Restaurer avec l'esprit du petit propriétaire


a préservation du patrimoine, son entretien et sa mise en valeur représentent des coûts considérables assumés en définitive par la population. C'est dire que chaque intervenant dans ce processus de conservation est invité à faire 1'effort de réduire le plus possible les frais, non seulement pour alléger la charge sociale, mais aussi pour utiliser les sommes disponibles le plus efficacement possible. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas. On pourrait citer des exemples de maisons restaurées à grands frais. Après curetage, il ne reste parfois que la maçonnerie. Elles sont pour ainsi dire reconstruites à neuf, dans certains cas au coût moyen d'un million de dollars, alors qu'avec ces sommes il serait possible de restaurer tout un quartier.


Restauration des voûtes
Église Purification
Photo: Robert Hébert

Restauration des chapiteaux
Cat. M. Reine du Monde
Photo: Robert Hébert

En ne dépensant que le nécessaire pour restaurer un bātiment, on arrive parfois à faire beaucoup de travail avec un minimum de moyens. Lorsqu'une comiche demande une réparation partielle, ne vaut-il pas mieux se limiter à la réparation plutôt que de remplacer 1'é1ément au complet? Ainsi, au presbytère de la paroisse Saint-1rénée de Montréal, une corniche de tôle très ouvragée était percée par la rouille à divers endroits. La paroisse n'avait pas les moyens de la refaire à neuf. Allions-nous perdre cet élément décoratif ? Un examen a fait découvrir que sous le décor, pratique usuelle à 1'époque, une tôle encore en bon état protégeait la couverture des infiltrations d'eau. On a donc opté pour le maintien de la corniche malgré sa dégradation, en procédant toutefois à des réparations partielles et à une repeinture. Après 15 ans, elle tient touiours le coup et probablement qu'elle sera encore Ià dans une génération.

Les programmes de restauration sont parfois trop généreux. On remplace des é1éments, tels des bancs, des planchers et des fenêtres qui pourraient très bien être remis en état.

Fenêtres

I1 est désolant de voir la restauration d'un beau monument commencer par la suppression des anciennes fenêtres. Certains concepteurs ne semblent même pas se poser de question à leur sujet. Par exemple, le presbytère Saint-Édouard possède encore ses 90 fenêtres d'origine. Le Conseil de fabrique désirait les remplacer par des fenêtres en aluminium. Pourtant ces fenêtres contribuaient pour une part importante à la beauté architecturale de I'édifice. Les hommes de métier confirmaient qu'on pouvait les rénover. Une fois la menuiserie ajustée, munies de coupe-bise, ces fenêtres anciennes possèdent des qualités isolantes parfois supérieures à celles des meilleures fenêtres qu'on trouve sur le marché. Des prix furent demandés. Le remplacement par de nouvelles fenêtres coûtait environ 40 000 $. Leur réparation et la peinture se chiffraient à 8 000 $. Néanmoins, la fabrique redoutait de devoir réparer ces fenêtres à tous les quatre ou cinq ans. Il lui fut consent de placer les 32 000 $ excédentaires à la banque pour défrayer les réparations ultérieures. Il ne faisait aucun doute qu'avec les intérêts de ce montant 1'entretien à long terme était assuré. La fabrique a fait réparer les fenêtres, mais n'a pas jugé bon de placer le reste du montant à la banque. Toutefois, on n'a pas retouché à ces fenêtres depuis plus de dix ans.

Le maintien des fenêtres anciennes d'une église fait moins de problème que pour une maison d'habitation où il faut un fort attachement au patrimoine pour les préférer à la manipulation facile et au confort moral de fenêtres neuves de fabrication commercial. Ainsi, plusieurs bātiments appelés à demeurer des éléments majeurs du patrimoine ont été pourvus de fenêtres métalliques sans rapport avec 1'architecture. Cette dépense peu judicieuse obligera à d'autres frais puisqu'il faudra éventuellement les remplacer par des fenêtres plus appropriées.

Réparation des fenêtres, Église Ste-Cunégonde
Photo: C. Turmel

Le bois est un matériau très durable. Les plus anciennes fenêtres dans le diocèse de Montréal datent de 1 730. On les retrouve au niveau supérieur des clochers de 1'église de la Purification, à Repentigny. La majeure partie des fenêtres de 1'église de la Visitation datent de 1 850 et sont encore en très bon état. L'entretien des grandes fenêtres de bois des églises ne suscite pas de problème majeur de conservation. Elles sont quasi indestructibles, même si elles ont été parfois négligées. N'ont-elles pas en outre le mérite d'avoir été dessinées par les architectes de la construction? Elles contribuent pour une part importante au caractère architectural d'un édifice. Leur fabrication ancienne, avec un métier et un esprit différents de ceux d'aujourd'hui, leur confère de plus une texture qui ajoute au charme des bātiments anciens.

Éclairage

n éclairage bien conçu permet de créer une ambiance et de mettre en valeur un volume architectural. On est souvent porté à acheter des appareils dans le commerce, avec les limites que de tels choix component. Pourtant, il n'en coûte pas plus cher d'en réaliser à partir de plans d'architecte ou de concepteur, adaptés à 1'ensemble architectural auquel ils sont destinés. Cependant, pour que les coûts ne soient pas trop élevés, il faut être attentif aux matériaux employés. Le concepteur doit aussi connaître les techniques familières du fabricant. Un projet dessiné dans cette optique devient très abordable et s'intègre mieux à 1'architecture. Si les matériaux sont luxueux ou spéciaux et que le concept oblige à des techniques auxquelles un fabricant n'est pas habitué, un projet peut devenir prohibitif.

Restauration par étapes

ne façon de réduire les dépenses, surtout aux endroits où 1'on ne peut se permettre une restauration en une seule campagne, c'est de réaliser les travaux de rénovation au fur et à mesure que des travaux d'entretien deviennent nécessaires. Ainsi, à 1'église de la Visitation, le programme de restauration prévoyait le remplacement de la toiture en bardeaux d'asphalte par un revêtement d'esprit traditionnel, soit de la tôle en acier inoxydable posée à la canadienne. IL y a 15 ans, cette toiture d'asphalte était encore en bonne condition. Elle aurait pu durer quelques années de plus, mais on a dû procéder à son remplacement en 1990 pour profiter des subventions aux monuments classés qui allaient être réduites de 60% à 40%. Une économie de quinze ans a toutefois été réalisée en prolongeant 1'ancienne toiture, ce qui est autant de gagné sur 1'échéance de la suivante. Cette manière d'agir nécessite un programme réfléchi pour que chaque intervention réponde au projet définitif, en vue d'éviter des regrets coûteux.

Démolition et reconstruction

ans le diocèse de Montréal, une dizaine d'églises ont été démolies dans des quartiers souvent dépeuplés et où la pratique refigieuse était faible. C'était le cas de 1'église Saint-Jacques qui desservait au début du siècle une population de 80 000 fidèles. Au moment de la démolition en 1976, if ne restait plus qu'une population catholique de 8 000 personnes, avec un taux de pratique religieuse d'environ 10%. I1 faut souligner que la disparition d'un monument majeur n'entraîne pas des conséquences que sur le plan patrimonial. Ainsi, à Saint-Henri, la perte de 1'église située au coeur du quartier a accé1éré la dégradation du tissu social et a fait perdre au quartier son caractère.

Par ailleurs, dans presque chacun de ces cas, il restait une communauté locale assez importante pour justifier un nouveau lieu de culte et des locaux pour les activités pastorales et sociales.

Plusieurs grandes églises subsistent aujourd'hui dans des contextes similaires. Depuis 1975, le diocèse de Montréal a toutefois adopté la politique de les conserver parce qu'il en coûte en définitive moins cher de maintenir les anciens bātiments que de les démolir et de construire un nouveau centre communautaire, même de dimensions modestes. En effet, la démolition d'un grand bātiment peut coûter 250 000 $ et la construction d'un petit lieu de culte coûte maintenant plus d'un million. Avec ces montants, ou même les intérêts de ces montants, n'est-il pas moins coûteux de garder encore de longues années I'édifice ancien?

Les efforts de conservation dans le diocèse de Montréal

e diocèse de Montréal consacre depuis 1975 une moyenne de 200 000 $ par année pour entretenir une douzaine d'églises et presbytères dans des quartiers défavorisés, essentiellement dans les parties sud de la ville et le corridor central nord-sud, le long de la rue Saint-Laurent jusqu'à la hauteur du boulevard Métropolitain.

Ces budgets sont consacrés à garder en état les toitures, les maçonneries et à entreprendre les travaux nécssaires pour éviter des dépenses majeures dans 1'avenir. Ainsi, une infiltration d'eau risque de coûter très cher si on ne procède pas à temps à la réparation. Par exemple, la maçonnerie d'une église exigeait des travaux qui devaient coûter 7 000 $. La fabrique a opté pour des réparations plus visibles aux yeux des paroissiens. L'année suivante les coûts s'élevaient à 12 000 $. Cette fois encore, la fabrique avait d'autres priorités. La troisième année, la dépense se chiffrait 532 000 $. La fabrique a finalement exécuté cette réparation se rendant bien compte qu'un nouveau retard entraînerait 1'année suivante une dépense de plus de 70 000 $.

Le diocèse de Montréal a procédé en 1983-1984 à des rénovations d'une centaine d'édifices patrimoniaux grāce en particulier à des programmes fédéraux et provinciaux de création d'emplois. En majeure partie, ces projets consistalent en des rafraîchissements qui ont permis de faire valoir de belles architectures. Les travaux nécessaires A la sauvegarde des structures mêmes représentaient en réalité une part relativement faible des chantiers.

La première église où le diocèse s'est impliqué financièrement est celle de Saint-Jean-de-la-Croix. Une étude professionnelle évaluait à plus d'un million de dollars les travaux de rénovation dont 800 000 $ pour la maçonnerie uniquement. Cette année-Ià, le diocèse avait adopté la politique de ne plus démolir d'églises. Un premier budget de 200 000 $ avait été alloué pour cette église. Des maçons furent engagés à temps et matériel. Finalement, la maçonnerie, les toitures et les fenêtres ont été réparées pour une somme qui n'a pas dépassé un total de 125 000 $. I1 n'est pas rare que des études trop généreuses fassent peur, non sans raisons, aux responsables.

Pour restaurer à moindre coût, ne conviendrait-il pas d'adopter 1'attitude du petit propriétaire qui dispose de peu de moyens et de ne réparer par consequent que ce qui nécessite vraiment de I'être? C'est peut-être aussi la meilleure façon de procéder pour conserver 1'intégrité d'un monument. Les plus graves erreurs sont parfois commises par des organismes qui disposent de trop d'argent.

Il ne s'agit pas pourtant de réaliser des travaux à rabais au dépens de la qualité architecturale. C'est en tenant compte de cette dernière qu'il faut bien sûr les exécuter. Si on conserve un bātiment pour sa valeur patrimoniale, la dégradation de ses éléments architecturaux diminuera ou détruira sa raison d'être.

Consultation des hommes de métier

n projet de restauration exige la direction d'un professionnel compétent comme maître d'oeuvre. Par contre, une bonne médiode de pratiquer 1'économie de moyens est de consulter au départ, déjà au niveau du programme, des hommes de métier. Un maçon, un charpentier, un ferblantier donneront 1'heure juste sur I'état des matériaux et proposeront des façons souvent économiques de réparer sans toutefois sacrifier la qualité de 1'architecture.

Par exemple, à 1'église Saint-François-de-Sales, la charpente du plancher manifestait des faiblesses. Des conseillers proposaient de remplacer le plancher par un plancher de béton, solution peu appropriée du point de vue patrimonial. Un charpentier compétent a proposé le renouvellement de deux poutres. Au lieu de 10 000 $, la réparation a coûté, en 1967,
300 $.

Au diocèse de Montréal, le Comité de construction et d'art sacré a recours à des conseillers techniques pour les problèmes d'entretien de tous ordres. Il s'agit d'hommes d'expérience et de métier qui sont consultés aussi lors de 1'é1aboration des programmes de restauration. Cette politique a permis de réaliser des économies considérables.

Comité de consultation

'établissement d'un programme est souvent facilité par la collaboration d'un comité de personnes compétentes en la matière. N'est-il pas difficile de trouver un professionnel qui possède toutes les connaissances historiques, architecturales et techniques requises dans le domaine patrimonial? La consultation d'un groupe de personnes représentant diverses compétences aide à élaborer un projet en tenant compte de tous les facteurs. Les marguilliers d'une paroisse ont également un grand rôle à jouer comme propriétaires, responsables financiers et représentants des usagers des lieux. Leurs réactions et leur enthousiasme aident à mener les projets à terme. Aussi, ne doivent-ils pas hésiter à consulter, au besoin, pour éviter des erreurs qui pourraient être néfastes pour le patrimoine dont ils sont temporairement, le temps de leur mandat, les gardiens et même les protecteurs.

Le petit propriétaire

Cette pratique, brièvement décrite dans ces quelques pages, n'est pas le résultat d'une philosophie, mais celui d'une nécessité, puisque les fabriques n'ont pas aujourd'hui les moyens de procéder autrement qu'avec la mentalité du petit propriétaire. Quoi qu'il en soit, les intervenants dans le domaine du patrimoine ne devraient-ils pas penser les projets avec cette attitude d'esprit, parce que la sauvegarde d'un grand nombre de monuments est, en définitive, à la charge de la société et, là comme ailleurs, il faut s'efforcer de donner les meilleurs services tout en rendant cette charge sociale la moins lourde possible.

Texte: Claude Turmel, prêtre, Directeur du Comité de construction et d'art sacré, janvier 1990


© Van Khanh Pham