Démarche
artistique
Dans biens des
sites naturels, nous nous redécouvrons avec un agréable
frisson;
c'est le plus beau cas de double qui soit. »
Nietzsche1
Absence manifeste
de celui qui le regarde : le paysage est le résultat d'une
mise à distance. « Assemblage d'arbres, de montagnes,
d'eaux et de maisons
»2 comme le décrit
Baudelaire, le paysage est une construction de l'esprit. En fait,
il s'agit de le voir comme une relation entre notre réalité
environnante et ce qu'elle représente à nos yeux.
Voir ne peut être dissocié de la manière dont
nous nous représentons les choses et l'acte est forcément
lié à notre identité culturelle. Sa représentation
traduit alors un sentiment qui s'y rattache, une analogie, une métaphore
sans quoi, il est inexistant . Par là s'opère l'émotion
qui fabrique l'uvre
Croyant me
rapprocher de la réalité, le paysage se révèle
bien au contraire comme un non-lieu, une utopie du désir
et de l'imaginaire. Sa représentation est une construction
de l'esprit avec ses projections, ses points de fuite, ses plans
et sa ligne d'horizon. Sa surface est modelée, jardinée,
gravée, sillonnée pour circonscrire et habiter le
territoire.
Quelques années
auparavant, je travaillais à faire correspondre dans une
même uvre, les thèmes symboliques de la forêt
et de la cathédrale. Les correspondances par analogie commençaient
déjà à marquer les débuts d'un travail
de recherche sur les entités nature / culture. La forêt
évoquait les sentiments de bien - être protecteur et
de recueillement , propice à développer notre propre
intériorité. Dense, la lumière y pénètre
difficilement et nous nous retrouvons dans un entrelacement d'ombres,
notre regard porté vers le ciel. La cathédrale représentait
à son tour le symbole d'un aboutissement collectif, une sorte
de voûte céleste d'où se dégageaient
de profonds sentiments de dépassement de soi et de protection
dans lequel tout le monde pouvait se reconnaître. Je cherchais
bien sûr à exprimer maladroitement des sentiments quand
je réalisai que je n'avais qu'assimiler (inconsciemment )
des codes de notre langage visuel et que ces codes avaient aussi
bien été exprimés (de manière encore
plus significative) par des milliers d'autres avant moi
Je
découvris alors une uvre de Léonard de Vinci
n'ayant jusqu'alors pas retenu mon attention et qui s'est révélée
comme un modèle d'uvre « in situ ». Pour
décorer un plafond du palais des Sforza, de Vinci peignit
une immense forêt, chaque colonne étant un tronc d'arbre
au faîte desquels se déployait une voûte de branches
et de feuilles. Un cordon rouge organisait de manière encore
plus serrée la trame produite par l'entrelacement des branches
et dessinait pour les fins de l'uvre une suite de blasons
et d'inscriptions décoratives. Mon installation titrée
« Forêt / Cathédrale », demeurait
ainsi conforme à des codes iconographiques utilisés
au cours de l'histoire qui, depuis des origines lointaines mettent
à la disposition de l'art la force des expressions symboliques.
C'est la même chose pour le paysage : sa singularité
se trouve dans l'assemblage d'éléments disjoints,
des traits préexistants et visibles instituant une forme
de médiation entre nature et humanité. Plus en avant,
le concept d'artialisation3 d'Alain Roger identifie la
notion de paysage comme étant un phénomène
essentiellement humain : il est le résultat d'une opération
artistique et symbolique. Avant même d'exister en pleine nature,
le paysage aurait donc été proposé par la vision
de l'art et des artistes
Le paysage
est donc le reflet de notre intériorité : à
l'image de tous les reflets dans l'eau déformés par
le mouvement des vagues. Il est une source d'indications sur nous-mêmes.
Par sa représentation, je tente de mettre en image une idée
: le paysage comme métamorphose, lieu de la mouvance humaine
où s'affirment nos désirs et nos craintes les plus
contradictoires. Cette manière de faire se situe entre le
désir d'absence et de préservation et cette tentative
d'incorporer et d'être le paysage. Alors que le spectateur
croit discerner une trame dans laquelle sont logées des matières
minérale et végétale, j'aimerais qu'apparaissent
des espaces singuliers semblant n'avoir aucun rapport avec le paysage
préalablement établi. Car ce qui manque dans le paysage,
c'est le corps de l'observateur : cette présence de l'absence
Effets simultanés, don de l'ubiquité : faire advenir
ce qui n'existait pas encore. Dé - paysement,
mouvements
oscillatoires entre le proche et le lointain, le flou et le clair,
l'indéterminé et le sublime
Dominique
Valade
Notes
1- Nietzsche, Humain, trop humain, t.II, Le voyageur et son ombre,
« La nature notre double », Gallimard, 1968, p.291.
2- Baudelaire, Charles, 2- 2- Écrits sur l'art, Salon de 1859, «
Le paysage », Le livre de poche classique, Librairie générale
française, 1992, p. 298- 299.;
3- Roger, Alain. Court traité du paysage, « La double artialisation
» , éd. Gallimard, 1997, p. 16 . Expression empruntée à Montaigne
et développé par l'auteur sous le concept d'une nature esthétisée
par l'art et l'artiste.
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