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Collection
Dissertation
Bibliographie
Crédits

Sunflowers, 1999



 

 

Friedhelm Lach

paru dans Drawings and Paintings, édition de 2 000 copies, Derek Hart, National Printing, Montréal, 1988

Le programme dada peut nous aider à saisir le caractère de "processus" qui caractérise l'art de Ghitta Caiserman-Roth. En effet, son art est essentiellement une évolution créatrice continuelle, fondée sur la capacité de redécouvrir l'expérience bicamérale et d'explorer les modèles que nous fournissent les rites de la célébration artistique contemporaine.

Ghitta réagit à son environnement immédiat par l'autodécouverte et l'auto- observation. Ses premières oeuvres celèbrent la vie au fond des cours dans les quartiers juifs de Montréal et manifestent son engagement envers la société, son besoin d'explorer le monde à travers le contexte social. Plus tard, le dialogue s'établira et deviendra le signe distinctif de ses thèmes ainsi que de ses conceptions de la composition.

Ce sont essentiellement des dia-structions.
Gestes de la proposition et gestes de la réponse y confrontent
perspectives intérieures et extérieures,
représentations superficielles et profondes,
gestes actifs et contemplatifs,
manifestations de puissance et de sensibilité,
révélations des masques et de la vérité.

On y découvre la transformation de l'expérience en configurations séquentielles qui laissent libre cours à l'émotion. Bien que, de toute évidence, Ghitta dispose des techniques nécessaires à l'expression de ce processus, elle ne se sert jamais d'images préconçues. Car elle conçoit l'art comme un processus en perpétuel devenir, sans fin, toujours en voie de développement et d'enrichissement, qui fait appel au rappel des souvenirs, à l'exploration des sensations, à la méfiance envers les obsessions et à la mémoire des archétypes.

La façon dont Ghitta appréhende la réalité lui permet de la transformer. C'est qu' elle veut sans cesse apprendre, qu' elle a soif d'expériences nouvelles et se veut toujours ouverte au monde, construisant son univers essentiel sur la représentation des relations archétypes. Il s'ensuit que Ghitta confesse... Je suis le tournesol semencier...Elle projette son auto-observation dans ses symboles spéculaires, ses sentiments prénatals dans ses images de nids et de marrons, son besoin d'action intérieure dans ses lits défaits et ses "présences", ses souvenirs dans ses fenêtres ouvertes. Ces concepts images exercent chez elle une fonction signalétique.

Pour tenter d'exposer l'organisation de sa vie artistique, je voudrais évoquer la métaphore du jardin japonais avec ses agencements et ses développements méticuleux. Chaque élément y a son caractère distinctif et sa place propre, qui assurent l'unité du tout. Le processus pictural particulier à Ghitta reflète le même souci d'assurer la totalité de l'oeuvre en même temps que l'individualité des toiles dans tout ce que celles-ci présentent de singularité, de clarté et de perfection technique. Le souci et l'amour se laissent deviner à chaque étape de la vie et du travail de Ghitta. Elle suppute les résultats, tend l'oreille à sa voix intérieure et évite tout ce qui pourrait entraver sa liberté. Elle refuse la "réflexion" et la "technique", estimant que ce sont là des procédés. Elle sait distinguer les étapes du processus créateur ...en premier lieu vient la préparation pendant laquelle s'élabore le concept image... suit une période d'incubation flottante... enfin surgit la manifestation. Plus tard, I'exploration reprend, étayée par I'xpérimentation et l'harmonisation logique. la préparation représente un processus à la fois conscient, inconscient et préconscient, qui fournit un cadre. Quant à l'acte de peindre, c'est un bond dans la découverte. Il arrive parfois que pour s'accomplir, la logique sous-jacente doive s'oublier.

La structuration de l'espace mental de Ghitta est telle qu'elle lui permet d'intégrer dans son univers personnelles expériences nouvelles et les données pertinentes susceptibles de conforter les expériences anciennes. On pourrait parler d'une autobiographie progressive, l'oeuvre tout entière étant contenue dans la narration progressive de I'espace mental. Dans certaines images archétypes ou autres, on observe l'intrication des thèmes et des images. Ainsi, le concept du NID se retrouve dans l'image de la fenêtre, et celui du TOURNESOL dans l'image de la chaise vide. L'image se présente souvent comme l'analogue du CORPS dans lequel le moi de l'artiste se dit constamment. Ghitta célebre le hasard... les aléas du sort qui n'a d'égard ni pour le temps ni pour le lieu.

Le hasard confère à chaque geste le sens d'une provocation, il évoque la nature et la création. Les techniques aléatoires assurent la revélation du message profond que Ghitta cherche à transmettre. Elle a besoin de travailler d'instinct. Sa manière de provoquer les accidents témoigne de sa confiance en elle-même. Le monde lui advient et sa peinture est inextricablement liée à cet évènement. Toujours ouverte et confiante en son instinct, elle protège l'intimite de sa vie et de son art, elle se défend contre tout ce qui pourrait endiguer le flot de ses réactions instinctives. C' est pourquoi elle évite tout système et tout automatisme. Peindre ne constitue pas pour elle un processus de tension et de décision mais la projection hautement personnelle de ses réactions instinctives. En sa qualité d'artiste et de professeur, elle récuse toutes les formules orientées en fonction des décisions "officielles", pour se rapprocher du concept de creativité et tendre vers I'esprit bicaméral, proposant au message vehicule par l'art du XXe siècle ses propres modèles, Humanisation et Désintellectualisation.

Je m'en voudrais de clore ces réflexions sur le travail de Ghitta en restant sur une perspective extérieure. Explorant toujours plusieurs niveaux de conscience à la fois, Ghitta recourt, pour dominer le processus artistique, à deux opérations. la première consiste simplement à modifier la distance spatiale. Elle refuse en effet, dans son oeuvre, les normes culturelles et techniques imposées à l'espace. Souvent, il lui arrive de grossir les objets (personnalisation par le rapprochement) qu'elle observe en controlant tous les stimuli et toutes les réponses sensorielles que ceux-ci évoquent. L'impact de ses perceptions, toujours présent, confère à ses tableaux leur caractère immediat et nécessaire.

Attendre le moment de sa réponse est devenu pour Ghitta une conduite habituelle. C'est un luxe qu'elle s'offre en se préparant mentalement à l'épiphanie de l' instant créateur .

La seconde opération découle d'une longue expérience et d'une profonde connaissance de la peinture. Ghitta sait en effet classer tous les stimuli, ce qui favorise son desir d'approfondir sa conceptualisation et d'étendre son espace men- tal, espace bien défini, qui a ses codes spatiaux, ses agencements structurels et or- dinaux, ses techniques transformationnelles, son iconographie et sa mémoire.

Ghitta explique souvent ce qu' elle fait en disant que c' est sa façon de présenter la dualité de la vie. Cette dualité est comparable à deux voix, d'égale force, qui lui parlent. Les messages opposés qu'elles transmettent assurent la pérennite de l'art.

L'une d'elles collabore à l'élaboration consciente de l'espace mental... l'autre évoque la destruction, le hasard et l'aventure. On peut interpreter ces voix comme deux "consciences"... l'une dominant l'autre... également présentés mais inégalement accessibles. Ce modèle conceptuel expliquerait chez Ghitta le besoin incessant de recréer dans chacun de ses tableaux le fragile équilibre de son unité et d'y célébrer la vie comme une réussite personnelle.

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