Friedhelm
Lach
paru
dans Drawings and Paintings, édition de 2 000 copies,
Derek Hart, National Printing, Montréal, 1988
Le
programme dada peut nous aider à saisir le caractère de "processus"
qui caractérise l'art de Ghitta
Caiserman-Roth. En effet, son art est essentiellement une évolution
créatrice continuelle, fondée sur la capacité de redécouvrir l'expérience
bicamérale et d'explorer les modèles que nous fournissent les rites
de la célébration artistique contemporaine.
Ghitta
réagit à son environnement immédiat par l'autodécouverte et l'auto-
observation. Ses premières oeuvres celèbrent la vie au fond des
cours dans les quartiers juifs de Montréal et manifestent son engagement
envers la société, son besoin d'explorer le monde à travers le contexte
social. Plus tard, le dialogue s'établira et deviendra le signe
distinctif de ses thèmes ainsi que de ses conceptions de la composition.
Ce sont essentiellement
des dia-structions.
Gestes de la proposition et gestes de la réponse y confrontent
perspectives intérieures et extérieures,
représentations superficielles et profondes,
gestes actifs et contemplatifs,
manifestations de puissance et de sensibilité,
révélations des masques et de la vérité.
On
y découvre la transformation de l'expérience en configurations
séquentielles qui laissent libre cours à l'émotion. Bien que, de
toute évidence, Ghitta dispose des techniques nécessaires à l'expression
de ce processus, elle ne se sert jamais d'images préconçues. Car
elle conçoit l'art comme un processus en perpétuel devenir, sans
fin, toujours en voie de développement et d'enrichissement, qui
fait appel au rappel des souvenirs, à l'exploration des sensations,
à la méfiance envers les obsessions et à la mémoire des archétypes.
La
façon dont Ghitta appréhende la réalité lui permet de la
transformer. C'est qu' elle veut sans cesse apprendre, qu' elle
a soif d'expériences nouvelles et se veut toujours ouverte au monde,
construisant son univers essentiel sur la représentation des relations
archétypes. Il s'ensuit que Ghitta confesse... Je suis le tournesol
semencier...Elle projette son auto-observation dans ses symboles
spéculaires, ses sentiments prénatals dans ses images de nids et
de marrons, son besoin d'action intérieure dans ses lits défaits
et ses "présences", ses souvenirs dans ses fenêtres ouvertes. Ces
concepts images exercent chez elle une fonction signalétique.
Pour
tenter d'exposer l'organisation de sa vie artistique, je voudrais
évoquer la métaphore du jardin japonais avec ses agencements et
ses développements méticuleux. Chaque élément y a son caractère
distinctif et sa place propre, qui assurent l'unité du tout. Le
processus pictural particulier à Ghitta reflète le même souci d'assurer
la totalité de l'oeuvre en même temps que l'individualité des toiles
dans tout ce que celles-ci présentent de singularité, de clarté
et de perfection technique. Le souci et l'amour se laissent deviner
à chaque étape de la vie et du travail de Ghitta. Elle suppute les
résultats, tend l'oreille à sa voix intérieure et évite tout ce
qui pourrait entraver sa liberté. Elle refuse la "réflexion"
et la "technique", estimant que ce sont là des procédés. Elle sait
distinguer les étapes du processus créateur ...en premier lieu vient
la préparation pendant laquelle s'élabore le concept image... suit
une période d'incubation flottante... enfin surgit la manifestation.
Plus tard, I'exploration reprend, étayée par I'xpérimentation et
l'harmonisation logique. la préparation représente un processus
à la fois conscient, inconscient et préconscient, qui fournit un
cadre. Quant à l'acte de peindre, c'est un bond dans la découverte.
Il arrive parfois que pour s'accomplir, la logique sous-jacente
doive s'oublier.
La
structuration de l'espace mental de Ghitta est telle qu'elle lui
permet d'intégrer dans son univers personnelles expériences nouvelles
et les données pertinentes susceptibles de conforter les expériences
anciennes. On pourrait parler d'une autobiographie progressive,
l'oeuvre tout entière étant contenue dans la narration progressive
de I'espace mental. Dans certaines images archétypes ou autres,
on observe l'intrication des thèmes et des images. Ainsi, le concept
du NID se retrouve dans l'image de la fenêtre, et celui du TOURNESOL
dans l'image de la chaise vide. L'image se présente souvent comme
l'analogue du CORPS dans lequel le moi de l'artiste se dit constamment.
Ghitta célebre le hasard... les aléas du sort qui n'a d'égard ni
pour le temps ni pour le lieu.
Le
hasard confère à chaque geste le sens d'une provocation, il évoque
la nature et la création. Les techniques aléatoires assurent la
revélation du message profond que Ghitta cherche à transmettre.
Elle a besoin de travailler d'instinct. Sa manière de provoquer
les accidents témoigne de sa confiance en elle-même. Le monde lui
advient et sa peinture est inextricablement liée à cet évènement.
Toujours ouverte et confiante en son instinct, elle protège l'intimite
de sa vie et de son art, elle se défend contre tout ce qui pourrait
endiguer le flot de ses réactions instinctives. C' est pourquoi
elle évite tout système et tout automatisme. Peindre ne constitue
pas pour elle un processus de tension et de décision mais la projection
hautement personnelle de ses réactions instinctives. En sa qualité
d'artiste et de professeur, elle récuse toutes les formules orientées
en fonction des décisions "officielles", pour se rapprocher du concept
de creativité et tendre vers I'esprit bicaméral, proposant au message
vehicule par l'art du XXe siècle ses propres modèles, Humanisation
et Désintellectualisation.
Je
m'en voudrais de clore ces réflexions sur le travail de Ghitta en
restant sur une perspective extérieure. Explorant toujours plusieurs
niveaux de conscience à la fois, Ghitta recourt, pour dominer le
processus artistique, à deux opérations. la première consiste simplement
à modifier la distance spatiale. Elle refuse en effet, dans son
oeuvre, les normes culturelles et techniques imposées à l'espace.
Souvent, il lui arrive de grossir les objets (personnalisation par
le rapprochement) qu'elle observe en controlant tous les stimuli
et toutes les réponses sensorielles que ceux-ci évoquent. L'impact
de ses perceptions, toujours présent, confère à ses tableaux leur
caractère immediat et nécessaire.
Attendre
le moment de sa réponse est devenu pour Ghitta une conduite habituelle.
C'est un luxe qu'elle s'offre en se préparant mentalement à l'épiphanie
de l' instant créateur .
La
seconde opération découle d'une longue expérience et d'une profonde
connaissance de la peinture. Ghitta sait en effet classer tous les
stimuli, ce qui favorise son desir d'approfondir sa conceptualisation
et d'étendre son espace men- tal, espace bien défini, qui a ses
codes spatiaux, ses agencements structurels et or- dinaux, ses techniques
transformationnelles, son iconographie et sa mémoire.
Ghitta
explique souvent ce qu' elle fait en disant que c' est sa façon
de présenter la dualité de la vie. Cette dualité est comparable
à deux voix, d'égale force, qui lui parlent. Les messages opposés
qu'elles transmettent assurent la pérennite de l'art.
L'une
d'elles collabore à l'élaboration consciente de l'espace mental...
l'autre évoque la destruction, le hasard et l'aventure. On peut
interpreter ces voix comme deux "consciences"... l'une dominant
l'autre... également présentés mais inégalement accessibles. Ce
modèle conceptuel expliquerait chez Ghitta le besoin incessant de
recréer dans chacun de ses tableaux le fragile équilibre de son
unité et d'y célébrer la vie comme une réussite personnelle.
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