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Collection
Dissertation
Bibliographie
Crédits

La fôret et le porteur, 1994

Forêt/Cathédrale, 1996


Démarche artistique


Dans biens des sites naturels, nous nous redécouvrons avec un agréable frisson;
c'est le plus beau cas de double qui soit. »
Nietzsche1

Absence manifeste de celui qui le regarde : le paysage est le résultat d'une mise à distance. « Assemblage d'arbres, de montagnes, d'eaux et de maisons… »2 comme le décrit Baudelaire, le paysage est une construction de l'esprit. En fait, il s'agit de le voir comme une relation entre notre réalité environnante et ce qu'elle représente à nos yeux. Voir ne peut être dissocié de la manière dont nous nous représentons les choses et l'acte est forcément lié à notre identité culturelle. Sa représentation traduit alors un sentiment qui s'y rattache, une analogie, une métaphore sans quoi, il est inexistant . Par là s'opère l'émotion qui fabrique l'œuvre…

Croyant me rapprocher de la réalité, le paysage se révèle bien au contraire comme un non-lieu, une utopie du désir et de l'imaginaire. Sa représentation est une construction de l'esprit avec ses projections, ses points de fuite, ses plans et sa ligne d'horizon. Sa surface est modelée, jardinée, gravée, sillonnée pour circonscrire et habiter le territoire.

Quelques années auparavant, je travaillais à faire correspondre dans une même œuvre, les thèmes symboliques de la forêt et de la cathédrale. Les correspondances par analogie commençaient déjà à marquer les débuts d'un travail de recherche sur les entités nature / culture. La forêt évoquait les sentiments de bien - être protecteur et de recueillement , propice à développer notre propre intériorité. Dense, la lumière y pénètre difficilement et nous nous retrouvons dans un entrelacement d'ombres, notre regard porté vers le ciel. La cathédrale représentait à son tour le symbole d'un aboutissement collectif, une sorte de voûte céleste d'où se dégageaient de profonds sentiments de dépassement de soi et de protection dans lequel tout le monde pouvait se reconnaître. Je cherchais bien sûr à exprimer maladroitement des sentiments quand je réalisai que je n'avais qu'assimiler (inconsciemment ) des codes de notre langage visuel et que ces codes avaient aussi bien été exprimés (de manière encore plus significative) par des milliers d'autres avant moi… Je découvris alors une œuvre de Léonard de Vinci n'ayant jusqu'alors pas retenu mon attention et qui s'est révélée comme un modèle d'œuvre « in situ ». Pour décorer un plafond du palais des Sforza, de Vinci peignit une immense forêt, chaque colonne étant un tronc d'arbre au faîte desquels se déployait une voûte de branches et de feuilles. Un cordon rouge organisait de manière encore plus serrée la trame produite par l'entrelacement des branches et dessinait pour les fins de l'œuvre une suite de blasons et d'inscriptions décoratives. Mon installation titrée « Forêt / Cathédrale », demeurait ainsi conforme à des codes iconographiques utilisés au cours de l'histoire qui, depuis des origines lointaines mettent à la disposition de l'art la force des expressions symboliques. C'est la même chose pour le paysage : sa singularité se trouve dans l'assemblage d'éléments disjoints, des traits préexistants et visibles instituant une forme de médiation entre nature et humanité. Plus en avant, le concept d'artialisation3 d'Alain Roger identifie la notion de paysage comme étant un phénomène essentiellement humain : il est le résultat d'une opération artistique et symbolique. Avant même d'exister en pleine nature, le paysage aurait donc été proposé par la vision de l'art et des artistes…

Le paysage est donc le reflet de notre intériorité : à l'image de tous les reflets dans l'eau déformés par le mouvement des vagues. Il est une source d'indications sur nous-mêmes. Par sa représentation, je tente de mettre en image une idée : le paysage comme métamorphose, lieu de la mouvance humaine où s'affirment nos désirs et nos craintes les plus contradictoires. Cette manière de faire se situe entre le désir d'absence et de préservation et cette tentative d'incorporer et d'être le paysage. Alors que le spectateur croit discerner une trame dans laquelle sont logées des matières minérale et végétale, j'aimerais qu'apparaissent des espaces singuliers semblant n'avoir aucun rapport avec le paysage préalablement établi. Car ce qui manque dans le paysage, c'est le corps de l'observateur : cette présence de l'absence Effets simultanés, don de l'ubiquité : faire advenir ce qui n'existait pas encore. Dé - paysement, …mouvements oscillatoires entre le proche et le lointain, le flou et le clair, l'indéterminé et le sublime…

Dominique Valade

Notes
1- Nietzsche, Humain, trop humain, t.II, Le voyageur et son ombre, « La nature notre double », Gallimard, 1968, p.291.
2- Baudelaire, Charles, 2- 2- Écrits sur l'art, Salon de 1859, « Le paysage », Le livre de poche classique, Librairie générale française, 1992, p. 298- 299.;
3- Roger, Alain. Court traité du paysage, « La double artialisation » , éd. Gallimard, 1997, p. 16 . Expression empruntée à Montaigne et développé par l'auteur sous le concept d'une nature esthétisée par l'art et l'artiste.

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