtenir que les îles de l'Arctique soient transférées au Canada.

Le nouveau secrétaire des Colonies, sir Michael Hicks-Beach, ne voyait pas la nécessité de recourir à une loi du parlement britannique pour procéder à ce transfert. Il préférait la formule du décret du conseil qui, selon lui, attirerait moins l'attention de la presse internationale et créerait moins de remous à l'étranger. De plus, comme les îles n'avaient pas été explorées sous toutes leurs facettes, on n'aurait pas à les décrire avec la précision qu'eut exigée leur transfert par la voie d'une loi officielle. C'est en ce sens qu'il écrivit à Ottawa, en avril 1879, mais, une fois de plus, le gouvernement Mackenzie se mura dans son silence pendant plus de cinq mois.

Le parti conservateur de sir John A. Macdonald, revenu au pouvoir, marqua un grand empressement à conclure le transfert, déclarant dans un décret du conseil publié le 4 novembre 1879 que la proposition britannique était au plus haut point satisfaisante. Le gouvernement britannique publia le 31 juillet un décret du conseil établissant qu'à partir du 1er septembre 1880 tous les territoires et possesions britanniques se trouvant en Amérique du Nord ainsi que toutes les îles contiguës (à l'exception de la colonie de Terre-Neuve et de ses annexes) seraient annexés au Dominion du Canada et en feraient partie intégrante.

Même s'il était devenu seigneur et maître de ces îles le 1er septembre 1880, le Canada n'exerça pas ce droit avant 1895, année où le parlement britannique adopta lui aussi une loi pour confirmer et renforcer le décret du conseil impérial de 1880.

Les fameuses expéditions vers le pôle Nord qu'entreprirent les Norvégiens Fridtjof Nansen, Otto Sverdrup et Roald Amundsen, les voyages du Danois Knud Rasmussen et surtout l'exploit remarquable de l'Américain Robert Peary qui parvint au pôle Nord étaient tous de nature à mettre en doute le pouvoir juridictionnel du Canada sur les îles de l'Arctique. Le gouvernement Laurier décida alors d'envoyer des explorateurs vers toutes les îles de l'Arctique pour « y planter notre drapeau à chaque point ».

Au nombre des expéditions les plus remarquables, il faut citer celles de William Wakeham qui se rendit en 1897, à bord du Diana, à la baie d'Hudson et à la terre de Baffin; celle de A.P. Low, à bord du Neptune, qui contourna en 1903 et en 1904 les îles de Baffin, d'Ellesmere et de Somerset; et celle de J.-E. Bernier, à bord de l'Arctic, qui parcourut un grand nombre d'îles boréales entre 1906 et 1911. Ces expéditions contribuèrent à concrétiser la présence du Canada dans l'Artique beaucoup plus que n'avait pu le faire le bout de papier de 1880. Le 1er juillet 1909, Bernier érigea officiellement une plaque commémorative au havre Winter, sur l'île Melville, pour rappeler la prise de possession, par le Dominion du Canada, de tout l'archipel de l'Arctique.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement mit en chantier des projets stratégiques comme la construction de la route de l'Alaska, du pipe-line Canol et des terrains d'atterrissage pour la route aérienne du Nord-Ouest. Puis, dans les années d'après-guerre, le gouvernement multiplia ses interventions dans le Nord en construisant des écoles, des hôpitaux, des logements, des routes, des ponts et des ports, en encourageant l'industrie de la pêche, des mines et de la chasse, en administrant la justice, et en instaurant des programmes de santé, d'éducation et de services sociaux.

En créant en 1953 le ministère du Nord canadien et des Ressources nationales pour s'occuper presque exclusivement, pour la première fois, de l'administration des affaires du Nord, Louis St-Laurent espérait attacher plus d'importance au travail qui s'accomplissait déjà et indiquer que le gouvernement désirait s'assurer que cette « plus grande importance » serait désormais l'une des constantes de l'administration fédérale. Les projets d'expansion lancés par John Diefenbaker amenèrent la découverte de pétrole et de gaz naturel, la création de commissions spéciales et l'organisation de débats sur les pipe-lines, et prouvèrent que Louis St-Laurent avait vu juste en misant sur ces richesses naturelles. Ainsi, l'avenir du Canada dans ces régions polaires semble maintenant être à l'abri des incertitudes du passé, même s'il a failli être compromis à tout jamais par le manque de perspicacité des premiers gouvernants.