Le Vaisseau Fantôme
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Le Bulletin des agriculteurs, juillet 1982
p. 68-69

Le bateau-fantôme de la Baie des Chaleurs
Par Georges Guy

Croyez-vous aux fantômes? Aux bateaux-fantômes?

Depuis deux siècles, plusieurs Gaspésiens auraient aperçu un navire en feu sur les eaux de la Baie des Chaleurs. Le bâtiment disparaît sitôt que les pêcheurs s'avancent pour l'examiner.

Illusion d'optique? Créature de l'imagination? Peut-être. C'était mon opinion avant l'excursion qui m'a conduit vers la Baie des Chaleurs pour y rencontrer des témoins de l'apparition fantastique.

Mais demandez aux gens de Matapédia, de Restigouche, de St-Omer, de Carleton ou de Maria, ce qu'ils pensent du bateau-fantôme, et ils croient d'abord à une plaisanterie. Ont-ils vu le navire? Non. Connaissent-ils une personne qui, l'ayant vu, pourrait le décrire? Non... à moins que...

Sous toutes réserves, ils racontent, par exemple, qu'un cordonnier de Paspébiac, ou de New-Carlisle, l'aurait aperçu, vers 1938, au large de New-Richmond. C'était en juillet, à l'heure du crépuscule. Un bateau d'or, silencieux, magnifique.

Fort bien, mais allez donc retrouver un cordonnier dont vous ne connaissez ni le nom ni le prénom, ni la localité, et qui d'ailleurs n'est peut-être plus de ce monde. À New-Carlisle et à Paspébiac, je n'ai rencontré personne qui eut entendu dire qu'un des leurs avait pu voir un bateau-fantôme.

« Peut-être, a suggéré un vieillard, que du côté de Restigouche ou de l'autre bord de la Baie à Caraquet... Quelqu'un m'a conté qu'un couple avait vu Ie "Marquis de Malauze". Là, j'pourrais pas vous assurer que c'est vrai. »

Une légende
Avec le « Marquis », la légende donne la main à l'histoire. En 1760, la France tentait désespérément de sauver sa coIonie d'Amérique. Partis de la mère patrie, six bateaux traversèrent l'Atlantique pour venir à la rescousse de l'armée qui défendait Québec. En cours de route, l'un d'eux fait naufrage et deux autres sont capturés par les Anglais.

La petite flotte n'était pas au bout de ses peines. En entrant dans le Golfe, elle apprend que l'ennemi est maître du Saint-Laurent et que la Baie de Gaspé n'est pas sûre. Reste la Baie des Chaleurs. Le commandant prend la décision de s'y réfugier en attendant des nouvelles de Québec.

L'attente semble longue. Les nouvelIes arrivent finalement. Elles sont mauvaises. Inutile de remonter le fleuve. La capitale de la Nouvelle-France est assiégée.

Le commandant est perplexe. Doit-il tenter de forcer le blocus ou faire demi-tour vers la France? Une fois encore, un messager est envoyé à Québec afin d'en rapporter des instructions. Les jours passent et l'attente pèse lourd sur le moral de l'équipage.

Finalement cinq bâtiments britanniques entrent dans la Baie des Chaleurs. On somme les Français de se rendre. Le refus est formel : jamais!

La bataille fait rage pendant dix-sept jours. Les Français se défendent vaillamment mais la conclusion est inévitable. Ils n'ont plus de munitions. Fuir? Impossible. Plutôt que de permettre aux Anglais de s'emparer des navires, deux capitaines décident de les saborder.

N'étant pas armé, le troisième bateau, le « Marquis de Malauze » n'avait pas participé à l'engagement. Il avait pris feu cependant, au cours de la bataille, et les flammes l'avaient dévoré jusqu'à la ligne de flottaison. Il avait glissé ensuite au fond de la Baie, non loin de Restigouche.

Selon la légende, l'un des marins avait refusé d'abandonner le navire. Il avait dit à ses compagnons : « J'vas poursuivre les Anglais jusqu'à la fin du monde et jusque su'l'diable, s'il le faut. »

On suppose que l'apparition occasionnelle du bateau-fantôme démontre que le marin, fidèle à son voeu, continue de poursuivre l'ennemi.

Une autre version
Il y a des siècles, un bateau pirate faisait des ravages sur les côtes de la Baie des Chaleurs. Un jour, les brigands débarquèrent à Port-Daniel pour boire et préparer les méfaits futurs. Comme il se doit, Ieur chef était borgne, barbu, et il avait une jambe de bois. Un vrai hors-Ia-Ioi de légende. Ses comparses ne valaient guère mieux.

À Port-Daniel ce jour-Ià, nos bandits rencontrent une pauvre vieille qui a de l'argent peut-être ou qui a surpris l'un de leurs complots. Elle refuse de céder aux menaces et elle est massacrée.

Avant de mourir, elle jette un sort aux pirates : « Vous allez brûler sur la mer jusqu'à la fin du monde. »

Ce voeu a été exaucé. Souvent, avant une période de temps mauvais, des gens ont vu un bateau en feu sur la mer et même des marins sur le pont. Des gens ont tenté d'aller y voir de plus proche, mais peine perdue. Le navire disparaît aussitôt qu'on s'en approche.

Épave
S'il reste un bateau-fantôme sur la Baie des Chaleurs, c'est probablement celui des pirates car les ossements du « Marquis de Malauze » ont été retirés de la Baie et reposent désormais dans la cour de l'église de Restigouche. Ossements... c'est le premier mot qui m'est venu à l'idée en apercevant ces pièces de bois noirci, alignées de façon à former le dessin d'une coque.

Le village d'ailleurs ne semble pas très fier de son « Marquis ». Des haussements d'épaules ont accueilli mes premières questions. Un passant a répondu en anglais (les anglophones sont nombreux) qu'il y avait « quelque chose » derrière l'église. Je n'y ai vu qu'un sentier conduisant à la plage et aux ruines d'un vieux quai. Pendant quelques heures, j'ai eu l'impression de poursuivre un bateau-fantôme.

Avec beaucoup de gentillesse, le curé de Restigouche a accepté d'éclairer ma lanterne. Eh oui, le « Marquis » avait trouvé un dernier (?) refuge derrière la clôture là-bas. « Le visiter? Bien sûr, si vous avez la patience. »

En cinq minutes, j'avais tout vu. La première pièce de bois ressemble beaucoup à la dernière et aucune ne trahira des secrets qui ont dormi trop longtemps sous les eaux de la Baie.

Des gens parlent de recherches commencées en hiver. Un radar aurait découvert, à travers la glace, le squelette du « Marquis » qui fut ramené à la surface durant la belle saison.

Pendant quelques années, iI y eut à Restigouche, un petit musée composé d'objets trouvés, sur l'épave (et ses compagnons d'infortune) : sabots, ustensiles, boulets de canon, etc. Le tout fut ensuite envoyé à Ottawa. Dans le village, on semble croire que le musée sera reconstitué, l'un de ces jours, si le gouvernement accorde les subsides nécessaires.

D'autres bateaux du genre
Durant cette journée passée à Restigouche, quelques-unes des personnes interrogées m'ont parlé d'un « autre Marquis de Malauze » dans un entrepôt au bout du village, près de la route nationale. J'ai donc continué mes recherches dans cette direction.

L'entrepôt était fermé, mais le fils du gardien, rencontré par hasard dans les parages, a consenti à me laisser visiter les bateaux frères du « Marquis ». Dans un hangar d'allure mortuaire, ils reposent en pièces détachées enduites de cire, numérotées, et ils attendent, eux aussi, une subvention gouvernementale pour retrouver la forme d'antan. Nul ne sait quelle sera l'apparence de ces navires sabordés par leurs équipages à la fin du régime français. Sous la cire, les pièces semblent bien conservées. Somme toute et même si la métamorphose risque de se faire attendre, ces deux navires ont eu plus de chances que le « Marquis de Malauze » abandonné aux intempéries et dont les jours sont comptés.

Le voyage s'est poursuivi sur la rive opposée de la Baie des Chaleurs en terre acadienne. Sans plus de succès... Les mi-vivants (fantômes) sont plus difficiles à retrouver que les bateaux morts...

Un crépuscule doux et tendre descendait sur Caraquet. Avec mes compagnons, j'aurais voulu que s'éternise le souper commencé, une heure plus tôt, autour d'une table de camping.

Quelqu'un a proposé de visiter le port toujours animé de Caraquet. Nous avons donc marché sur le quai et passé en revue l'armée des mats et des coques. Puis, obstinément, en espérant presque l'impossible, j'ai fixé un coin du large au confluent de la mer et du soleil... et j'ai cru voir les voiles d'un navire en flammes.

On ferme les yeux un moment. On regarde encore. Rien, bien sûr.

Dans le port, le vent s'éveillait et quelques chalutiers tanguaient doucement.

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