Kowé Kowé ni nitchuwom! en cri, bonsoir mes amis. Ceci n'est vraiment pas une conférence, mais tout simplement un retour en arrière de ma jeunesse à Maniwaki, près de la réserve indienne du Désert, où vivent les Algonquins, et des quatre étés à Weymontaching comme institutrice chez les Cris (Têtes de Boule).
Ma famille est née à Maniwaki, et mon père était en charge de la Centrale électrique aux chutes du Corbeau, alors propriété de la Gatineau Power, maintenant Hydro-Québec; c'est à 5 milles de Maniwaki, et quand j'ai terminé mes études à l'École Normale de Hull, j'ai enseigné à 7 élèves dans la maison de mon oncle, cousins et frère et soeur. Après quelques mois, on m'a demandé d'aller enseigner à Déléage à 3 milles de Maniwaki, où j'ai fini l'année, remplaçant une institutrice malade. Après ça, j'ai enseigné à Farley et à la Grande-Pointe. Un jour, le Père Joseph Guinard, qui était missionnaire à l'église indienne sur la réserve, est venu demander à ma mère si je pouvais aller enseigner au St-Maurice. "D'abord qu'elle n'aura pas de grands lacs à traverser," a répondu ma mère qui avait une grande peur de l'eau. La pauvre, elle ne savait pas que je traverserais en canot les rapides à cet endroit pour nous rendre à la réserve de l'autre côté du St-Maurice. Mais avez-vous déjà entendu dire qu'un indien s'est noyé?
Les Cris, étant nomades, passaient l'hiver dans leurs terrains de chasse et se réunissaient sur la réserve durant l'été. J'ai donc pris le train de Maniwaki à Ottawa, ensuite à Montréal, pour changer à Harvey Junction et voyager de nuit jusqu'à Sanmaur environ 100 milles au nord de la Tuque. Ma compagne était Bertha Bruyère de Maniwaki, et ensuite Thérèse Boisvenu du même endroit. Quatre autres institutrices voyageaient avec nous: deux s'en allaient à Obejewan et les 2 autres à Manouan, mais celles-ci devaient faire un trajet d'un jour en canot-moteur pour se rendre à leurs missions. À 5 heures du matin nous arrivions à Sanmaur, où les gens de la Brown Corporation nous ont rencontrées à la gare et nous ont amenées déjeuner et prendre un repos avant de traverser. Sur le quai, le chef Charlie Petcekewi est venu nous accueillir, gros homme vêtu de vêtements et d'une casquette donnés par la Gendarmerie Royale et décoré de 2 grandes médailles attachées par des épingles à ressort.
Kowé Kowé! kiskinomagneskwak! (institutrices). Quand je lui ai demandé le nom de sa tribu, il a dit: "Tête de Boule", et a enlevé sa casquette pour me montrer sa tête ronde. Il nous a amenées à une grande maison, notre logis, en attendant la fin de la construction d'une plus petite qui remplacerait l'autre détruite par le feu l'année précédente. Un autre canot avait apporté nos malles et des provisions. Alors nous étions installées. Je faisais tous les métiers là-bas: institutrice, garde-malade, organiste, sacristine, hôtesse. Les Indiens, je les ai trouvés gentils et hospitaliers. Quand ils allaient à la chasse et à la pêche, ils nous rapportaient toujours un morceau d'orignal, de chevreuil, des poissons et des bleuets (minic). Comme nous n'avions pas de réfrigérateur, nous mettions viande, poisson, beurre et lait dans un chaudron de fer que l'on descendait dans un trou dans le plancher, ce qui conservait tout au frais. Il yavait plusieurs maisons sur la réserve à part l'église, I'école et la petite maison du Père Guinard, mais les Indiens aimaient mieux coucher dans une tente et faire leur feu dehors. Le Ministère des Affaires Indiennes fournissait beaucoup de choses pour la construction: bois plané, vitres, papier goudron et clous. Durant l'été le ministère envoyait des ballots d'étoffe pour les jupes et robes, des bas, des mouchoirs pour la tête et des remèdes. Avant de partir, j'allais au ministère commander huile de foie de morue, aspirines, gaze, sirop contre le rhume, onguents, etc. que nous gardions à la maison pour distribuer.
Le fils du chef, Guillaume, n'était pas aussi brillant que son père, et une fois il vint à la maison pour demander du "ctoto muskekee", sirop contre la toux, et dit: "du sirop pour tousser". Charlie était spirituel. Un jour le Père Guinard lui demande de faire un sentier de notre maison à l'école, car l'herbe était longue et en temps pluvieux mouillait les jambes. Charlie décide de le faire lui-même, et accroupi, avec une bêche, il travaillait. Le Père Guinard passe et lui dit: "Charlie, c'est tout croche comme un chemin de couleuvre". Un matin, allant à l'école par le sentier, je sursaute lorsqu'une couleuvre me passe sur les pieds. Le chef, ayant vu mon geste, me demande ce qu'il y a. Je le lui dis, et alors il répond: "Laisse-la faire c'est son chemin". Le langage cri est imagé et poétique: sibi, (rivière) = chemin qui marche. L'arc-en-ciel "tereban wakwick" = le ruban du ciel. Tout ce qui roule est "otapan", brouette, auto, chemin de fer "ickotek otapan" feu qui roule. Weymontaching veut dire: montagne d'où l'on observe, et jadis durant les guerres entre tribus, ils guettaient là les ennemis. Même chose pour Chattanooga, au Tennessee, dans une autre langue indienne.
Nous pouvions aller à pied à Windigo, tout près. Ce mot veut dire sorcier et on nous a montré une grande dépression dans une pierre soit disant l'empreinte du pied du sorcier. En arrivant à l'école, le matin, je frappais sur un triangle de fer à la porte. Les enfants sortaient alors des tentes, se frottant le visage pour enlever le poil de lièvre, laissé par leurs couvertures, prenaient un morceau de pain "bannik" et couraient à l'école. On commençait par une prière, un cantique, comptait sur le boulier-compteur en indien, français et anglais, puis je distribuais de l'huile de foie de morue que tous aimaient à part Sosan qui m'a ditque son père était un blanc. Les enfants étaient très doux et apprenaient bien. Des bonbons étaient une grande récompense. Le Père Guinard venait à peu près 3 fois par été entre des visites à Manouan et à Obejuan; à sa dernière visite, c'étaient les mariages. Pas de vieilles filles ni veuves, car les Indiens ont besoin d'une squaw pour cuisiner, chercher de l'eau et faire les mocassins. Mes filles se mariaient à 14 ans, et le printemps suivant elles avaient un papoose sur le dos. À l'automne, fin septembre, tous partaient pour leurs territoires de chasse: chiens, provisions, trappes, fusils et munitions. Ils partaient toujours le soir, pour dormir en route.
Dernièrement, en file à la banque Royale, un monsieur en arrière de moi se penche et me dit: "Neba ketegowin". C'était un copain de mon frère Jean qui était venu à un chalet loué à Orlo. Les jeunes étaient bruyant et ne voulaient pas dormir, alors je leur ai dit ces mots qui veulent dire: "Dormez quand je vous le dis." Beaucoup de visiteurs venaient à la réserve: Abbé Albert Tessier qui a dit la messe dans notre église, Robert Rumilly, le député Crête et son fils Marcel, juge décédé dernièrement, des journalistes même de New York, des prêtres descendant le St-Maurice en canot.
Un matin, le chef vint me dire que le Père Guinard était malade. Je suis allée à sa maison, il faisait de la fièvre et souffrait. Comme nous avions le téléphone, j'ai appelé le Dr Rivard, du 15 milles, qui est venu le soigner. Le Père prenait ses repas chez nous. Il est mort passé 100 ans, et on a nommé un foyer de personnes âgées à Maniwaki d'après lui. À Maniwaki, mon père opérait un moulin à scie sur la rivière Gatineau, près de la réserve indienne, et nous allions cueillir des prunes sauvages chez le vieux Couverte, moyennant un sac de sucre ou autre chose. Je suis retournée au Corbeau l'été dernier et tout a bien changé. La centrale électrique est automatique et une clôture de broche de fer empêche d'entrer. Notre maison a disparu et il ne reste que le solage. Une pancarte dit: "Ceci est une réserve indienne, défense d'entrer ou de chasser ".
Vous verrez parmi les choses que j'ai apportées le livre de Marie-Louise Berthiaume Denault "Mon Sauvage". J'avais rencontré Mme Denault au Caveau, rue Rideau, alors que j'étudiais la peinture. Nous sommes devenues amies et je suis allée à Maniwaki avec elle à la Réserve. Plusieurs photos du livre sont les miennes, bloquées par l'artiste Tom Wood. Quand nous nous sommes connues, elle a changé un peu son récit, et c'est une blanche de Maniwaki qui a épousé un homme de Weymontaching. Vous verrez aussi le livre du Père Guinard, en indien, comprenant prières, cantiques, catéchisme.
Eh bien, voilà! Miguitch (merci) Aji (J'ai fini)
Marcienne Alie
P.S. À l'église, les femmes s'assoyaient d'un côté et les hommes de l'autre. Le bedeau, Bellemare, avait un bâton et chassait les chiens qui entraient.