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Ces vaisseaux qu'on appelle
fantômes
Robert De La Croix
p.103 à 112
Sur l'eau calme, le paquebot
stoppa à cinq cent mètres d'un voilier qui paraissait
être en détresse. Une embarcation s'en approcha.
Un matelot sauta sur le voilier; un trimaran, modèle
en vogue chez les sportifs de la mer. Il eut vite fait de
le fouiller. Aucun homme n'était à bord. La
cambuse contenait des vivres pour 50 jours et de l'eau potable.
Les apparaux étaient en ordre. Nulle trace d'avarie.
Une énigme.
Cet événement se
passait le 10 juillet 1969 dans l'Atlantique, à 700
milles à l'ouest des Açores. On identifia le
trimaran abandonné. C'était le Teignmouth du
navigateur solitaire Crowhrust qui effectuait le tour du monde.
On ne le retrouva jamais et on ne sut pas comment il était
mort. Noyade accidentelle? Suicide? Un point est certain :
il n'avait pas quitté son voilier volontairement, car
le dinghy et le radeau pneumatique étaient à
leur poste. Coïncidence étrange (mais était-ce
une coïncidence?) quatre autres petits voiliers furent
abandonnés en moins de douze jours dans les mêmes
parages, dans un rayon de 400 km.
La disparition de Crowhrust frappait
d'autant plus l'imagination qu'elle s'était produite
non loin du point où fut retrouvée la «
Marie-Celeste » dont le nom reste le symbole même
des mystères de la mer.
Des hypothèses extravagantes
Le 4 décembre 1872, le trois-mâts Dei Gratia
rencontre, au large des Açores, le brick américain
« Marie-Celeste » qui paraît dériver
et ne répond pas aux signaux. Trois hommes montent
à bord. Leurs appels n'éveillent aucun écho.
Sur la table du carré sont posées des tasses
de thé tiède. Dans la cuisine, le fourneau est
chaud et une casserole contient un poulet cuit. Dans les cales,
outre une cargaison intacte de fûts d'alcool, on trouve
des salaisons, de la farine, des biscuits, de l'eau douce.
Un des deux canots manque, mais aucune embarcation n'est visible
jusqu'à la limite de l'horizon.
L'énigme était
posée, et bien posée. Pourquoi la « Marie-Celeste
» avait-elle été abandonnée? Avarie,
voie d'eau? Le bâtiment et la coque étaient intacts.
Attaque de pirate? La cargaison était toujours là.
De toute façon, l'équipage n'avait dû
quitter le bord que peu de temps avant la découverte
de la « Marie-Celeste » par le Dei-Gratia puisque,
manifestement, un repas venait d'être servi.
Journalistes, écrivains,
spécialistes des questions maritimes se penchèrent
sur cet événement, un des plus étranges
de l'histoire de la navigation. On échafauda les hypothèses
les plus extravagantes. Une pieuvre gigantesque avait enlevé,
un à un, les membres de l'équipage. Le cuisinier,
devenu fou, avait empoisonné tout le monde, puis s'était
jeté à la mer. Le capitaine avait défié
son second à un match de natation. Les matelots, groupés
sur un seul bord, les encourageaient lorsqu'une lame de fond
coucha le navire, précipitant tout le monde à
la mer. Enfin, on supposa que la « Marie-Celeste »
s'était échouée sur une île volcanique,
brusquement surgie de l'océan. L'équipage descendit
sur cette nouvelle terre. Mais une seconde éruption
fit disparaître l'île. Les hommes se noyèrent
et le brick, remis à flot, continua à naviguer.
Toutes ces explications étaient
ingénieuses, amusantes, mais ne convainquirent personne.
Il y eut bien de prétendus rescapés qui voulurent
faire des révélations, mais ils furent éconduits.
Ils cherchaient sans doute à attirer l'attention sur
eux. On les prenait d'autant moins au sérieux que leurs
noms ne figuraient pas sur le rôle de la « Marie-Celeste
».
De nombreux auteurs ont étudié
cette énigme et se sont livrés à de minutieuses
enquêtes. Ils n'apportent aucune solution et leurs investigations
ne font qu'approfondir le mystère. À l'exception
d'un seul de ces auteurs, Laurence J. Keating. Voici sa solution.
Un capitaine obligeant
À l'époque, aux États-Unis, il y avait
pénurie d'équipages. Briggs, le capitaine de
la « Marie-Celeste » avait besoin de six hommes.
Il s'adressa à un marchand d'hommes, trafiquant qui
logeait à crédit toutes sortes d'individus qui
étaient ensuite embarqués de gré ou de
force sur un bâtiment. Ce marchand d'hommes fournit
trois matelots à Briggs, mais ce dernier en cherchait
encore trois autres. Il confia ses soucis à un de ses
amis, Morehouse, précisément le commandant du
Dei-Gratia qui allait retrouver la « Marie-Celeste ».
Morehouse allait, lui aussi, appareiller pour l'Europe. Il
proposa de prêter à Briggs trois marins de son
propre équipage. Il était convenu que ceux-ci
réintégreraient le Dei-Gratia en un point convenu,
au large des Açores, lorsque le plus dur de la traversée
de l'Atlantique aurait été effectué.
Au cours d'une tempête,
la femme de Briggs fut écrasée par son piano
mal arrimé. Briggs devint fou et, une nuit, sauta à
la mer. Un homme fut tué au cours d'une bagarre.
La « Marie-Celeste »
était alors à proximité des Açores.
Craignant d'être impliqué dans le meurtre dont
le voilier avait été le théâtre,
les matelots décidèrent de rejoindre Ia terre,
à l'exception de ceux prêtés par Morehouse
et du cuisinier.
La « Marie-Celeste »
mit un certain temps à retrouver le Dei-Gratia. Morehouse
fut mis au courant de ce qui s'était passé et
il eut alors l'idée d'une supercherie pour pouvoir
toucher une prime de sauvetage. Il déclarerait avoir
découvert le brick sans personne à bord, ce
qui était vrai et ce sens puisque ses trois matelots
étaient portés sur le rôle du Dei-Gratia
et que le cuisinier, embarqué dans des conditions irrégulières,
ne figurait pas sur celui de la « Marie-Celeste ».
Le brick avait bien toutes ses voiles établies, sa
cargaison était intacte et un repas était effectivement
servi au carré, mais Morehouse n'avait pas parlé
des quatre hommes dont il acheta le silence. L'un d'eux, le
cuisinier, fut retrouvé, âgé de 84 ans,
par Laurence J. Keating. C'est par lui que l'écrivain
eut la solution du mystère.
Un cadavre à la barre
Un mystère qui ne fut jamais dissipé pour bien
d'autres navires. Ainsi, la veille même de sa rencontre
avec la « Marie-Celeste », Morehouse avait rencontré
l'épave d'un trois mâts, la Julia. Les seuls
êtres vivants étaient des rats qui grouillaient
sur le pont. Les restes d'un repas étaient éparpillés
sur la table du carré. Les papiers de bord avaient
disparu. Mais la plus surprenante de ces épaves fut
sans doute celle du Marlborough.
Ce voilier avait quitté
Lyttelton, en Nouvelle-Zélande, au début de
janvier 1890, avec une cargaison de moutons et quelques passagers.
Son commandant, le capitaine Hird, était un excellent
officier et son équipage était composé
de vrais marins et non de la racaille des marchands d'hommes.
Le Marlborough n'arriva jamais
en Grande-Bretagne. Il avait été aperçu,
pour la dernière fois, au large du détroit de
Magellan et depuis il n'avait été signalé
nulle part. Des recherches furent faites en avril 1891, sans
résultat. On classa le Marlborough dans la liste des
navires perdus corps et biens. On eut tort, car on devait
le retrouver presque intact et avec tout son équipage
à bord. Quand cela? Près de 24 ans plus tard.
En octobre 1913, un voilier navigant
au large de la Terre de Feu perçut un grand trois-mâts
qui paraissait désemparé. Le commandant fit
des signaux. Il ne reçut pas de réponse. Il
approcha du navire inconnu et il constata avec stupéfaction
que les voiles de celui-ci étaient vertes, les agrès
étaient verts, vert le pont et vertes les superstructures,
comme si, par une sorte de mimétisme, le trois-mâts
avait pris la couleur de la mer.
Il était vert parce que
couvert de moisissures. Sur le pont, un pont pourri qui cédait
sous les pas, on découvrit des squelettes qui portaient
encore des vêtements. Et à la poupe, en lettres
aux moulures effritées, mais encore visibles, on lisait
: « Marlborough, Glasgow ». C'était le
trois-mâts disparu depuis 1890.
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