La nouvelle Acadie : Saint-Jacques-de-la-Nouvelle-Acadie

C'est en 1772 qu'on commença d'appeler « Nouvelle-Acadie » ce territoire en voie de défrichement, qui faisait partie de Saint-Pierre du Portage ou L'Assomption.  C'est là qu'on devait se rendre pour les mariages, les inhumations et les baptêmes.

Nos pères ont voulu témoigner leur gratitude profonde au curé de l'Assomption, Jacques Degeay, cet apôtre si généreux dans leurs malheurs.  Sensibles à ses bontés, ils voulurent immortaliser sa mémoire en appelant leur nouvelle paroissse « Saint-Jacques », et en souvenir de l'ancienne patrie, ils ajoutèrent « de la Nouvelle-Acadie ».

En 1832, sous quelle influence - nul ne le sait - (probablement de Canadiens contestataires) à moins que ce ne soit pour éviter le confusion avec Saint-Jacques-de-l'Acadie, près de Saint-Jean, on substitua « de-l'Achigan » ou simplement « l'Achigan » à « Nouvelle-Acadie », sans doute à cause de cette unique route qui, de l'Assomption, conduisait à Saint-Jacques, et qui, aujourd'hui, s'appelle encore « rang de l'Achigan », à l'Assomption.  Ceci se passait lors de l'érection civile de la paroisse.

Lionel Groulx (36 Ko)
Lionel Groulx
Saint-Jacques fut désormais connu sous ce nom, avec ou sans trait d'union, et même sans la particule « de ».  (Pourtant, les traits d'union auraient bien signifié qu'il n'est pas sur la rivière L'Achigan, comme, par exemple, dans École Saint-Louis-de-France, les traits d'union indiquent que cette école n'est pas en France.  Saint-Roch de l'Achigan ne prend pas de trait d'union parce que « L'Achigan » indique la position géographique, la rivière de ce nom passant dans cette paroisse.)

Or, il arrive qu'une chanson du terroir faisait rimer « Achigan » avec « habitant ».  Ce fut la catastrophe… Et le porte-parole de ceux qui se sentaient sinistrés ne fut nul autre que Mgr Marcel Dugas, P.A., ancien curé de Cohoes, N.Y., qui avait toujours éprouvé un solide attachement à son foyer natal, où il revient en 1913 prendre sa retraite.  En 1917, il convainc le Conseil municipal du village que Saint-Jacques  n'a plus de raison de s'appeler Saint-Jacques-de-l'Achigan que Saint-Jacques-de-la-morue…  Il gagne sa cause.  Et la Gazette officielle, (vol. 49, p. 638) publie l'arrêté du Conseil du 1er mars 1917 :  de tous les « Saint-Jacques » du Canada, le seul à être désigné uniquement par ce vocable, sera le nôtre.

Trois ans plus tard, le Conseil de la paroisse adoptait la même dénomination.  (Arrêté du Conseil, 8 septembre 1920, Gazette officielle, vol. 52, p. 2086).

Malgré ces décrets, les « nouveaux jacobins » commencèrent à y ajouter : « de Montcalm », personne ne pouvant identifier la place :  en effet, les étrangers continuaient et continent encore - j'en ai été des centaines de fois témoin - à désigner notre paroisse par le titre qu'elle a le plus longtemps porté et sous lequel elle a connu ses jours les plus prestigieux.

Le titre du présent ouvrage évoque les deux premières appellations historiques de Saint-Jacques-de-la-Nouvelle-Acadie et de Saint-Jacques-de-l'Achigan.  Et cela, à la demande expresse de notre historien national, le chanoine Lionel Groulx nous suppliant de « faire revivre le beau vieux nom ».

Atmosphère des débuts

Ces pauvres enfants de l'Acadie rencontrèrent, certes, chez les Canadiens, des frères capables de comprendre l'étendue de leurs malheurs.  Mais rien ne pouvait remplacer le village natal, les champs qu'ils avaient cultivés, le clocher de leur église et la patrie de là-bas qui, jalousement, gardait les ossements de leurs morts !

De cette Acadie bien-aimée, ils n'ont conservé, en plus de leurs souvenirs, que de petites croix suspendues à leur cou, quelques hardes et quelques livres de piété.  Que de fois, ils se surprirent à pleurer les trésors de ce passé à jamais disparus avec leur bonheur d'autrefois !

Ces larmes, versées sur le nouveau sol acadien, ont ancré nos ancêtres à leur patrie d'adoption.  Après l'agonie, après la croix, la joie, l'espoir !  Oui, ils se cramponneraient de toute la force des cœurs meurtris, à cette terre hospitalière qui leur promettait, en retour, le pain quotidien, le chanvre et le lin, et surtout la paix.

Au milieu de tous ces malheurs, nos pères se résignaient avec une grandeur d'âme étonnante.  Armés de leur foi, ils demeurèrent constamment attachés à leurs devoirs religieux.  Ainsi, de 1767 à 1772, ils partaient à deux heures du matin, à pieds et en sabots - la tradition le rapporte, - et se rendaient jusqu'à l'Assomption pour remplir leur devoir dominical.

Mgr Joseph-Arsène Richard (74 Ko)
Mgr Joseph-Arsène Richard
« Les jours où ils devaient communier, confirme Mgr J.-A. Richard, curé-fondateur de Verdun, ils s'emportaient un morceau de pain qu'ils mangeaient au sortir de l'église et revenaient joyeux, réconfortés, à leurs modestes demeures, prendre vers le soir, l'unique repas de la journée.  Le lendemain, on reprenait le dur labeur de la semaine.  On raconte que deux amis acadiens, du ruisseau Vacher, partirent, un dimanche de la « Grande Procession » (Fête-Dieu), de grand matin pour aller entendre la messe à l'Assomption.  Rendus là, comme il était encore de bonne heure, ils se dirent : « Allons à la messe à Saint-Sulpice », à une lieue de là. - « Allons-y ! Peut-être y rencontrerons-nous des nôtres »  ! - Ils s'y rendirent et pendant la procession du Saint-Sacrement, l'un dit à son copain en désignant une personne : « vois-tu celle-ci ?  C'est ma femme ». - « Tu n'y penses pas ». - « C'est ma femme, te dis-je ». - « La reconnais-tu ?  » - « Oui c'est elle ».  De fait, c'était elle.  Il la retrouvait après quinze ans de séparation.

Dans les veines des Acadiens, coulait le plus pur sang français.  Sobres, se contentant de peu, capables de supporter les plus grandes privations, ils étaient des gens doués de ténacité et de persévérance que l'adversité ne pouvait réduire.  Bons, affables, hospitaliers, d'une grande vigueur musculaire, leur probité et la simplicité de leurs mœurs étaient proverbiales.  S'ils étaient soumis aux ordres de leurs chefs spirituels et temporels, ils n'en étaient pas moins courageux et opiniâtres dans leurs entreprises, au point qu'on leur applique cette expression presque passée en diction : tête de fer, mais cœur d'or.

Ces premières heures de la fondation ont donc marqué d'une empreinte profonde l'âme de nos ancêtres.  Heures entremêlées de larmes et d'espoir !  Nos pères avaient perdu l'Acadie; ils trouvaient en retour les plus riches terres du Bas-Canada.  Le succès leur souriait enfin !  Tout présageait un avenir meilleur.  De toute façon, ils ne tarderont pas à s'apercevoir qu'ils jouissent ici d'une plus grande paix qu'en Acadie, et ils en remercieront le Seigneur.

« Tombons à genoux, écrivait Mrg A. Richard, dans ses mémoires, et remercions Dieu de nous avoir donné de tels aïeux, aussi extraordinaires, par leurs vertus que par leurs malheurs.  Glorieux ancêtres… vous avez fidèlement servi Dieu et votre pays.  Vous qui avez préféré l'exil à l'abandon de Dieu et de la France, vous avez été l'honneur de la famille ».

« La fondation de la paroisse de Saint-Jacques est un fait bien émouvant, digne de la grande histoire et très caractéristique de cet esprit de charité et de solidarité chrétienne qui animait nos pieux ancêtres ». (Mrg A. Forget).