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La vertugadin de la Reine Margot,  par Carole Baillargeon, 1992-93

Carole Baillargeon
La vertugadin de la Reine Margot, 1992-93







Carole Baillargeon

Ce texte accompagne l'exposition Jamais deux sans trois, présentée du 14 au 20 mars 1996, au 1040 rue Marie-Anne à Montréal.

D'aussi loin que je me souvienne, le vêtement m'a toujours fascinée. Il est devenu le sujet d'une passion qui nourrit ma démarche artistique depuis le début.

Enfant, j'étais attirée par les textures des tissus et intriguée par le pouvoir qu'avaient les vêtements de me donner confiance en moi-même.1 Ils pouvaient aussi me transformer radicalement en personnage imaginaire ou, comme je le souhaitais, me permettre d'entrer dans le monde adulte.

Ma mère m'a transmis les règles qui devaient régir ma garde-robe. Le beau linge était réservé pour le dimanche, certaines couleurs ne se portaient que l'été, les couleurs vives étaient l'apanage des jeunes, les sombres réservées aux personnes âgées, le rose était interdit aux hommes. En fait, une multitude de conventions culturelles régissent le port de nos vêtements, à partir desquelles et plus ou moins inconsciemment nous évaluons le goût, le savoir-vivre, la culture, la classe sociale, l'âge et l'orientation sexuelle d'une personne.

Mon intérêt pour le vêtement s'est accentué lors de mes études au niveau du baccalauréat en scénographie. Dans l'univers théâtral, c'est l'habit qui fait le moine. Un des exercices de documentation sur le costume réaliste contemporain consistait à observer les vêtements portés par les gens dans les autobus, le métro et dans la rue. Comment portent-ils leurs vêtements? A la fin d'une journée, l'état du vêtement révèle des informations. Observez et notez: l'usure, le froissement, la saleté. Tous ces détails, qu'on le veuille ou non, nous renseignent sur leur porteur.

On s'attache parfois à un vêtement à un point tel qu'on voudrait le garder toujours, car on a l'impression qu'il renferme un peu de nous-même. C'est ainsi que certains vêtements deviennent des reliques de notre passé. D'autres vêtements marquent des moments importants de la vie, les premiers vêtements que l'on choisit soi-même et ceux achetés pour une occasion spéciale comme la robe de mariage.

Toujours dans le cadre de ma formation de scénographe, j'ai abordé l'histoire du costume. Quelle découverte ! Alors que dans l'histoire générale, les femmes sont quasi absentes, j'ai été frappée par l'importante présence des femmes dans ce domaine. J'ai été saisie de constater à quel point le vêtement avait transformé, sculpté, modelé au goût du jour le corps de la femme. L'histoire du vêtement féminin, de la noblesse et de la bourgeoisie, du moyen-âge jusqu'à l'époque victorienne, nous montre des vêtements qui amplifiaient la stature féminine par les volumes imposants des crinolines, des trafnes, des chapeaux et des coiffures qui conféraient aux femmes, d'un point de vue formel, une importance indéniable fondée sur le paraitre. “Le vêtement nous permet de prolonger notre moi corporel (...) Au lieu de n'être que deux jambes séparées par un mince écart, le corps humain vêtu d'une robe prend des proportions bien plus amples et volumineuses; l'espace entre les jambes est comblé, et ce au profit d'un maintien plus digne ...”2 Le corps contraint par le poids, l'ampleur des tissus et par la constriction des vêtements affichait un maintien "digne" par sa rigidité où confort et liberté de mouvement étaient exclus. « L'apparence devient la source principale de pouvoir des femmes, de même que la cause première de leur faiblesse. »3

Ce sont toutes ces anecdotes qui alimentent ma démarche artistique où se rmêlent des références à l'histoire du vêtement, à l'histoire des femmes et à mon histoire personnelle.

La matière signifiante

C'est peut-être au papier matière que je dois d'avoir fait le saut de la scénographie aux arts visuels. Le papier étant une matière fréquemment utilisée en théâtre sous forme de papier mâché, je me suis sentie tout à fait à l'aise dès mes premières expérimentations avec le papier fait main. Ces explorations m'ont conduite à réaliser l'installation intitulée Vêture présentée à La chambre blanche (1990). Ce travail prenait comme point de départ la matière avec laquelle je travaillais, la pulpe de chiffons de coton. Cette matière provient d'une plante, le cotonnier. Elle a été transformée, de fil, en tissu puis en vêtements qui furent portés puis récupérés, déchiquetés et réduits à l'état de pulpe pour le papier. Chaque élément de l'installation exprimait un état hybride mêlant ses origines végétales et vestimentaires. J'ai travaillé sur une base intensive les techniques reliées au papier durant les cinq premières années de ma production artistique. Puis, une série de facteurs m'a amenée à considérer le travail avec d'autres matières.

Parmi ceux-ci, l'exposition de Jana Sterbak, States of Being/ Corps à corps, présentée au Musée des beaux-arts du Canada en 1991 a probablement contribué à une ouverture de ma part, face à une diversité de techniques et de matières à inclure dans mon travail. C'est d'abord cet aspect de son travail qui m'avait frappée lors de ma visite. En lisant et en approfondissant ma connaissance de sa démarche, j'ai constaté qu'elle donnait souvent une grande importance au choix des matériaux, de la technique ou de la stratégie de présentation. Ces choix participent d'une façon active aux propos de l'oeuvre. Il m'a semblé que cette préoccupation rejoignait un aspect présent dans mon travail et que l'on retrouve dans cette exposition Jamais deux toujours trois.

Le vêtement, pourtant au centre de ma production, apparaît ici pour la première fois comme matière et subjectile de mes interventions plastiques. Comme le vêtement est étroitement lié à la question de la pudeur, le choix de travailler à partir de celui-ci me semblait approprié. Je pense que la sélection des trois vêtements et les interventions plastiques tiennent compte d'un certain nombre de codes attachés aux vêtements et à la couleur. En effet, le genre, la fonction du vêtement, sa couleur, sa coupe, la texture et les qualités du tissu sont des éléments qui parlent. Ils peuvent être accentués ou dilués par certains contextes et par l'attitude du corps et de la personnalité du porteur.

Le choix de la robe s'imposait naturellement puisqu'il est question de la pudeur féminine comme je l'ai subie et vécue. Cependant, ce n'est pas ici le procàs de la robe, mais il reste qu'elle peut entraver les mouvements et nous conduire dans des situations momentanément impudiques. Par rapport au sexe, la robe est dit un "système ouvert", alors que le pantalon est dit un "système fermé". Ce concept relié à la robe découle probablement du fait que le vêtement de dessous ne serait apparu que vers le 18ème siècle. « Nous savons que sous la robe et les jupons - et sauf exception - la femme occidentale ne porta rien qu'une ou plusieurs chemises pendant des millénaires. »4 Le pantalon de dessous fut introduit pour éviter les scènes gênantes provoquées par des chutes équestres, quelgues glissades à pied ou certaines fessées patriotiques. »5 Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la morale de l'époque voyait d'un mauvais oeil la culotte: cacher attirait l'attention. Aujourd'hui, la petite culotte suscite le même trouble que pouvait provoquer autrefois la vue du sexe féminin. C'est pourquoi la robe offrirait une plus grande prise à l'impudeur à cause de cette ouverture. Le vent soulève une jupe.... On peut se pencher et révéler ses dessous.

Mes choix dans la sélection des vêtements ont été guidés par le désir de montrer trois stratégies de révélation du corps: la transparence du tissu, la coupe moulante et l'ouverture. La couleur des vêtements a aussi été un facteur déterminant, le jaune pouvant symboliser la faiblesse, le rouge, la sensualité et le sang, le noir, l'abnégation. La coupe et/ou la fonction du vêtement ont également été prises en considération. Chacune des interventions pourrait évoquer un aspect des transformations physiques accompagnant la puberté: l'apparition des poils pubiens, les menstruations, la découverte et le trouble qui en découle face à ce nouveau corps.

L'obsession : l'inventaire et le classement

Un autre aspect de mon travail est marqué par un désir d'inventorier, de travailler tous les aspects d'un sujet . Cette multiplicité engendre un besoin de classer l'ensemble. généralement composé d'unités formant un tout. Cette caractéristique se transpose aisément à l'ensemble de ma pratique artistique qui voudrait éventuellement englober tous les aspects reliés au vêtement en relation avec le corps et/ou l'environnement, de l'identité à l'économique, du psychologique au social. Par exemple, en ce qui a trait aux.fonctions reliées au vêtement « pratiquement tous ceux qui ont étudié la question s'accordent à dire que le vêtement a trois finalités: la parure, la pudeur et la protection. »6 J'ai abordé durant les dernières années ces différents aspects, ainsi l'exposition Armures allégoriques (1991-93) traitait de la protection, l'exposition Parures (1994-95) traitait de la parure féminine alors que, dans Jamais deux toujours trois (1996), il est question de l'apprentissage de la pudeur entourant le corps féminin.

Mon rapport aux textiles

J'en suis venue à m'intéresser aux arts textiles, d'abord parce que je travaillais une matière textile, le papier. Mais, j'ai découvert très vite que les arts textiles, c'est bien plus qu'une relation à une matière et/ou à des techniques. Ses sources remontent à la base de la civilisation humaine. Qu'on pense au tressage, nouage, entrelacement de fibres et au tissage qui ont conduit l'humanité à la fabrication d'éléments de protection telles les premières habitations, vêtements, ou les outils pour la chasse et la pêche. « Le nouage constitue une des plus anciennes technologies, pour ne pas dire la plus ancienne. Nouer des peaux ensemble fut la première maniàre de les assembler pour s'en vêtir. (...) Le processus mental et l'effort d'application nécessaires à la conception puis à la confection d'un noeud restent comme le rire et les larmes, vraiment le propre de l'homme."7 Comme la roue, ces inventions sont et seront éternellement d'actualité au sein de notre civilisation moderne, qu'on pense à l'ordinateur et à l'internet qui témoignent d'une étroite relation avec le textile.8 De plus, nous côtoyons quotidiennement des matières textiles, notre propre corps n'est que fibres.9

L'histoire du textile est étroitement liée à celle des femmes. 10 Freud fait également un lien, d'ailleurs peu élogieux, entre les femmes et le textile. “ La pudeur (...) a eu pour but primitif, croyons-nous, de dissimuler la défectuosité des organes génitaux (féminins). (...) On pense que les femmes n'ont que faiblement contribué aux découvertes et aux inventions de l'histoire de la civilisation. Peut-être ont-elles cependant trouvé une technique, celle du tissage, du tressage. S'il en est vraiment ainsi, on est tenté de deviner le motif inconscient de cette invention. La nature elle-même aurait fourni le modèle d'une semblable copie en faisant pousser sur les organes génitaux les poils qui les masquent. Le progrès qui restait à faire était d'enlacer les fibres plantées dans la peau et qui ne formaient qu'une sorte de feutrage.” 11 Ce qui me frappe dans cette citation de Freud, c'est le fort sentiment de misogynie et de somatophobie (haine du corps) qui en émanent. Curieusement, ce sont aussi des sentiments qui entretiennent un lien étroit avec la pudeur.

Jamais deux toujours trois (l'apprentissage de la pudeur)

Il y a quelques années, lors d'une réunion familiale, j'ai été témoin d'une scène qui m'a amenée à réfléchir à la question de la pudeur. Ma nièce, alors âgée de 4 ans, recevait en cadeau un vêtement. Désireuse d'étrenner ce nouvel habit, elle se changea à la vitesse de l'éclair devant nous, sans que nous puissions la voir dévêtue. La technique est simple: il s'agit de retirer ses bras des manches de la robe. On enfile ensuite le nouveau vêtement sous ce tube que l'on retire une fois vêtue. J'étais sidérée qu'une enfant de cet âge puisse être déjà si pudique. Tout de suite, je me suis rappelée mes expériences au camp d'été (à l'âge de 8 et 9 ans) où il fallait se changer selon la "technique dortoir", celle-là même employée par ma nièce. Puis, je me suis rappelée les histoires de ma mère, au temps où elle était étudiante chez les Soeurs. D'ailleurs, le titre de l'exposition provient d'une règle en vigueur alors à l'École normale: jamais deux toujours trois. A l'époque, les pensionnaires ne comprenaient pas sa signification. Ce n'est que plus tard que ma mère comprit que cette maxime visait à éviter les amitiés particuliàres entre femmes.

C'est ainsi que des observations sur des comportements vestimentaires éveillent en moi une réflexion sur l'identité féminine. Quelle importance, l'éducation et le milieu ont-ils eu et auront-ifs dans l'établissement de ces comportements?

Mars 1996


Notes

1. "cette satisfaction procurée par les vêtements repose psychologiquement sur une illusion appelée confluence" Flugël, J.C.. Le rêveur nu, Editions Aubier Montaigne, Paris, 1982, p. 31. Il y a relation de confluence lorsque les vêtements rencontrent les objectifs du porteur, c'est-à-dire qu'ils contribuent à transcender l'image que celui-ci désire projeter sur son entourage.
2. Flugël, J.C.. Le rêveur nu, Éditions Aubier Montaigne, Paris, 1982, p. 27.
3. Lamothe, Raymonde. Souffrir pour Etre belle- Rapport de recherche préliminaire à l'exposition, citée par St-Jean, Armande. Finie la beauté de force !, in Souffrir pour être belle, Fides et Musée de la civilisation, Québec, 1988, p. 85.
4. Toussaint-Samat, Maguelone. Histoire technique et morale du vêtement, Bordas, Paris, 1990,p. 404.
5.Perrot, Philippe. Les dessus et les dessous de la bourgeoisie, Edition Complexe, 1981, p. 263. Les fessées patriotiques réfàrent au climat de règlement de compte qui régnait apràs la Révolution française partout en France. Au sortir de la messe, les femmes étaient souvent la cible de punitions corporelles.
6. Flugël, J.C.. Le rêveur nu, Éditions Aubier Montaigne, Paris, 1982, p.12.
7. Toussaint-Samat, Maguelone. Histoire technique et morale du vêtement, Bordas, Paris, 1990, p. 268. 8. Voir à ce sujet le chapitre Nouvelles technologies: une pensée textile in Textiles sismographes/actes du colloque, Conseil des arts textiles du Québec,1995, et plus particuliàrement le texte de Plant, Sadie. Lady Ada, Queen of Engines, p.106 à 110.
9. Les cheveux, la peau, les os et la chair sont des fibres animales. "L'A.D.N. sous microscope ressemble à un gros bout de laine constitué de deux brins soigneusement torsadés..." Viollet, Fanny. 15 ans d'art textile, in Textiles sismographes/actes du colloque, Conseil des arts textiles du Québec, 1995, p. 82.
10. Voir à ce sujet: Wayland Barber, Elizabeth. Women's Work: the First 20,000 Years: Women, Cloth and Society in Early Times, W.W. Norton & Company, New York, London, 1994, p. 334. Parker, Rozsika. The Subversive Stitch: embroidery and the making of the feminine, Women's Press, London, 1984, p. 247.
11. Freud, Sigmund. "La féminité", in Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Paris, Gallimard, Idées 1971, p.174. Traduit de l'allemand par Anne Berman, cité par Bernier, Isabelle, A l'ombre de l'art contemporain, in Féministe toi- même Féministe quand même, La chambre blanche, 1986, p. 22.

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