L'Ancienne Acadie : L'espoir renaît
De 1755 à 1759, date de la prise de Québec, les autorités anglaises empêchèrent les Acadiens de gagner leur patrie d'origine et de grossir les effectifs français.
L'article 39 de la Capitulation de Montréal, en 1760, soumis à la signature du général Amherst dit « aucun Français résidant au Canada ou sur les frontières ne sera déporté ». Le général anglais ajoute en marge : « accordé, excepté à l'égard des Acadiens ». Il oppose le même refus à l'article 55, quand Vaudreuil demande le retour sur leurs terres en faveur des Acadiens, prisonniers en Nouvelle-Angleterre.
En outre, par le traité de Paris en 1763, le Canada était accessible à n'importe quel colon anglais, mais fermé aux Acadiens.
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Louis XV |
Les autorités anglaises s'émurent de voir 1179 Acadiens appartenant à 178 familles réunies ainsi sur les côtes de l'Atlantique. C'était le 24 août 1763.
Les difficultés recommencèrent. Si Louis XV les réclamait comme siens, on pouvait donc les traiter comme prisonniers de guerre. Le roi de France reçut donc un compte de 9573 livres sterling, (environ 50,000 dollars), pour frais d'entretien de ses « fidèles sujets ».
Louis XV ne paya pas.
De force, ils regagnent leurs villages. Vers le même temps, un marchand jersiais, Jacques Robin, leur offre des terres dans le Nouveau-Brunswick. Cette fois encore, ils ne peuvent partir.
Dans l'été de 1764, le comte d'Estaing, gouverneur des Antilles françaises, les informe que ses « états » leur sont ouverts. Le gouverneur américain refuse d'accéder à leurs vux, sous prétexte qu'ils sont sujets anglais. Ainsi, tour à tour, on les déclare sujets anglais ou sujets français. La situation est alors bien noire pour ces pauvres malheureux.
Reverront-ils jamais leurs champs et leurs hameaux ?
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James Murray |
Le 13 janvier 1766, plusieurs Acadiens exilés s'adressaient de nouveau au gouverneur de Boston lui demandant humblement d'écrire au gouverneur Murray, de Québec, pour l'induire à les recevoir et à leur donner des terrains. Le gouverneur américain voulut bien plaider leur cause et celle de tous les Acadiens réfugiés en la Nouvelle-Angleterre. Sa lettre à Murray est datée du 25 février. Celui-ci accueille favorablement cette demande ainsi que celle des Acadiens eux-mêmes qui décident d'envoyer deux de leurs délégués, chargés de s'entendre avec le gouvernement de Québec. Au Conseil du Château Saint-Louis, ils demandent la permission de s'établir au Canada. Le gouvernement répond qu'il va consulter les différents seigneurs et les solliciter d'offrir des terres, aux meilleures conditions possibles, aux nouveaux colons qui désirent laisser la Nouvelle-Angleterre pour le Canada. D'après Murray, en effet, « il serait avantageux pour l'Empire britannique et surtout pour cette province (Canada) d'établir ici ces Acadiens sur le même pied que les nouveaux sujets de Sa Majesté ».
Enfin on ouvre les portes de leurs prisons !
Dans les cent vingt-cinq villages que 890 des prisonniers quittent le 13 juin 1766, les scènes d'héroïsme, de générosité, de pleurs et de résignation chrétienne peuvent à peine se concevoir, encore moins se décrire. Où dirigeront-ils leurs pas ? Plusieurs chemins s'ouvrent devant eux. Les uns n'hésitent pas à franchir à pied près de 600 milles pour regagner l'Acadie.
« Pitoyable anabase qui comptait plus de vieillards, de femmes et d'enfants que d'adultes et ceux-ci même sans armes !
« On ne rencontre que veufs, veuves ou orphelins; le nombre de veuves l'emporte sur celui des veufs; car les femmes avaient, semble-t-il, plus que les hommes la force de supporter tant d'épreuves ». « Aux pierres des tombeaux, leur histoire fut écrite ». (Longfellow).
Après quatre mois de luttes contre l'épuisement physique et l'abattement moral, ils atteignirent la rivière Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Quelques-uns retrouvèrent des parents, des amis dont les avaient séparés dix années d'exil Une cinquantaine de familles voulurent aller jusqu'au bout, gravir le calvaire jusqu'à la dernière marche, et, de leurs yeux, revoir au moins les ruines de leurs villages, de leurs foyers. Ils allèrent et ne les virent pas; tout avait disparu : église, fermes et granges; plus pierre sur pierre. Seuls subsistaient ici le puits, là les digues, çà et là des arbres, surtout les saules, de vieux saules, l'arbre symbolique des Acadiens, dont le pâle feuillage languissant pleure éternellement leurs deuils sans nombre. Mais quoi ? Les noms même des lieux n'existent plus : Beaubassin s'était mué en Amhers, évocation odieuse; Beauséjour en Sackville; Cobequid en Truro; Piriguit en Windsor; les Mines en Horton; jusqu'à la Baie Française qui était devenue Fundy Bay ! On leur adressait des injures dont ils ne comprenaient pas le sens, mais dont ils devinaient toute la malveillance. On traitait en intrus, chez eux, sur leur propre seuil, les légitimes possesseurs qui n'avaient plus même une pierre pour reposer leur tête
« Avoir fait ce cruel pèlerinage pour trouver un tel accueil au pays natal ! Désespérés, ils s'enfuirent jusque vers les mauvaises terres délaissées de l'extrême Baie de Sainte-Marie, au fond même de la péninsule ».
Aujourd'hui, l'Acadie nouvelle compte plus de 300,000 fils, fidèles à leur foi et à leur race. Reconnaissance ! Espoir ! Dieu s'en est mêlé, c'est clair !
Ceux qui ne s'étaient pas senti le force de se diriger vers l'Acadie, optèrent pour la Province du Canada où Murray, avons-nous dit, les recevait. D'aucuns arrivèrent à Québec par bateau, d'autres par terre ou enfin d'autres gagnèrent directement Montréal par le Lac Champlain et le Richelieu.
De ces exilés plusieurs seront nos ancêtres. Nous les retrouverons plus loin, dès leur arrivée à l'Assomption, où ils s'installeront avec ceux qui les y ont précédés depuis sept ou huit ans, attendant ensemble de venir s'implanter à Saint-Jacques.
Ainsi se précise la double provenance de nos ancêtres acadiens; les uns, des exilés, vinrent des États-Unis; les autres, des fuyards qui avaient auparavant gagné Québec.
Conclusion
Pourquoi avons-nous redit les souffrances de nos ancêtres ? Pour plusieurs raisons : ce récit, basé sur l'histoire et les souvenirs de nos pionniers, doit être transmis; puis, ces souffrances nous aideront à mieux saisir l'âme complexe des premiers colons de notre paroisse et certains atavismes encore vivaces qui ne s'expliqueraient que bien difficilement sans ces rudes coups de burin : mélange de timidité et d'audace, d'individualisme et d'esprit de corps, de gêne avec l'étranger et d'exubérant abandon avec les leurs, de patiente résignation et de soudaine combativité.
Les autres aspects de l'histoire des Acadiens sont plus connus et beaucoup d'auteurs les ont analysés déjà. Les luttes pour la survivance française dans les écoles du Nouveau-Brunswick et des Maritimes en général ont fait le sujet d'études pénétrantes. D'autres ont mis l'accent sur nos motifs d'espérer Ils ont signalé des représentants de l'Acadie dans tous les domaines : religieux, politique, artistique etc.
Les Acadiens apparaissent aux pages de notre histoire, comme un peuple-frontière, comme des Alsaciens ou des Lorrains Des Barrès ou des Bazin les auraient depuis longtemps présentés au monde, comme d'irréductibles géants de la douleur encaissée, de la foi, de l'espérance et de la charité.
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Henri Martin, historien (1810-1883) |
Les Acadiens, comme Lévis, n'ont pas perdu la dernière bataille. Ils ne méritaient pas d'être traités en vaincus.
On a voulu les engloutir sous l'oppression, les priver de leur liberté et de leur fierté française. Ce fut en vain.
De tout temps, les hommes et les historiens honnêtes de toutes races comme de toutes croyances s'exhaleront de leur cur des hymnes de louange méritée que pour les survivants des justes causes C'est le verdict de tous les lecteurs - fussent-ils américains ou anglais - qui, aujourd'hui, lisent l'Évangéline de Longfellow, le Grand-Pré de Herbin, ou les ouvrages de Casgrain, de Rameau de Saint-Père, de Lauvrière, du Frère Bernard, C.S.V., de MM. Bona Arsenault ou Guy Frégault. Les Acadiens, dans l'Histoire, n'ont qu'un seul et même nom avec le peuple polonais, celui de peuple-martyr.
Quand, après tant de tortures, un petit peuple a le courage de ne jamais renoncer à vivre sa vie d'autrefois et cela sous tous les cieux; quand il a l'instinct de se grouper et de ne pas douter de la Providence, de ses prêtres et de sa foi, quand, malgré toutes ces lourdes chaînes de calamités, il ne cesse de se redresser et d'agir en union avec tous les esprits créateurs dans un enthousiasme indéfectible, qui oserait mépriser un tel atout dans l'édification de toute une Patrie ?
« La France est un pays de résurrection », se plaisait à répéter René Bazin. Or l'Acadie n'a jamais renié son caractère français. L'Acadie vivante a fait vu de ne pas mourir. Il n'y a que Dieu qui annihile les peuples. Les Acadiens font partie du peuple de Dieu
C'est pourquoi les Acadiens ont rebâti en maints endroits du Canada et jusqu'en Louisiane de nouvelles Cadies, entre autres, Saint-Jacques, toujours le mieux connu sous le nom de Saint-Jacques-de-l'Achigan.
Certains travaux récents ont mis fin aux aspects morbides et négatifs de l'histoire acadienne qui est devenue, non pas l'histoire d'un État, mais bien plutôt celle de regroupements, de « réimplantations », d'une famille dont les membres dispersés se reconnaissent entre eux. M. Bona Arsenault, M.A.N. dans son Histoire et Généalogie des Acadiens a décrit ces recommencements acadiens en Louisiane, en Nouvelle-Angleterre, en France, en divers endroits du Québec, et aux Maritimes.
Dans son film sur l'Acadien (1968), M. Léonard Forest nous fait comprendre qu'être Acadien, « c'est être descendant d'une grande famille qui a connu, dans des premiers temps, une extraordinaire homogénéité, une extraordinaire cohésion, un extraordinaire bien-être, et qui a gardé d'elle-même, à travers les temps et les intempéries, une image de solidarité filiale et de bonheur collectif. ÊTRE ACADIEN, C'EST PARTAGER UN SOUVENIR. Être Acadien, c'est une complicité durable et pacifique ».
Le frère Antoine Bernard, Clerc de Saint-Viateur (C.S.V.) dira que « c'est le son de l'âme qui identifie un Acadien : je veux dire une certaine gravité, une certaine sensibilité plus réelle qu'apparente, le sens religieux, le culte du souvenir ».
Dans la région de Joliette-De Lanaudière, nous sommes près de 25,000 à partager ce souvenir.