Déclaration
d'artiste
Un
artiste peut bien croire parfois qu'il gouverne sa peinture, c'est
elle la peinture qui gouverne et va son propre chemin.
Du moins si
l'on parle de peinture-peinture, ainsi nommée récemment
pour distinguer une peinture ou prévaut la pérennité
de la pensée en images et du goût de la matière,
par comparaison avec des entreprises à caractère conceptuel.
On a donc beau
faire à l'avance des plans d'exposition et annoncer bien
rationnellement ce que l'on a l'intention de faire, pour telle ou
telle bonne raison, la peinture elle a ses raisons que la raison
ne connaît pas et n'a que faire des plus louables intentions.
C'est plus tard,
dans l'œuvre terminée, qu'on découvre l'intention
puissante et tenace qui motivait le geste envers et contre toutes
les stratégies.
Sans doute est-ce
là ramener la peinture vers une pensée primitive qui
survit dans l'expression peinte de siècle en siècle,
comme l'héritage des dinosaures survit dans les oiseaux. Notez
que primitif ne se réfère pas à dépassé
mais à premier qui d'abord, et en ce cas-ci à une probablement
indépassable pensée non réflexive. Indépassable
parce que suprêmement efficace dans le champs de l'invention,
de la création, de la poésie et de la peinture.
Si bien que
lorsque, cédant aux impératifs des organisations,
je me fourvoie a "pré-dire" le contenu d'une future
exposition ou série d'œuvres, je me retrouve invariablement
dans l'embarras de devoir expliquer pourquoi j'ai fait au bout du
compte autre chose. Et ce n'est pas par paresse ou indécision
que je prends chaque fois le parti de suivre le développement
inattendu de ma peinture plutôt que d'insister pour lui imposer
un parcours rationnel; c'est parce que la supériorité
du résultat intuitif s'impose de lui-même. Si je faisais
le choix inverse je me casserais la gueule. En tous cas je ferais
du mauvais travail.
J'en conclus
qu'on ne peut ou que je ne peux ni "pré" ni "dire",
puisque la peinture ne trouve pas sa source dans les mots et nait
plutôt de sa propre mise-en-œuvre et d'une pensée bien
réelle mais sur laquelle la volonté n'a pas de prise.
Au moment où
j'écris ces lignes, je ne sais encore où j'aboutirai
ni même par quel chemin je passerai pour y arriver. Je constate
seulement à cette heure, devant deux ou trois tableaux achevés,
que j'ai fabriqué des forêts à partir de l'intérieur
d'elles et de moi. Vues du dedans et non du dehors. Non par un spectateur
qui se tiendrait sur un belvedère ou devant une fenêtre,
mais par celui qui connaît l'univers végétal
et minéral par expérience; qui l'a touché,
respiré, marché, aimé et craint. Peut-être
que j'apporte ainsi, aux habitants d'un monde très urbanisé,
quelque chose de l'ancienne intimité avec la redoutable et
enveloppante Nature.
Pour le reste,
d'autres ont écrit qu'il y avait dans ma peinture un silence,
de l'étrangeté malgré le réalisme, un
réalisme paradoxal, un réalisme magique, du mystère
aussi. Je le vois bien, sans savoir comment je les y ai mis ni sans
prévoir les y mettre.
Suzanne
Joubert
Mont-St. Hilaire 2 décembre 1999
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