La vie économique : L'industrie
L'industrie est à peu près toujours complémentaire de l'agriculture. Aussi à la campagne, c'est pendant la morte-saison des travaux agricoles, que l'industrie donne son maximum d'activité. Notre industrie saisonnière consiste surtout dans les dernières manipulations du tabac, et la livraison du maïs et du grain.
Manufactures de tabac
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Première manufacture de tabac à Saint-Jacques, construite en 1885 |
Une manufacture s'imposait pour le préparer avant de l'expédier sur le marché. Dès 1881, l'année même où il entreprenait la nouvelle culture sur une haute échelle, Médéric Foucher, qui n'hésitait devant aucune entreprise, forme avec son beau-frère Odilon Dupuis, la société de « F.-A. Médéric Foucher & Cie », à laquelle nos planteurs de tabac fournirent une souscription de $3,000.
En 1882, cette manufacture, employant une vingtaine d'ouvriers, opérait dans une cave (au no 2, Chemin Foucher). Des séchoirs s'élevaient aux alentours. Les champs de tabac de M. Foucher, entretenus comme des parterres, attiraient de partout les visiteurs, et spécialement les journalistes.
La Compagnie abandonna cette installation temporaire et construisit un autre établissement à Joliette, en octobre 1883, sous la nouvelle raison sociale de « Compagnie de tabac de Joliette et de Saint-Jacques ».
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Médéric Foucher |
Quand la manufacture de Joliette ouvrit ses portes, celle de Saint-Jacques, continua à opérer, chez M. Foucher. Celle-ci était devenue, cependant, la propriété d'Ovide Marion.
La distance ne le favorisait guère. En 1884, M. Marion transformait en manufacture le hangar appartenant aujourd'hui à Jos. Lanoue (au no 29, Grand Rang), et, en 1885, constituait une compagnie avec son fils Arthur, et Modeste Beauvais, comme directeurs. L'entreprise employait cinq ou six travailleurs. On y tournait le tabac en torquettes. On essaya différents procédés pour produire du tabac noir, mais sans succès.
Sur proposition de plusieurs notables, Ovide Marion construisit, en 1887, une manufacture au village, à l'extrémité de la rue Marion. Il s'unit à Salomon Venne, Zacharie Cloutier, Louis Piquette et Isaïe Forest pour former la Compagnie de tabac canadien de Saint-Jacques. Alcide Martin en était le gérant. Cette manufacture était l'une des premières du genre au Canada. Trop d'audace dans l'entreprise fit cesser les opérations, vers 1892. Salomon Venne acheta la manufacture et les entrepôts contenant 35,000 livres de tabac, et reprit pour quelques temps le commerce en compagnie de U. Gervais, de Joliette.
En 1917, Wellie Munn, associé à R. Boulet, de Joliette, acquérait la manufacture. Après quelques années, M. Munn en devint l'unique propriétaire jusqu'en 1942. Cette manufacture fournissait de l'ouvrage à une dizaine d'ouvriers. Elle fut convertie en logis vers 1948.
Entre-temps, d'autres manufactures ouvraient leurs portes. En 1900, Alphonse Fontaine, à qui succéda son fils Adolphe, fonda une entreprise qui employait régulièrement une quinzaine d'hommes.
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Saint-Jacques Tobacco Packing |
Jos-A. Dupuis ouvrait lui aussi une manufacture, presque en même temps que M. Fontaine. Son frère David, (en 1917) et le fils de celui-ci, Henri, (en 1940) lui succédèrent. L'entreprise, après avoir régulièrement fourni de l'ouvrage à une vingtaine d'hommes, fermait ses portes en 1944. (au no 42, rue Saint-Jacques).
Jos. Marion fut, de 1911 à 1940, à la tête d'un très florissant commerce de tabac, atteignant parfois annuellement les 3,000,000 de livres. Cette manufacture, située à l'arrière de sa demeure (au 157, rue Saint-Jacques) fut incendiée le 11 mai 1944.
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Duys Canadian Tobacco |
Alcide et Emméril Venne (depuis 1914), Armand Richard, Arsène Mirault et son fils Albert, Arthur Morin, Émilien Coderre, Eugène Therrien, Henry Venne, se sont aussi adonnés au commerce du tabac dans les années 1920 à 1950.
Alphonse Forest (vers 1920), Wilfrid Mireault, Robert Richard, Marcel Lépine, ont manufacturé des cigares.
Sucre d'érable
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Fête au sucre de l'A.C.J.C. - 21 avril 1924 |
Ainsi, « en 1879, la production minima du sucre d'érable à Saint-Jacques était de 150,000 livres, lit-on dans le Journal d'Agriculture (avril 1879) : s'il y a une paroisse, entre toutes, continue le journal, qui mérite une mention spéciale dans la fabrication du sucre d'étable, la paroisse de Saint-Jacques doit, sans contredit, figurer en première ligne, tant sous le rapport de la quantité que de la qualité ».
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Salomon Venne (au centre) et famille, Saint-Jacques, 1909 |
Aujourd'hui, même si le déboisement semble avoir porté un rude coup à cette industrie, plusieurs possèdent une érablière.
Chaque printemps, les « gens de la ville » viennent à Saint-Jacques, revoir leurs parents, sans doute, mais aussi, regoûter les plaisirs de « la cabane ». Depuis environ 15 ans, plusieurs « cabanes » ont pris les proportions d'immenses salles à manger qui ont bien diminué le caractère des parties d'autrefois.
Ceintures fléchées
Avant l'ère du machinisme, les arts domestiques (ou l'industrie fermée) régnaient dans nos campagnes. Pendant que « leurs hommes « fabriquaient augettes, balais de cèdre, baquets, sabots de bois, jougs, vans, pelles en cèdre, souliers de boeuf, meubles, instruments agricoles, véhicules etc., les femmes transformaient en savon et en luminaire, les huiles et les graisses, en continuant une tradition acadienne, elles s'appliquaient à faire des catalognes et des tapis crochetés à broder et à tisser des ceintures fléchées.
Autrefois, les bourgeois du Nord-Ouest, les membres de la Compagnie de la Baie d'Hudson, les engagés pour la traite, les canotiers, les voyageurs et les Patriotes portaient le costume national d'hiver comprenant le paletot en étoffe du pays, l'ample capuchon, tuque bleu ou rouge, et la ceinture fléchée autour des reins. Elle figurait comme article de l'uniforme officiel de plusieurs séminaires et collèges. C'était le cas pour le Séminaire de Québec et le Collège de l'Assomption. À Saint-Jacques, même vers 1900, quelques enfants s'en paraient encore.
Cette ceinture, à zigzag rouge, bleu, vert, jaune et blanc et d'un bel effet décoratif, est un chef-d'uvre d'industrie domestique au Canada. Les ouvrages savants, parus sur le sujet, indiquent différentes origines probables: indienne, normande ou espagnole, anglaise ou acadienne.
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E.-Z. Massicotte |
D'où vient qu'elle fut presque toujours nommée « ceinture fléchée de l'Assomption » ? C'est qu'autrefois, les bateaux se rendaient à l'Assomption, terminus de la navigation, chef-lieu du comté (en 1845) et du district judiciaire de Leinster, et centre commercial achalandé. Tous les gens du Nord y venaient trafiquer. Bientôt, les Anglais désignèrent cette ceinture sous le nom de l'endroit (The Assomption Sash), où son commerce était le plus florissant, même si elle était fabriquée dans le « grand Saint-Jacques » d'avant 1888.
Dès 1837, Salomon Bélanger, qui avait été commerçant dans le Nord-Ouest durant plusieurs années, s'établit au Ruisseau Saint-Georges et devint l'agent de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Il distribuait la laine aux tisseuses, de la « shetland » que les gens dénommaient « châtelaine », et veillait à la confection de ces ceintures, selon des modèles réguliers. La ceinture fléchée requérait de la laine teinte que nos commerçants obtenaient d'Angleterre. En 1844, les statistiques gouvernementales nous renseignent sur notre industrie à domicile : l'on ne produisait chez nous que de la laine de couleur naturelle :
15,552 livres de laine blanche ou noire; 13,620 verges de toile; 9,055 verges d'étoffe foulée; 7,880 verges de flanelle.
Après le décès de M. Bélanger en 1870, l'agence passa à Joseph Dugas, commerçant, et ce trafic se maintenait très prospère, jusque vers la fin du 19e siècle. Comme son prédécesseur, M. Dugas faisait confectionner ses ceintures par des tisseuses de la paroisse ou de Saint-Marie-Salomée, et fournissait M. Corkran, agent de la compagnie de la Baie d'Hudson.
D'autre part, les ceintures fléchées de Saint-Jacques l'emportaient de beaucoup sur toutes les autres, en particulier sur les ceintures manufacturées en Angleterre. C'est tellement vrai, que malgré toutes les restrictions de la métropole anglaise pour détourner ce commerce du Canada et le diriger vers Coventry, les Bourgeois du Nord-Ouest réclamaient de préférence les ceintures de chez-nous. À l'exposition de Londres de 1886, on donna les premiers prix aux deux ceintures de Zacharie Cloutier.
Nos ceintures se différenciaient des autres par la couleur, par la dimension et par le nombre de flèches. Les plus coûteuses, comme les plus difficiles à confectionner, étaient celles d'une seule couleur, la rouge, par exemple, et celles de 28 flèches. Elles exigeaient au moins quatre ou cinq semaines d'ouvrage ardu et peu rémunérateur.
Les ceintures de couleurs diversifiées résultaient du mélange du gros et du petit bleu, du vert, du rouge, du jaune et du blanc. Parfois, elles s'ornaient même de perles. Les plus grandes atteignaient jusqu'à quinze pieds de longueur, y compris la frange, et douze pouces de largeur.
Nos tisseuses de ceintures fléchées ressemblaient aux ouvrières de Malines et d'Alençon, maniant de fines dentelles. Elles se tenaient à la fenêtre, et leur travail fixé à la targette et à un clou planté dans le plancher, elles maniaient de leurs dix doigts les diverses couleurs de laine qu'au préalable, elles avaient nuancées... Une petite règle en bois ou tempié, recevait d'abord toute la vision de laine qui pendait des deux côtés. On commençait la ceinture par le milieu. La moitié de cette laine était roulée sur la partie traverse accrochée à la fenêtre; deux autres bâtonnets, placés en guise de lames, descendaient au fur et à mesure que l'ouvrage progressait.
À partir de 1880, à cause de l'insuffisance des salaires et de l'introduction des étoffes manufacturées, la ceinture fléchée connut le sort de tant d'autres industries domestiques, le déclin. Vers 1900, comme il ne s'en tissait plus chez nous, ceux qui s'intéressaient à cette industrie, craignirent que leur secret ne se perdît. En 1907, le Canadian Hardicraft Guild, sur l'instigation de Marius Barbeau, étalait à Montréal quelques modèles de ceintures.
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Marius Barbeau (début des années 1960) |
Depuis, quelques Écoles Ménagères de la Province ont inscrit l'étude de cet art à leur programme. Sur demande de Sr Marie-Jeanne-de-France, Mme Jules Goulet (Augustine Marion) ainsi que Mme Alphonse Mireault (Florentine Riopel) et sa fille, Mlle Marie-Joseph, contribuèrent à faire revivre cette industrie locale.
Les articles et les livres de M. Barbeau sur ce sujet, sont très intéressants, mais laissent encore planer quelques doutes. Accordons lui le grand mérite de s'être fait l'apôtre de cette industrie domestique avec E.-Z. Massicotte.
La ceinture fléchée est une de nos richesses, car c'est « le plus beau travail manuel qui se soit jamais fait en Amérique ou ailleurs » (Barbeau).
Textile
À part la ceinture fléchée et les bas de laine vendus aux marchands, Saint-Jacques ne connut guère d'autres industries textiles avant 1944, quand Benny Rubenovitch dirigea (jusqu'en 1948) une manufacture de confection d'habits pour homme, au no 13 de la rue Bro. Il employait une quarantaine d'ouvriers.
En 1946, la Nerom Hosiery no 2 - (bas de soie) ouvrit une succursale au no 42, Saint-Jacques, où cinquante employés travaillaient sous la direction de M. Camille Morin.
Depuis 1950, la Northland Sportwear occupe 112 employés dans l'assemblage de pièces d'habits de sport, pour le compte du magasin Simpson's Sear, de Montréal.
Industries d'autrefois
Autrefois, l'on exploitait la pierre de nos champs, ainsi que certaines carrières de pierre à chaux. Au ruisseau Saint-Georges, Maxime Masse était propriétaire d'une briqueterie (la briquade); Antoine Gaudet tenait un commerce de bois Israël Lepage, vers 1870-1886 gagnait sa vie à fabriquer de la potasse avec les cendres qu'il recueillait ici et là.
Nos menuisiers étaient nombreux : Édouard Boulard, Séraphin Cadieux, Célestin Coderre, Hormisdas Coderre, Misaël Dupras, Pierre Gagnon, Odilon Goulet, Narcisse Majeron, Urgel Moreau, Arsène Morin, Érasme Piquette et Pierre Soulière, charpentiers ; Maxime Gaudet, fabricant de meubles; Médéric Boulard, tonnelier.
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Cordonnier de Saint-Jacques |
Jacques Desjardins, Eusèbe Coderre, Albert Forest étaient les ferblantiers de la paroisse, tandis que Théodule « Cayen » se spécialisait dans l'industrie des terrines (chez William Lord).
Tout un contingent de forgerons s'empressaient de ferrer les chevaux : Ludger Marion, Wilfrid Ménard, Elzéar Poirier, Gilbert et Bonaventure Gaudet, Louis Gagnon, Patrick Carroll, Ferrier Leblanc, Georges Houle, Joseph Pellerin, Joseph Beaudoin (Ti-coq), Yvan et Maurice Beaudoin. Les selliers ou harnacheurs étaient Jules Éther, Laurent Miron et Joseph Richard. Joseph Légaré ainsi que Médéric Bolduc fabriquaient des voitures.
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Boulanger de Saint-Jacques |
Les anciennes photographies « sur zinc » de l'artiste Antoine Mercure, nous rappellent les pantalons à « tuyaux » confectionnés par Médéric Leblanc, tailleur, ou par Charles Boon, marchand tailleur et drapier de Montréal. Ce dernier tenait une succursale à Saint-Jacques.